Leur exode serait imminent. Face à l’explosion de violence de la semaine dernière, les 30.000 juifs d’Odessa s’apprêteraient à quitter la ville : depuis le 5 mai, l’information se répand sur Internet comme une traînée de poudre.Comme dans toute bonne propagande, l’information n’est pas totalement fausse. Mais n’est pas vraie pour autant. On la retrouve, formulée avec moult précautions, dans un article du quotidien en anglais The Jerusalem Post.

Mais à aucun moment le vénérable quotidien n’affirme l’imminence de cette « évacuation » qui reste la dernière des options possibles dans l’éventualité d’une détérioration encore plus dramatique de la situation.

« Selon les leaders de la communauté, les violences de la semaine dernière ne sont pas liées aux juifs et ces derniers ne se sentent pas particulièrement menacés », précise même le journal.

Le rabbin Refael Kruskal, qui dirige l’association caritative Tikva, y détaille toutes les mesures de sécurité envisagées par la communauté – et elles concernent uniquement les enfants.

Son idée, par exemple, est de les envoyer dans un camp de vacances à l’extérieur de la ville si la situation se dégradait à l’approche du week-end de commémoration de la fin de la Seconde guerre mondiale.

Son confrère de la congrégation orthodoxe Chabbad, Avraham Wolf, est peut-être plus alarmiste : il évoque le recrutement de gardes armés ainsi que ces fameux « 70 autobus » qui se tiennent prêts pour mettre les enfants à l’abri.

Mais une fois de plus, le rabbin précise qu’il s’agit d’un dernier recours et qu’il espère qu’il n’aura pas à prendre cette décision.


Synagogue de Donetsk

Un tract anonyme qui invite les juifs à « s’enregister »

Cela n’a pas empêché les médias russes de se déchaîner sur cette histoire, certains n’hésitant pas à tirer des parallèles plus que douteux sur le sort des juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Il s’agit, en effet, de la position officielle russe sur les événements en Ukraine : pour le Kremlin, la coalition au pouvoir à Kiev, parfois qualifiée de « junte militaire », est ouvertement antisémite.

Sans surprise, cet argument est massivement utilisé pour justifier la défense de la population russophone en Ukraine, au nom de « la lutte contre le fascisme » – avec là aussi un clin d’œil appuyé aux événements d’il y a plus de 70 ans dans l’Union soviétique.

Deux semaines auparavant, le sort des juifs ukrainiens avait déjà fait la une des médias. Cette fois-ci il s’agissait d’un tract anonyme frappé des symboles de la République autoproclamée de Donetsk.

Le texte, qui s’est répandu de façon virale sur les réseaux sociaux, enjoignait aux juifs de cette ville russophone de l’est ukrainien de « s’enregistrer » auprès des nouvelles autorités et de déclarer tous leurs biens. Panique et indignation – mais occidentale cette fois-ci. « C’est non seulement intolérable, mais aussi grotesque.

C’est au-delà de l’inacceptable » a réagit le secrétaire d’État américain John Kerry. La conclusion s’imposait d’elle-même : les véritables antisémites étaient les pro-russes en Ukraine. Là aussi, peu de cas a été fait des doutes de la communauté quant à l’authenticité de ce tract – sans parler des démentis énergiques des autorités locales.

A Donetsk, lieu de résidence de quelque 17 000 juifs, personne n’a adossé la responsabilité de ce tract. En revanche, ses objectifs ne faisaient que peu de doute au sein de la communauté : il s’agissait d’une « provocation », une de plus, pour utiliser le sort des juifs dans la guerre des mots et des images opposant les pro-russes au pouvoir central ukrainien.

Lettre ouverte à Vladimir Poutine

« La question de l’antisémitisme est systématiquement instrumentalisée depuis le début de la crise ukrainienne », constate l’ancien dissident soviétique, président de l’Association des organisations et des communautés juives de l’Ukraine, Josef Zissels.

Comme beaucoup de ses collègues, cet homme a multiplié les déclarations pour calmer les esprits, a fait plusieurs voyages à l’étranger avec un seul argument à la bouche : Oui, l’antisémitisme existe en Ukraine mais il n’est en aucun cas en augmentation.

Et, surtout, la défense de la communauté ne devrait en aucun cas servir la propagande de guerre.

« Quand Poutine dit que l’agression russe est justifiée par la montée de l’antisémitisme en Ukraine, c’est son régime qui veut provoquer l’antisémitisme pour justifier son agression. Nous avons eu la preuve de telles provocations.

Si les journalistes ne sont pas capables de démêler cette question, que dire de la population ? », s’interroge-t-il. Le 4 mars, plusieurs personnalités juives ukrainiennes ont adressé une lettre ouverte à Vladimir Poutine lui signifiant que la communauté ne souhaitait pas être « défendue » par la Russie.

Mais la question se complique un peu plus lorsque les juifs eux-mêmes ne parlent pas d’une seule voix.

Josef Zissels, qui est aussi l’un des vice-présidents du Congrès juif mondial, a vivement regretté que la voix des juifs ukrainiens soit si peu entendue dans les instances communautaires internationales si promptes à tirer la sonnette d’alarme sur l’antisémitisme dans le pays.

A cela s’ajoute l’intense lobbying des leaders juifs de Russie qui appellent à des résolutions très dures sur l’Ukraine. Ainsi le 20 mars dernier, la très influente Fédération des communautés juives de Russie, s’est officiellement inquiétée des conséquences de la crise ukrainienne sur le sort des juifs locaux.

Son président n’est autre que Berl Lazar, le grand rabbin de Russie, réputé très proche de Vladimir Poutine.

Il appartient à la congrégation orthodoxe Chabbad qui est devenue, avec la bénédiction du Kremlin, la voix officielle des juifs de Russie.

Or, les juifs ukrainiens sont dans leur écrasante majorité russophones et certains, pas forcément rassurés par les nouvelles autorités de Kiev soutenues par les nationalistes de l’extrême-droite, ne sont pas restés insensibles aux appels de leurs coreligionnaires de l’autre côté de la frontière.

Dans tous les cas, l’expression de la judéité reste – comme presque tout en Ukraine ces jours-ci – un choix éminemment géopolitique.

Alexandre LévyFait-Religieux.com

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires