(FILES) US writer Paul Auster looks on in Lyon on January 16, 2018. Paul Auster, the prolific American author whose works included "The New York Trilogy," has died of complications from lung cancer, the New York Times reported April 30, 2024. He was 77. Auster died at his home in Brooklyn, the newspaper said, citing a friend of the novelist, Jacki Lyden. (Photo by JEFF PACHOUD / AFP)

Paul Auster, géant des lettres américaines, est mort

L’immense écrivain est mort à l’âge de 77 ans. Emblème des lettres new-yorkaises, il laisse derrière lui une vie traversée par le talent, comme par la tragédie.

Par Florence Colombani

« L’homme n’a pas une seule et même vie ; il en a plusieurs, mises bout à bout, et c’est sa misère. » À l’heure où disparaît Paul Auster, mort mardi 30 avril 2024 à l’âge de 77 ans, cette phrase de Chateaubriand, placée en épigraphe du Livre des illusions (2002), prend un sens particulier. Auteur d’une œuvre ample – dix-sept romans, huit recueils de poèmes, cinq essais autobiographiques, un livre de correspondance avec le Prix Nobel J. M. Coetzee et quatre films –, l’auteur américain avait-il le sentiment d’avoir eu une seule vie ou plusieurs mises bout à bout ?

Dans son dernier livre majeur, l’ambitieux 4 3 2 1, il explorait en tout cas les quatre existences alternatives d’un personnage dénommé Archie Ferguson qui lui ressemblait fort. Et toute son œuvre en témoigne : Auster, grand romancier du hasard, était hanté par l’idée de la multiplicité des destins, et par le caractère fondamentalement tragique de l’existence.

La première des vies de Paul Auster commence à Newark (New Jersey), le 3 février 1947, dans une famille de la classe moyenne juive. Le bureau d’immigration d’Ellis Island apparaît dans nombre de ses romans, notamment Moon Palace et 4 3 2 1… Et pour cause : on a immigré de Russie du côté de Sam, le père, et d’Autriche du côté de Queenie, la mère.

À ce lourd passé (spectre des pogroms tsaristes et de la Shoah) s’ajoute une tragédie qu’Auster découvrira à l’âge adulte : quand Sam Auster avait 8 ans, sa mère – la grand-mère de Paul Auster – a tué son père. Acquittée pour folie passagère, elle a refait sa vie, avec ses cinq enfants, en leur interdisant de dévoiler à quiconque ce terrible secret de famille. Voilà qui explique, au moins en partie, le mutisme de Sam, un homme difficile à cerner auquel son fils consacre, dans L’Invention de la solitude, des pages intitulées « Portrait d’un homme invisible ».

Dans l’enfance, le jeune Paul trouve du réconfort dans les livres et le cinéma. En vrai enfant des années 1950, il aime La Guerre des mondes et L’homme qui rétrécit. Adolescent rebelle et déjà sujet à des crises dépressives, il rêve de quitter Newark et travaille sur des nouvelles en se rêvant grand écrivain. Il est marqué, à l’âge de 14 ans, par la mort sous ses yeux d’un camarade foudroyé lors d’une randonnée, un épisode que l’on retrouve sous différentes formes dans plusieurs de ses romans.

L’entrée à Columbia University, en 1965, marque le début de la deuxième vie de Paul Auster. Il se passionne pour Borges (influence majeure de son œuvre) et Sartre, mais aussi pour Nathaniel Hawthorne et Edgar Allan Poe, deux auteurs dont il se dira plus tard « extraordinairement proche » en tant que pionniers du grand roman américain. Il participe aussi à l’effervescence politique de l’époque, et aux sit-in de protestation contre la guerre du Vietnam.

Après son diplôme, en 1970, il s’installe à Paris (où il est déjà venu en 1967, échouant au concours de l’Idhec, ancêtre de la Femis). Paul Auster a 23 ans, et mène une vie de bohème dans sa chambre de bonne, entre rencontres furtives avec des prostituées, écriture de poèmes et traductions. Ses deux auteurs de prédilection sont alors Stéphane Mallarmé et Joseph Joubert, un essayiste et moraliste dont un Recueil de pensées fut édité par Chateaubriand. Malgré le romantisme de ces années, le désespoir n’est jamais loin.

La « trilogie new-yorkaise » de Paul Auster

Avec sa compagne, l’écrivaine et traductrice du français Lydia Davis qu’il épouse en 1974, Paul Auster rentre aux États-Unis. Dans Le Diable par la queue, un texte qui évoque sa vie sous l’angle de l’argent, Auster raconte leurs années de pauvreté extrême, notamment au moment de la naissance de leur fils, Daniel. Il enchaîne les petits boulots absurdes, pense à l’argent du matin au soir, publie un roman policier sous pseudonyme et plusieurs recueils de poèmes sans pour autant améliorer sa situation matérielle.

Ce n’est qu’après son divorce d’avec Lydia Davis, en 1977, que Paul Auster rencontre le succès. L’Invention de la solitude, un livre autobiographique mais écrit avec un goût de la distanciation venu de France, le transforme du jour au lendemain en écrivain à suivre. Une nouvelle vie commence alors, auprès de Siri Hustvedt (née en 1955), philosophe, spécialiste d’épistémologie, et romancière. Le couple, qui se marie en 1981, s’installe à Park Slope (un quartier de Brooklyn devenu au fil du temps de plus en plus chic). Il est grand et ténébreux, elle est blonde et longiligne: leur duo est si glamour qu’on leur propose, au fil des ans, plusieurs contrats de publicité. Auster et Hustvedt – dont la fille Sophie naît en 1987 – sont bientôt de vraies icônes de la scène littéraire new-yorkaise.

New York est justement l’un des grands motifs de l’œuvre. Dans sa trilogie dite « new-yorkaise » et qui se compose de Cité de verre, Revenants et La Chambre dérobée, Auster réinvente le roman de détective en puzzle à la Borges. Manhattan – en particulier le quartier de Columbia University – y devient un paysage mental labyrinthique, où l’on marche des heures sans faire le moindre progrès et où les appartements difficiles à trouver cachent d’innommables secrets.

New York, et plus particulièrement Brooklyn, est aussi le personnage central des films que Paul Auster coréalise avec Wayne Wang dans les années 1990, Smoke et Brooklyn Boogie. Dans le premier film, Auggie, le patron de magasin de cigarettes joué par Harvey Keitel, prend chaque jour une photographie de sa rue, à la même heure, du même endroit. Méticuleux, intéressé par l’indicible et l’impalpable, il est une véritable figure d’artiste. Smoke est un grand succès, notamment en France où Paul Auster n’a jamais cessé de se rendre et où il est un auteur culte depuis le milieu des années 1980.

Tragédies personnelles

Dans un livre d’entretiens qui paraît en 2020, Paul Auster explique être obsédé par « la fissure ouverte entre le monde et le mot ». Il cherche, dans ses grands romans – Moon Palace, Mr Vertigo, Leviathan, Sunset Park – comme dans ses textes autobiographiques (les très beaux Chronique d’hiver et Excursions dans la zone intérieure), à trouver les mots justes pour raconter une certaine réalité américaine : l’immigration, le racisme, le capitalisme et ses dérives, la crise financière… Les romans procèdent par cercles concentriques, évoquent des croisements de destins, des coïncidences troublantes, des vies qui bifurquent. Les autobiographies explorent sur un mode douloureux le thème de la solitude existentielle présent dans plusieurs romans, notamment dans Moon Palace.

Auster ne cache pas ses périodes dépressives, sa difficulté d’être. Il passe cependant sous silence certains aspects de sa vie, notamment la trajectoire troublée de son fils, Daniel. Dans son roman à succès Tout ce que j’aimais, dédié à son mari, Siri Hustvedt met en scène un adolescent à problèmes, à la limite de la sociopathie, qui se retrouve mêlé au meurtre d’un dealer. Quelques années plus tôt, en 1996, Daniel – 18 ans – était de fait présent dans un appartement de Hell’s Kitchen lors de l’assassinat particulièrement sordide d’un dealer de drogue, Andre Melendez, dit « Angel ».

Après ce premier drame, Daniel Auster mène une carrière de photographe et de DJ très perturbée par son addiction à la drogue. En 2021, alors qu’elle se trouve en sa compagnie, sa fille Ruby, 18 mois, ingère un mélange de fentanyl et d’héroïne et succombe. Daniel Auster est inculpé pour homicide involontaire. Quelques mois plus tard, il est retrouvé inconscient sur un quai de métro à Brooklyn et meurt d’une overdose à l’âge de 44 ans.

« Baumgartner », le portrait amoureux de sa femme Siri Hustvedt

Après cette tragédie indicible dont il refuse absolument de parler à la presse, Paul Auster fait paraître un livre, Pays de sang : une histoire de la violence par arme à feu aux États-Unis. Ses textes accompagnent les photos de son gendre, Spencer Ostrander. Ils racontent un pays en deuil : à Aurora, Newtown ou Uvalde, partout où ont eu lieu des tueries de masse.

« Dernier bulletin de Cancerland » : ainsi Siri Hustvedt intitule-t-elle les posts Instagram qu’elle écrit depuis l’été 2023 au sujet de ce pays « déroutant et traître », celui de la maladie, qu’habitait ces derniers temps Paul Auster. C’est aussi sur ce média social (où elle a plus de 33 000 « followers ») que la romancière annonçait il y a quelques mois « un petit livre tendre et miraculeux » de son mari, Baumgartner, paru tout récemment chez l’éditeur français d’Auster, Actes Sud.

Le personnage central en est Sy Baumgartner, un professeur de philosophie de 71 ans qui revisite la grande histoire de sa vie, l’amour qui l’a uni à sa femme Anna, disparue une dizaine d’années auparavant. Une conscience aiguë de la fragilité des choses donne à ce roman entièrement écrit au présent de l’indicatif, un sentiment d’urgence. Ce livre-bilan sur ce qui compte dans l’existence à l’heure où elle s’achemine vers son terme est aussi, et peut-être surtout, le portrait amoureux d’une femme adorée jusque dans l’au-delà.

Avec Paul Auster disparaît un esprit brillant, cultivé, un romancier devenu avec le temps de plus en plus profond dans son regard sur la vie, un Américain percuté malgré lui par la violence de son pays. Autant de facettes à explorer en replongeant dans son œuvre remarquable.

Tous les livres de Paul Auster sont disponibles chez Actes Sud, dans des traductions de Pierre Furlan, Christine Le Bœuf, Gérard Meudal et Anne-Laure Tissut.

JForum.fr avec www.lepoint.fr

 

La vraie biographie de Paul Auster ne tient qu’en quelques lignes, celle de son œuvre.

C’est à travers le dédale de ses récits, que l’on retrouve l’homme et l’artiste.

Paul Auster écrivait au stylo ou avec une vieille machine à écrire Olympia, l’ordinateur l’intimidait.

« Écrire à la main est une expérience tactile, physique. Les mots viennent vraiment de mon corps. »

Il écrivait 6 heures par jour. 7 jours sur 7.

Il a écrit au total 34 bouquins dont 18 romans.

Sa vie ne s’est pas arrêtée hier.

Il nous reste à la découvrir à travers son œuvre.

Ne croyez pas la mort, la vie réelle est une fiction.

Daniel Sarfati

JForum.fr avec www.tribunejuive.info

 

 

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