Après (l’Indépendance de) 1948, beaucoup de Juifs du monde occidental ont progressivement commencé à se considérer comme vivant en Diaspora, plutôt qu’en Galout, le mot hébreu qui décrit l’Exil. L’établissement de l’Etat d’Israël a apporté aux Juifs de l’étranger une plus grande confiance en eux et leur perception d’eux-mêmes a changé en conséquence. Parallèlement, de nombreuses institutions israéliennes ont commencé à faire, de plus en plus, usage du terme tfutsot (diaspora), afin de décrire ces Juifs qui vivent à l’extérieur du pays. Comme beaucoup de ses prédécesseurs, l’actuel gouvernement israélien dispose d’un Ministère qui comporte ce terme de “Diaspora” dans sa dénomination.

Au cours de ce nouveau siècle, cependant, un nombre croissant de Juifs d’Europe est passé – mais sans déménager – du fait de vivre dans la diaspora israélienne pour devenir des Juifs d’Exil. Ce changement de perspective est la conséquence du sentiment d’être la cible de violences, qui, en tant qu’étrangers, doivent prendre, lorsqu’ils se réunissent, des mesures de précaution qui ne seraient pas nécessaires pour les autres. Il y a aussi une crainte grandissante d’exprimer son identité comme on le souhaiterait et il est devenu impossible de déclarer franchement et librement ses opinions.

Ainsi, ces Juifs sont, de facto en Exil, même si leurs conditions de vie diffèrent de celles des Juifs Européens, à la suite de la Seconde Guerre Mondiale. La Shoah a appris à la plupart des Juifs qu’ils n’étaient pas considérés comme faisant partie de la population d’origine de leur pays, peu importe le passeport dont ils disposaient. Ce n’est pas tant à cause de ce que les occupants allemands leur ont fait, mais que dû à l’attitude et au comportement de beaucoup de leurs concitoyens, au cours de la même période.

Il y a plus de dix ans, l’historien israélien disparu David Bankier a décrit avec beaucoup d’éloquence la réalité polonaise, dans le pays où se situait la plus vaste population juive de l’Europe d’avant-guerre. Lorsque je l’ai interviewé, Bankier m’a dit : “Les Juifs n’ont jamais été considérés comme faisant partie de la fabrique de la société polonaise. Leurs ancêtres pouvaient bien avoir vécu là depuis 900 ou 1.000 ans, mais puisqu’ils n’appartenaient pas à la majorité nationale, ils demeuraient des étrangers. La plupart des gens du peuple n’ont pas perçu la catastrophe qui s’abattaient sur les Juifs de Pologne comme une tragédie affectant la nation polonaise. Au mieux, ils percevaient deux désastres parallèles provoqués par les Allemands. L’un concernait la nation polonaise et l’autre les Juifs[1]”.

Bankier citait aussi une dirigeante de l’armée clandestine qui affirmait que cela relevait de son devoir d’aider à sauver des vies juives durant la guerre. Elle ajoutait, cependant, qu’après la guerre, les Juifs devraient quitter la Pologne, parce qu’elle ne voulait vivre qu’entre vrais Polonais.

La Shoah a représenté un énorme défi meurtrier pour tous les Juifs des pays occupés par les Allemands. Pour les Juifs assimilés, cependant, il s’agissait aussi d’un défi intellectuel majeur : le fait de concevoir sa propre identité en niant ou en rejetant sa propre judéité était devenu totalement obsolète. Un troisième parti, l’occupant, déterminait à présent si vous étiez ou n’étiez pas juif.

Lorsque l’Etat d’Israël s’est instauré, les Juifs d’Europe de l’Ouest ont, progressivement commencé à se sentir comme tout autre citoyen. L’Antisémitisme devenait essentiellement latent. Toutes les positions sociales étaient ouvertes aux Juifs. Avant-guerre, aux Pays-Bas, par exemple, certaines positions officielles étaient de facto interdites aux Juifs. Elles comprenaient, notamment, la nomination en tant que maire d’une ville. Uniquement à Amsterdam, depuis, on en compte quatre. Le service diplomatique était aussi fermé aux Juifs d’avant-guerre. Après la guerre, il y a eu des diplomates juifs – dont un était un Juif très orthodoxe.

Dans les années 1950, lorsque j’étais élève du lycée juif d’Amsterdam, le concierge pouvait ouvrir la porte, lorsque la sonnerie tintait sans vérifier prudemment qui se trouvait à l’extérieur. A l’école juive élémentaire, durant la récession, nous autres, les enfants, jouions dans la rue en face de l’école. Aujourd’hui, lorsque je me promène par les rues d’Amsterdam, je vois les enfants des écoles publiques jouer librement dans la cour de l’école. Il n’y a nulle crainte que quelqu’un puisse tenter de leur faire du mal. Dans un saisissant contraste, les enfants présents dans les écoles juives ne le font que dans l’enceinte de bâtiments qui sont des quasi-forteresses et on leur enseigne à ne pas porter à l’extérieur quelque signe distinctif qui puisse permettre de les identifier en tant que Juifs.

Dans ce siècle nouveau, différents dirigeants juifs ont recommandé que les Juifs cachent leur identité en place publique. Lors d’une interview à la radio, en 2003, par exemple, le Grand Rabbin de France de l’époque, Joseph Sitruk a demandé aux Juifs de France de porter des chapeaux ou des casquettes, plutôt que des kippot, de façon à éviter d’être agressés dans les rues[2].

Un simple petit exemple de la façon dont les Juifs sont la cible d’agressions verbales sur leur lieu de travail, au nom de ce qu’Israël ferait, ou serait supposé faire, nous est donné par une infirmière juive que j’ai interviewée, dans un hôpital d’Amsterdam. Connaissant bien la réalité hollandaise, elle a requis l’anonymat. Elle m’a dit : “Chaque fois que les medias néerlandais écrivent quoi que ce soit sur Israël, les gens entament un débat politique avec moi. Ils se comportent comme si c’était moi qui façonnait la politique israélienne. Personne ne dirait à quelqu’un ayant de la famille en Italie : “Quelle folie a encore fait Berlusconi? [3]

Même le fait d’affirmer la vérité s’avère problématique pour les dirigeants juifs dans certains pays. En février de cette année, Roger Cukierman, le chef de l’organisme coordonnant  les organisations juives, le CRIF, a déclaré que tous les actes de violence commis contre la communauté juive étaient le fait de jeunes musulmans, “même s’ils ne représentent qu’une infime minorité de la communauté musulmane[4]”. Là-dessus, le Président François Hollande a appelé à une rencontre de “réconciliation” entre Cukierman et un dirigeant musulman, Dalil Boubekeur. L’objectif de cette rencontre consistait essentiellement à masquer la vérité.

Nous en sommes encore à attendre le premier dirigeant juif en Europe qui déclarera la vérité crûe : que l’immigration de masse de vastes quantités de Musulmans de façon non-sélective est la pire chose qui soit arrivée aux Communautés Juives depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Pour être tout-à-fait juste, on devrait ajouter que c’est en partie la faute des autorités gouvernementales qui les ont fait entrer de façon indiscriminée, sans être préparées à les intégrer dans la société.

Les réactions de nombreux Juifs à ces évolutions montrent que leur attitude est devenue de plus en plus conforme à la mentalité classique de la Galout. C’est devenu parfaitement évident, lors d’une étude de 2013, conduit par l’Agence Européenne sur les Droits Fondamentaux. Elle a été entreprise en France, en Belgique, en Hongrie, au Danemark, en Lettonie, en Italie, en Suède et au Royaume-Uni. Cette étude montrait qu’en moyenne, 20% des Juifs de ces pays disaient qu’ils évitent toujours de porter ou dévoiler des choses qui puissant contribuer à leur identification en tant que Juifs, par les autres, dans les lieux publics[5].

De tous les pays décrits dans l’étude, la Suède comportait le pourcentage le plus élevé de Juifs qui tentent d’éviter de se faire repérer, avec 34% des sondés déclarant qu’ils évitaient, la plupart du temps, de faciliter une telle identification [6]. Ceci ne peut s’expliquer uniquement par les incidents antisémites fréquents qui se déroulent à Malmö, et qui sont essentiellement commis par les Musulmans. La population juive de cette ville ne représente guère plus que 10% de l’ensemble de la communauté juive suédoise.

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En 2011, Islin Abrahamsen et Chava Savosnick ont mené une étude qualitative pour la communauté juive norvégienne, concernant l’expérience des enfants et adolescents juifs, en matière d’antisémitisme dans leur pays. Vingt-et-un jeunes Juifs Norvégiens, d’âge scolaire et jusqu’à 25 ans ont été interviewés. L’étude a découvert que, souvent, les jeunes Juifs ne révèlent pas leur identité religieuse. Certains ont changé d’école, ou leurs parents ont même changé de lieu de résidence, à cause de l’antisémitisme qu’ils ont subi[7].

Bien que le fait de devoir cacher son identité juive puisse être le principal indicateur de cette renaissance de la mentalité de Galout, il y en a beaucoup d’autres.

Alors que ce phénomène de Galout est bien implanté en Europe, il existe aux Etats-Unis également. Un exemple typique en est la réaction discutable (ou inexistante) des Juifs à un ensemble de déclarations faites par le Président américain Barack Obama, qui emploie régulièrement des normes à deux vitesses (ou double-standards) contre Israël.

Alors que les pressions contre les Juifs à l’étranger ne cessent d’augmenter, la mentalité de Galout chez de nombreux Juifs ne pourra que continuer à augmenter. Elle n’en deviendra que plus évidente encore qu’aujourd’hui, à tel point que nous ne devrions plus parler d’une Diaspora juive, mais plutôt des Juifs européens en Exil.

Par Manfred Gerstenfeld

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Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

[1] Manfred Gerstenfeld, Europe’s Crumbling Myths, The Post-Holocaust Origins of Today’s Anti-Semitism, (Jerusalem: Jerusalem Center for Public Affairs, Yad Vashem, World Jewish Congress, 2003), 93-101.

[2] Philip Carmel, “Proposals on yarmulkes, Yom Kippur given mixed reaction by French Jews,” JTA, 14 December 2003.

[3] Manfred Gerstenfeld, “ Jewish and Cautious in Amsterdam,” Israel National News, 24 February 2014.

[4] “Propos sur les musulmans: Hollande réconcilie Cukierman et Boubakeur,” Le Parisien, 24 February 2015.

[5] “Discrimination and hate crime against Jews in EU Member States: experiences and perceptions of anti-Semitism,” European Union Agency for Fundamental Rights,2013, 36

[6] Ibid.

[7] Stein Gudvangen, ”GNorske barn tør ikke stå fram som jøder,” Dagen. (Norwegian), 6 June 2012.

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