Le Metternich* Moyen-Oriental de Riyadh réalise le 1er grand tour de force dans le monde sunnite depuis Nasser

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Parier sur la disparition de la Monarchie saoudienne est devenu une industrie florissante dans le circuit des think-Tank, au cours de la dernière décennie. Il n’y a pas si longtemps, je siégeais au sein de conclaves privés organisés par des responsables de la sécurité nationale américaine, parsemés d’experts invités, et où le consensus le mieux partagé, le jeu de la barbichette consistait à démontrer par A+B que la famille royale saoudienne disparaîtrait dans moins de dix ans. C’est, en fait, un des postulats de base de la vision présumée « réaliste » soutenant que la politique américaine dans la région ferait bien mieux de se tourner vers l’Iran, puisque la monarchie saoudienne était sur le point de s’effondrer et avec elle, les fondements du pouvoir sunnite dans la région. Chacun d’entre nous sous-estimait complètement les Saoudiens.

Aujourd’hui, les Saoudiens viennent de se hisser au sommet d’une coalition sunnite contre l’Iran – qui se limite, pour le moment à combattre l’insurrection houtie au Yémen- et, pour sûr, cela n’en constitue pas moins le morceau de bravoure diplomatique le plus impressionnant dans le monde sunnite, depuis Nasser et, peut-être, depuis le début des temps modernes. Ce serait, certes, attribuer beaucoup d’importance à une coalition rassemblée pour un problème apparemment mineur dans un petit pays, mais cela peut devenir le point de départ de quelque chose de déterminant pour la suite : l’affirmation de soi du monde sunnite, pour faire face à l’effondrement de la puissance régionale de l’Amérique, à la menace des insurrections jihadistes sunnites et à la tentative chi’ite d’instaurer son hégémonie régionale.

Le narratif commun tenait pour acquis que la famille royale saoudienne allait se fracturer, juste après la mort du Roi Abdallah, laissant derrière lui une génération sclérosée et sénile de princes pour présider à cette liquidation d’une vieille relique coloniale. Après le soi-disant « Printemps Arabe » de 2011, on a commencé à parier de l’argent facile sur les Islamistes, dans leur fusion entre le fondamentalisme religieux et les techniques de gouvernance politique moderne :

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« Etant donnée l’horreur qui règne sur les terres arabes d’après la Seconde Guerre Mondiale, où même les régimes les plus ordinaires disposent de services de sécurité qui se font une joie d’utiliser la torture, les Islamistes, qui ont réussi à braver l’emprise des dictateurs et à critiquer de façon incisive la décomposition morale de leurs sociétés sont sur le point d’apporter un bien pour un mal, dans une période post-laïque. Ce qui semble très mal compris en Occident, c’est à quel point ces fondamentalistes auront un rôle crucial à jouer, dans la rénovation morale et politique de leurs sociétés. Aussi contre-intuitif cela peut-il paraître à l’instant t, ils sont la clé de l’élaboration de politiques plus démocratiques, plus libérales, dans la région » écrivait Reuel Marc Gerecht, en 2012.

Ecritre des nécrologies prématurées au sujet de la monarchie saoudienne n’a pas été uniquement un monopole occidental. A la fin de l’année dernière, un grand analyste chinois très réputé, m’a dit : « N’est-ce pas ironique ? –Nous les Chinois modernistes et vous les Américains tellement modernes essayons de tenir à bouts de bras cette monstruosité médiévale ! ».

Mais, comparés à la politique étrangère de la clique d’Obama, les Saoudiens s’avèrent être les nouveaux Metternich du Moyen-Orient. La coalition de 10 nations que Riyad a su rassembler pour contrer l’intervention iranienne au Yémen dispose d’un mandat large pour, à terme, contenir l’Iran dans toute la région. Comme l’a suggéré Zvi Har’el dans le Haaretz : «  Sur le plan diplomatique, l’Arabie Saoudite semble être parvenue à en faire en sorte que le Soudan rompe ses liens traditionnels d’alliance avec l’Iran ; le Président soudanais Omar el Béchir, qui est recherché par la Cour Pénale Internationalde pour crimes contre l’humanité, a été reçu en grandes pompes et en fanfare par le Roi Salman, et à la fin de sa visite, il a annoncé que son pays rejoignait la coalition. Il a aussi ordonné l’expulsion de toutes les délégations iraniennes présentes dans son pays, transmettant ainsi un nouvel atout important à l’Arabie Saoudite, dans l’équilibre des pouvoirs contre l’Iran. Le Qatar a aussi rejoint la coalition, malgré le fait qu’on le considère comme un autre allié de l’Iran (avec le Soudan). Plus important, l’Arabie Saoudite et ses alliés se sont donnés carte blanche pour intervenir dans tout pays arabe qui choisit de se joindre à la sphère d’influence de l’Iran ».

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Encore plus important, les Saoudiens ont gagné le soutien de deux pays voisins de l’Iran, dotés d’armées bien plus puissantes que celle cde Téhéran : la Turquie et le Pakistan. « L’Iran tente de dominer la région », a déclaré le Président turc Recep Tayyip Erdogan, lors d’une conférence de presse, le 26 mars. « Peut-on le permettre ? Cela commence à nous ennuyer, nous, l’Arabie Saoudite et les Pays du Golfe. Ce n’est réellement pas tolérable et l’Iran doit le voir et le comprendre ». Il s’agit d’un revirement drastique dans la posture de la Turquie, qui, par le passé, a cherché des relations équilibrées avec tous ses voisins. Le soutien turc aux Frères Musulmans d’Egypte contre le gouvernement, appuyé par les Saoudiens, du Général Fatah al Sissi était aussi une source de discorde avec Riyad, au moins parce que les Frères Musulmans veulent renverser et remplacer la monarchie saoudienne. Le Pakistan, lourdement dépendant de l’aide saoudienne, a initialement rejeté ; les requêtes saoudiennes d’une présence de ses troupes sur ses frontières avec le Yémen, mais envisage d’apporter une assistance militaire.

La Turquie cumule une dette de 320 milliards de $ en monnaie forte, qu’elle a virtuellement entièrement accumulée depuis 2008, et sa monnaie a perdu 30% de sa valeur face au dollar, depuis la mi-2014, laissant les débiteurs turcs face à des coûts de service de la dette encore plus élevés. Une grosse partie de ses emprunts d’argent étranger est transférée par le biais des banques, et l’essentiel de l’argent provient des Etats saoudien et d’autres monarchies du Golfe. Les contraintes de la dette turque ont entraîné son économie à une quasi-récession, ses sorties de production chutant de plus de 2% d’une année sur l’autre. La stature politique d’Erdogan, qui dépendait du crédit facile et d’une dépense publique populiste, est en péril. Il semble probable que les Saoudiens ont su jouer de l’option Erdogan, pour laquelle ils ont payé une prime élevée, au cours de plusieurs des années passées.  

Ce n’est pas seulement que les Saoudiens ont agi sans l’aide des Etats-Unis, mais surtout qu’ils ont agi en totale infraction avec l’objectif fondamental des Américains, qui consiste à engager l’Iran dans l’architecture sécuritaire de la région, en tant qu’acteur déterminant et « responsable ». Les Etats-Unis étaient peut-être vaguement au courant, mais pas informés des détails des opérations en préparation.

« A l’audition de la Commission des forces Armées du Sénat, ce jeudi, le Général Lloyd Austin, chef du Commandement Central américain, a déclaré qu’il ne savait rien du fait que les Saoudiens étaient réellement prêts à attaquer le Yémen, jusqu’à une heure avant que l’opération ne commence. Austin, dont les théâtres qu’il doit superviser concernent le Yémen, aurait normalement dû s’attendre à être informé bien plus tôt de l’ampleur d’une telle opération. Un autre responsable du CentCom, qui a requis l’anonymat, nous a dit, jeudi soir, qu’Austin avait des « indications », durant le week-end précédent, qu’il pourrait bien se produire quelque chose, mais qu’il n’a pas pu obtenir la moindre confirmation avant mercredi », ont rapporté Eli Lake and Josh Rogin sur Bloomberg News.

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C’est la deuxième fois en quelques mois à peine que les Saoudiens prennent le monde par surprise. La première fois, c’était en septembre dernier, lorsqu’ils ont initié une chute des prix du pétrole en refusant de réduire leur production, face à un sursaut des revenus américains du pétrole. Cela leur a permis de tuer deux oiseaux avec la même pierre [de faire d’une pierre deux coups], soit gagner la compétition contre les coûts plus élevés pour les producteurs de gaz de schiste américains, et contre le budget total du régime iranien. Personne ne l’avait vu venir. Pour ceux d’entre nous qui aiment les surprises, Riyad en est devenue une source bienvenue, au cours de ces derniers mois. Nous avons hâte qu’il y en ait d’autres.

David P. Goldman est chercheur principal du London Centre Londonien de Recherche Politique  et titulaire de la chaire de la famille Wax au Middle East Forum. Son livre :  How Civilizations Die (and why Islam is Dying, Too) a été publié en Septembre 2011. Un volume de son Essai sur culture, religion et economie, It’s Not the End of the World – It’s Just the End of You, est aussi paru cet automne.

 

*Klément Wenceslas de Metternich  :  consacra sa vie au maintien de la société d’Ancien Régime face au bouleversement qu’engendra la Révolution française, puis au maintien de la position autrichienne et de l’équilibre des puissances.

par David P. Goldman
Asia Times Online
29 mars 2015

http://www.meforum.org/5147/saudi-metternichs

Adaptation : Marc Brzustowski.

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