L’actrice Michèle Morgan s’est éteinte à l’âge de 96 ans

DISPARITION/EN IMAGES – La comédienne connue pour avoir «les plus beaux yeux du cinéma» est décédée ce mardi, a annoncé sa famille.

«Les plus beaux yeux du cinéma se sont fermés à jamais. Tu crois que quand je disparaîtrai, “ils” écriront ça?» Cette question de Michèle Morgan à son compagnon Gérard Oury prend toute sa force aujourd’hui avec la disparition de l’actrice fétiche des Françaises, à 96 ans. «Dans sa 97ème année, les plus beaux yeux du cinéma se sont fermés définitivement ce matin, le mardi 20 décembre», a annoncé sa famille dans un communiqué.

Michèle Morgan était celle à qui toutes les femmes souhaitaient s’identifier, celle dont aucun parfum de scandale n’a jamais terni la réputation, celle qui semblait à jamais douée pour le bonheur. Elle se défendait d’être un mythe, retournant la question à son interlocuteur: «Un mythe, c’est quoi? Est-ce une légende?» Elle enchaînait alors une réplique de la pièce Les Monstres sacrés, qu’elle joua en 1993, aux Bouffes Parisiens avec Jean Marais: «Une légende ne serait pas une légende si on lui ressemblait.» Et elle ajoutait: «Moi, je suis une femme qui a travaillé toute sa vie.»

Un «garçon manqué»

Sa vie, elle aimait la raconter. Pas avec cet air hiératique parfois glacé que lui a donné le cinéma. Volubile, les yeux brillants de malice, elle multipliait les effets de conteuse. Née un 29 février d’une année bissextile (1920), à Neuilly, Simone Roussel voyait là un clin d’œil du destin et le privilège de vieillir quatre fois moins vite que les autres.

Michèle Morgan en 1949, lors d'un shooting photo à Londres.

C’est à Dieppe, auprès de parents qui cultivent les vertus bourgeoises d’ardeur au travail et d’économie, qu’elle grandit. Délurée, véritable «garçon manqué», comme elle se décrit elle-même, l’été de ses quinze ans, sur la plage de Dieppe, elle gagne un concours de photogénie qui l’entraîne chez ses grands-parents à Neuilly. Elle aboutit sur le plateau de Mademoiselle Mozart où joue Danielle Darrieux. Le metteur en scène, Yvan Noé, lui dit: «Avec votre physique et vos quinze ans, il est impossible de ne pas réussir.»

Il l’envoie cependant prendre des leçons au Cours René Simon tout en la faisant tourner dans Mes tantes et moi. Elle cherche un nom de scène. Elle choisit Michèle pour prénom, ça fait chic. Quant à Morgan, elle l’emprunte à une banque. C’est sous le nom de Michèle Morgan qu’elle figure dans Gigolette d’Yvan Noé et dans Le Mioche de Léonide Moguy.

Ces débuts, ce regard aigue-marine attirent l’attention de trois hommes, le producteur André Daven, le scénariste Marcel Achard et le réalisateur Marc Allégret qui préparent Gribouille avec Raimu. Le grand et intimidant comédien fait patte de velours: «J’ai vu votre essai. Il va falloir que je me méfie», dit-il. Le succès est fulgurant pour Michèle qui, immédiatement après, tourne Orage, de Marc Allégret, avec celui qui est alors la star du cinéma mondial: Charles Boyer. Elle a dix-sept ans. Elle est déjà connue lorsque Gabin téléphone à Carné: «J’ai vu une môme très bien dans un film avec Raimu, Gribouille. Ça pourrait être ce qu’on cherche.»

On avait trouvé une silhouette de jeune fille en ciré noir, coiffée d’un petit béret, un visage pur, aux yeux de rêve, au regard insondable, un personnage envoûtant de passivité. «Un soir de demi-brume au Havre, Jean Gabin qui ressemblait à mon amour vint à ma rencontre», a écrit Michèle Morgan. Ce fut Le Quai des brumes de Marcel Carné et Jacques Prévert, avec Pierre Brasseur. Plus qu’un chef-d’œuvre: en 1936, un symbole d’un monde qui va disparaître. Le couple Michèle Morgan-Jean Gabin, entré dans l’histoire du cinéma, se reforme dans Le Récif de corail puis Remorques de Grémillon. Pendant le tournage, Michèle Morgan avoue qu’elle vit avec Gabin «une jolie romance». Bientôt, c’est la guerre ; l’Occupation. Ils partent pour l’Amérique et se retrouvent à Hollywood. Mais là, le charme est rompu.

Jean Gabin et Michèle Morgan dans Le Quai des Brumes en 1938

Le désenchantement d’Hollywood

Hollywood ne sait tirer parti ni de la beauté, ni du talent de l’actrice. Les producteurs lui proposent des rôles médiocres et l’obligent… à rembourrer son soutien-gorge. Même le film avec Humphrey Bogart, Cap sur Marseille, ne vaut pas grand-chose. Ce que trouve Michèle Morgan en Amérique, c’est un époux. Le beau Bill Marshall, épousé le 15 septembre 1942 et qui lui donne son seul enfant, Mike, né le 13 décembre 1944. Mais son mari est jaloux, sa belle famille étouffante. Le grand amour américain dégénère en scènes de ménage vulgaires. Michèle Morgan retraverse l’Atlantique. Pour un triomphe: La Symphonie pastorale de Jean Delannoy, d’après le livre d’André Gide, fait de l’actrice aux yeux magiques une aveugle. Elle obtient le prix d’interprétation du premier Festival de Cannes. C’est en 1946 et, après quatre ans d’exil hollywoodien, là voici à la première place parmi les comédiennes françaises.

À Rome, elle découvre la passion. Le réalisateur Alessandro Blasetti l’a fait venir pour le tournage de Fabiola. Elle a pour partenaire Henri Vidal. Ils ne se connaissent quasiment pas. Un an et demi plus tard, le 6 février 1950, ils se marient en secret. Un amour fulgurant. Mais Henri Vidal se drogue. Après maintes cures de désintoxication, il en meurt le 10 décembre 1959, quelques jours après la disparition de Gérard Philipe qui, en 1955, avait été le partenaire de Michèle dans Les Orgueilleux d’Yves Allégret et Les Grandes Manœuvres de René Clair.

Rencontre avec Gérard Oury

Gérard Oury apporte la sérénité dans la vie de Michèle. Ils s’étaient croisés jadis au Cours Simon. En 1949, ils se retrouvent dans La Belle que voilà de Jean-Paul Le Chanois. Michèle et Henri Vidal sont les vedettes. Gérard Oury joue une brute. Il doit embrasser violemment Michèle. Malgré maintes prises, il n’arrive pas à être brutal… Michèle enchaîne film sur film parmi lesquels Le Château de verre de René Clément, avec Jean Marais, et Destinées de Jean Delannoy où elle incarne Jeanne d’Arc.

La nouvelle vague rejette les acteurs en place, trop chers pour de jeunes cinéastes mais aussi trop intimidants. Michèle Morgan est cantonnée dans le cinéma traditionnel: elle est Joséphine de Beauharnais dans le Napoléon de Sacha Guitry, puis Marie-Antoinette dans Si Paris m’était conté du même Guitry. Claude Autant-Lara en fait une étonnante Marguerite de la nuit. Nouvelle rencontre avec Gérard Oury dans Le Miroir à deux faces. Scénariste de ce film dans lequel Michèle joue une femme laide que la chirurgie esthétique transforme en beauté, Gérard Oury s’est réservé un rôle secondaire au côté de Bourvil. Oury devient peu à peu le confident de Michèle.

Michèle Morgan avec Danielle Darrieux et Claudia Cardinale dans Les Lions sont lâchés d'Henri Verneuil, en 1961

Après la disparition d’Henri Vidal, leur complicité se resserre d’autant que Gérard Oury est devenu metteur en scène et l’on parle de tandem Morgan-Oury pour Le crime ne paie pas, en 1961, avec, outre Michèle, Danielle Darrieux, Edwige Feuillère et Annie Girardot. Le couple fait partie du tout-Paris mais chacun garde son indépendance. Il vit à Montmartre, elle, à Neuilly. Elle tourne d’excellents films, comme Landru de Chabrol, en 1962, ou Benjamin de Michel Deville, en 1967.

Après un long passage à vide de dix années, c’est Claude Lelouch qui la fait revenir à l’écran dans Le Chat et la Souris. Marraine du 50e Festival de Cannes, en 1996 et lion d’or pour l’ensemble de sa carrière à Venise, Michèle Morgan est revenue en 1997 devant une caméra. C’était pour un téléfilm de France 2, Pour faire plaisir à maman, écrit par Danièle Thompson, fille de Gérard Oury.

Michèle Morgan avec son César d'honneur en 1992.

Star aux soixante-cinq films, héroïne affranchie de l’avant-guerre, symbole érotique d’une époque dominée par la femme fatale achevant sa carrière dans la douceur d’une vie bourgeoise, elle aimait la commenter simplement.«J’ai toujours incarné l’image d’une femme française dans laquelle on pouvait se retrouver. Je ne me voyais pas en femme de mauvaise vie et, d’ailleurs, personne n’y aurait cru. Surtout pas les femmes qui sont les trois quarts de mon public.»

Un triomphe au théâtre

Gérard Oury repense à la période où Michèle était au Cours Simon. Il parle théâtre. Michèle laisse dire. Jusqu’au jour de 1977 où le directeur du théâtre du Palais-Royal et des Variétés, Jean-Michel Rouzières, lui propose de jouer avec Pierre Mondy, Le Tout pour le tout. «Le théâtre, c’est une longue course de deux heures. Il faut du souffle», dit-elle.

Du souffle, Michèle en a pour cette pièce de Françoise Dorin qui fait un triomphe, pour Chéri de Colette, pour Une femme sans histoire de Gurney. Elle incarne trois héroïnes, Roxane, Léa et Claire qui personnifient de riches élégantes dans lesquelles elle se glisse comme un gant. Pour Les Monstres sacrés de Jean Cocteau, avec son ami «Jeannot», Jean Marais, elle trouve un ton de désinvolture, une légèreté inégalable.


CHRONOLOGIE

1935 – Une fille à papa, de René Guissart

1937Gribouilleet Orage,de Marc Allégret

1938Quai des brumes, de Marcel Carné

1939La Loi du Nord/La Piste du Nord, de Jacques Feyder

1940 – Remorques,de Jean Grémillon

1943 – Amour et swing, de Tim Whelan

1944 – Passage to Marseille, de Michael Curtiz

1946 – L’Évadée, d’Arthur Ripley, La Symphonie pastorale, de Jean Delannoy

1948Aux yeux du souvenir,de Jean Delannoy, Fabiola, d’Alessandro Blasetti, Première Désillusion, de Carol Reed

1950 – Maria Chapdelaine, de Marc Allégret, L’Étrange Madame X, de Jean Grémillon, Le Château de verre, de René Clément

1951Les Sept Péchés capitaux: L’Orgueil, de Claude Autant-Lara

1953Les Orgueilleux, d’Yves Allégret

1954 – Napoléon,de Sacha Guitry, Obsession, de Jean Delannoy

1955Oasis, d’Yves Allégret, Les Grandes Manœuvres, de René Clair, Marguerite de la nuit, de Claude Autant-Lara

1956 – Marie-Antoinette, de Jean Delannoy

1957Retour de manivelle, de Denys de La Patellière

1958Maxime,d’Henri Verneuil, Le Miroir à deux faces, d’André Cayatte

1959 – Pourquoi viens-tu si tard?d’Henri Decoin

1960Les Scélérats,de Robert Hossein

1961Les lions sont lâchés,d’Henri Verneuil

1962– Landru, de Claude Chabrol

1963Méfiez-vous, mesdames, d’André Hunebelle

1964 – Le Procès des doges,de Duccio Tessari, Les Pas perdus,de Jacques Robin

1967 – Benjamin, ou les Mémoires d’un puceau, de Michel Deville

1975Le Chat et la Souris, de Claude Lelouch

1990Ils vont tous bien, de Giuseppe Tornatore

  • Par Philippe d’Hugues
  • Mis à jour
  • Publié

lefigaro.fr

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