II La religion et le problème de la vérité :
Du Kuzari de Juda Halévi (1075-1141) à l’Etoile de la rédemption de Franz Rosenzweig (1886-1929).

Par Maurice-Ruben HAYOUN

Dans sa recherche du vrai, la religion ne peut s’appuyer que sur sa propre tradition, ses jurisconsultes et ses héritages transmis par les siècles précédents. On a coutume de situer le débat de la Renaissance à la fin du Moyen Âge, une fois que la tutelle de l’église se fit moins lourde, moins pesante.

Il faut souligner un fait qui a joué un certain rôle dans cette notion de vérité religieuse: c’est la tolérance ou l’intolérance dont on faisait preuve. Michel Servet a mal fini en raison de son imprudence à contester une vérité dite religieuse. Ce fut un temps au cours duquel se séparer des enseignements de notre «sainte mère l’église» pouvait vous coûter la vie… Et les communautés juives du monde entier sen savent quelque chose…

Je me souviens des années où je traduisais le maître livre de Eliya Delmédigo, mort en 1493) L’examen de la religion (Behinat ha-dat) , j’y avais trouvé une phrase où le cardinal Frederico Grimani lui avait interdit de se mêler de toute controverse religieuse. En effet, comme tout bon penseur non chrétien, le penseur juif avait pu critiquer les dogmes chrétiens à l’aide d’arguments puisés chez Aristote.

Il manquera toujours à la notion de vérité religieuse un élément primordial, c’est-à-dire l’universalité. La première marque de la vérité n’est autre que l’universalité : deux et deux font quatre, même pour Dieu, nous enseigne Kant. Faut-il croire en la consubstantialité, en l’ l’immaculée conception, en la forme divino-humaine de Jésus etc… Tous ces dogmes sont des articles de foi du catholique moyen qui y adhère de toutes fibres de son être.

Que ce soit Maimonide, Albert le Grand ou Averroès, tous ces penseurs se doublaient d’exégètes ; ils étaient des philosophes-herméneutes qui pratiquent ce que le grand Léo Strauss nommait Persecution and the art of writing… Dans son Guide des égarés Maimonide est allé jusqu’à user de sept principes de la contradiction afin d’échapper à la censure et de se prémunir contre d’éventuelles condamnations pour hérésie, choses qui ont fini par s’abattre sur lieu après sa mort. Toute son œuvre philosophique consiste à éclairer les texte religieux, présenté comme l’objet de la Révélation, par un commentaire philosophique ou une exégèse allégorique.. Et dès son introduction, il dit vouloir semer ceux de ses lecteurs qui entreprendraient l’étude de son œuvre sans formation philosophique préalable. La vérité religieuse, certes, mais pas pour tous..

Quand on pose la question de l’existence d’une vérité religieuse, cela ne veut pas dire qu’on compare la teneur en validité en en véridicité de chacune des religions examinées. On s’interroge simplement sur la solidarité de la construction théologique de telle religion ou de telle autre. Le monothéisme, par exemple, représente un progrès par rapport à l’idolâtrie ou au culte sacrificiel. Sans oublier les sacrifices humains. Le degré de développement évolue selon que l’on s’est s’affranchi de telle croyance surannée ou de telle autre.

La réponse à la question posée est plus complexe qu’il n’y parait. Tout d’abord à qui s’adresse la vérité religieuse et sur quoi pontet- elle justement ? Si l’on s’adresse à la frange la plus inculte de la société, la chose sera plutôt aisée mais s’il s’agit de savants, il en ira autrement.

Prenons un exemple, celui de la critique biblique qui analyse en profondeur les textes révélés, bibliques, évangéliques et coraniques Pouvons nous attendre ou exiger du simple croyant qu’l reprenne à son compte les conclusions de l’hypothèse documentaire, de la diversité des sources, des relectures éditoriales de tel rédacteur ou de tel autre ? C’est peu probable. L’homme croyant accorde à l’objet de son culte l’éternité, la divinité ne peut pas avoir changé d’opinion, à l’instar des hommes. Et c’est là tout le problème : les croyants les plus fanatiques accordent aux textes révélés plus d’importance qu’à leur vie. Le martyre signifie témoigner en faveur de sa religion en faisant couler son propre sang. En allemand on dit témoigner par le sang (Blutzeuge).

Comme tous les grands penseurs allemands, Kant (mort en 1804) s’est interrogé sur l’essence de la religion et nous a laissé un texte intitulé La religion dans les strictes limites de la raison… Trois termes dans ce titre revêtent une importance capitale : limites, strictes et raison. C’est ici l’un des textes les plus limitatifs de l’aspect religieux de la chose. Mais sommes nous fondés à assujettir la religion à la raison ? Peut-on dire d’un miracle qu’il est rationnel ? Si oui, alors ce n’est plus un miracle.

Mais je voudrais mettre l’accent sur un fait qui ressortit à la religion juive. A la fin de chaque bénédiction, à la fin de chaque proclamation, la tradition ajoute le terme EMET qui signifie vérité. Mais je pense que ce terme hébraïque ne signifie pas seulement VÉRITÉ, il inclut aussi la vérité religieuse. Vous trouvez ce terme dans toutes les prières introduisant la lecture des péricopes du Pentateuque et de la littérature prophétique. On parle de prophètes de vérité, de Psaumes de vérité, etc… Même les Psaumes disent par exemple : le principe de tes paroles est vérité. Quand un fidèle lit la Tora, il conclut en disant : notre sainte Tora est vérité. Peut-être glisse t on ici en sous-main une polémique souterraine à l’encontre des autres confessions se réclamant du même Dieu. Ce n’est pas à exclure puisque nous avons vécu durant au moins deux millénaires sous le signe des contestations religieuses.

Au moins deux textes bibliques ont une relation directe avec notre sujet ; je pense au livre de Job et au livre de l’Ecclésiaste. Tous deux recherchent la vérité de la vie et du monde. En plus du destin de l’humanité. Sans oublier la théodicée, la justice divine. La vérité de Dieu est-elle juste, équitable ?

Impossible de clore ces chétives réflexions sans en référer à l’Etoile de la rédemption de Franz Rosenzweig, mort en 1929. Chaunu sait que le philosophe, adepte du Nouveau Penser (ce qui signifie instiller une dose de théologie dans l’étude philosophique) a failli jeter le judaïsme aux orties et rejoindre la religion triomphante de l’époque, le protestantisme,. Il a fini par rester dans le giron du judaïsme. Mais il n’a pour autant, disqualifié cette dernière religion. Toutefois, un problème se posait à lui : quelle était la meilleure des deux religions dont il fut très proche ?

Esprit éminemment croyant, Rosenzweig accorde à Dieu seul le pouvoir de juger. Dominé par l’émotion, il répond que c’est Dieu en personne qui joue le rôle de vérificateur. Les dernières pages de son œuvre majeure contiennent cette référence à die Bewährung , la vérification. Il poursuit en disant que Dieu a besoin des deux ouvriers, juif et chrétien. Dieu, dit-il, a créé le monde mais n’a créé aucune religion.

Lorsque Rosenzweig a effectué son retour au judaïsme en pratiquant les préceptes divins, il a jeté son dévolu non pas sur Maimonide dont le rationalisme l’irritait, mais plutôt sur Juda ha-Lévi don il traduisit très finement des poèmes. Tout comme l’auteur du Cusari, l’auteur de l’Etoile de la rédemption croyait en l’existence d’une vérité religieuse.

Puisse-t-il en être ainsi pour tous.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

Maurice-Ruben HAYOUN. (hayounmauriceruben@gmail.com)

CYCLE DE CONFÉRENCES *
Le 30 mai à 19heures, mairie du XVIe arrondissement, salle des mariages, sur le thème suivant:
André Chouraqui, un champion du dialogue interreligieux
Le 4 juin  à 19heures, mairie du XVIe arrondissement, salle des mariages, sur le thème suivant:
Maimonide et Averroès face à leurs traditions religieuses respectives
Entrée libre. Salle des mariages.
Pour tout renseignement contacter hayoun.raymonde@wanadoo.fr ou le 0611342874
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Franz Rosenzweig

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Habibi

Une religion, au véritable sens de ce terme, ne peut avoir de vérité absolue, mais seulement des vérités relatives, car, de par sa nature même, elle est sous l’influence du sentimentalisme humain qui va créer de la confusion dans la perception et la rationalité humaines; et de plus, dans le champ même de cette rationalité, la connaissance est seulement médiate, cad indirecte.
La Vérité ne peut être perçue que par l’intellectualité pure, qui , actualisée et opérative dans un être humain, ouvre à la Connaissance immédiate et directe; et là, nous ne sommes plus dans le domaine clos du religieux, mais de la pure Métaphysique infinie et éternelle.