Le dernier discours, vendredi, du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a incorporé des éléments nouveaux à sa rhétorique classique : dans sa référence à la résistance et la « victoire divine de 2006 », il a eu recours à un symbole nouveau, celui de « la rencontre historique de Wadi Hujeir en 1920 » – c’est d’ailleurs dans cette localité du Sud que se déroulait la cérémonie au cours de laquelle il s’est prononcé samedi –, une rencontre nationaliste dirigée contre le Mandat français, et qui avait été parrainée alors par le mufti de Tyr, cheikh Abdel Hussein Charafeddine, auquel succédera l’imam Moussa Sadr.

La référence à ces figures historiques s’est accompagnée, dans le discours de Hassan Nasrallah, d’un plaidoyer de quelques minutes en faveur de l’État au Liban. « Nous devons tous être convaincus de la nécessité d’édifier un État qui inclut toutes les composantes de cette patrie (…) et un État qui n’effraie ni n’inquiète aucune tranche du peuple », a-t-il déclaré. Il est allé même jusqu’à appeler à « un abandon de la mentalité de la communauté-leader et de la logique du parti, de l’organisation ou du courant détenant le monopole du leadership de l’État ». Évoquant « une peur partagée par tous », le secrétaire général du Hezbollah a ensuite valorisé le partenariat national, en solidarité avec son allié chrétien, mais en y apportant des nuances. « Dès lors que nous sommes tous présents au sein des institutions de l’État et des centres de prise de décision, nous sommes sûrs que personne ne complote contre nous (…). Le vrai partenariat est celui que parraine un État juste, sans qu’il n’y ait besoin de parler ni de nombre ni de parts de représentativité », a-t-il déclaré.

Si cette déclaration de principe semble implicitement dirigée contre le CPL, qui se trouve au sein du pouvoir mais continue d’invoquer son poids représentatif pour justifier le blocage, elle est toutefois contrebalancée par une déclaration de solidarité avec le CPL. « Nul ne peut isoler ni briser le général Michel Aoun », a-t-il déclaré, en rappelant que ce dernier « est un passage obligé vers la présidence ». Ces assurances ont toutefois elles aussi prêté à équivoque. Substituer l’expression « passage obligé » à celle de « candidat » a été interprété comme un abandon de la candidature du général Aoun, un abandon doublé par l’appel explicite de Hassan Nasrallah à relancer le législatif.

Faut-il voir, dans cette dualité, les signes que le parti chiite se prépare à réajuster son discours, afin d’accompagner les négociations régionales ? L’Iran compte-t-il sur un assouplissement de la position du Hezbollah pour s’imposer comme un partenaire, et non pas comme simple acteur d’une solution globale? Une éventuelle reconversion politique du Hezbollah, sous le signe de la modération véhiculée par l’aile réformiste iranienne, s’annonce-t-elle, quoique partiellement, dans le discours de Hassan Nasrallah ?

 

Reconversion de l’histoire
Interrogés par L’Orient-Le Jour, les milieux chiites indépendants se montrent très sceptiques quant à une réorientation de la politique iranienne. « Je ne suis pas d’avis qu’un changement se produit actuellement dans la région », affirme ainsi l’écrivain et sociologue Mohammad Hussein Chamseddine à L’OLJ. Pour lui, en effet, « le discours, qui ne se traduit pas en acte, est dénué de valeur ». Le sociologue met en doute le partenariat invoqué par Hassan Nasrallah. « Quel est ce partenariat qui ne fait participer personne à sa décision de mener une guerre en Syrie? Ou encore qui ne reconnaît pas à l’armée libanaise le monopole des armes? » dit-il. C’est avec le même scepticisme que Mohammad Hussein Chamseddine réagit à la référence faite à l’imam Charafeddine. « Il faut savoir que l’imam Moussa Sadr a succédé à l’imam Charafeddine, avec lequel il avait un lien de parenté. Il était rentré au Liban à la demande de la communauté chiite pour succéder à l’imam décédé. La référence faite par Hassan Nasrallah à l’imam Charafeddine a la même valeur que la référence qu’il fait à l’imam Moussa Sadr, depuis les années 90, c’est-à-dire depuis qu’il a réussi à phagocyter le patrimoine de ce dernier chez les chiites », explique le sociologue.
Aujourd’hui, paradoxalement, il recourt à ce patrimoine pour réanimer sa base, comme le fait remarquer, pour sa part, l’uléma chiite modéré Mohammad Hassan el-Amine. « Face à une base qui n’est pas convaincue des combats en Syrie, le Hezbollah tente de se dissimuler derrière des figures historiques, profondément ancrées et appréciées chez les chiites », souligne-t-il.

 

Domestiquer le langage diplomatique
Sur ce point, l’éditorialiste Moustapha Fahs ne manque pas de dénoncer une tentative, par le Hezbollah, de dénaturer ces références historiques. « Hassan Nasrallah tente d’associer ou de projeter la Grande Syrie, que réclamait l’uléma Charafeddine, sur la Syrie de Bachar el-Assad. Or l’une n’a rien à voir avec l’autre », indique-t-il. C’est que, semble-t-il, l’enjeu du discours édulcoré du leader chiite est moins d’annoncer une nouvelle tendance, plus modérée et plus démocratique, de son parti, que de monnayer ce discours au niveau des négociations. L’uléma Mohammad Hassan el-Amine explique en effet qu’il existe deux « manières de s’imposer au niveau des négociations : la méthode directe et violente, ou la méthode diplomatique, fondée sur l’équilibre des forces ». Et c’est la seconde qui est adoptée par Téhéran. Pour ce qui est du Liban, « en évoquant le partenariat, le Hezbollah tente de domestiquer le langage diplomatique, de manière à l’accorder aux slogans nationaux utilisés ici », explique-t-il. « En parlant de partenariat, le Hezbollah cherche seulement à rassurer les pays arabes », ajoute pour sa part M. Chamseddine, en parlant de « tactique nécessaire ».
Or il est impossible de savoir jusqu’ou mènera cette tactique. « Il n’est pas sûr que les choses se dirigent vers une démilitarisation progressive du Hezbollah », affirme l’uléma el-Amine.
Autrement dit, pour les chiites indépendants, non seulement les indices d’une modération qui pointent au travers de la diplomatie iranienne restent de l’ordre du discours rhétorique, mais ils pourraient servir de parfait camouflage au radicalisme iranien qui reste pour l’instant inchangé. Ainsi, Mohammad Hussein Chamseddine appelle à « garder l’œil sur ce que l’Iran ne dévoile pas : ses divisions internes, entre l’aile réformiste et les gardiens de la révolution ». Il relève que ces divisions n’ont pas encore été résolues et, surtout, que l’étau semble se resserrer sur l’Iran au niveau régional, au regard notamment des développements en Irak et au Yémen.

Ce que d’aucuns tendent à lire comme une victoire de la modération iranienne, les chiites indépendants l’expliquent comme « une impasse, ou une crise de l’extrémisme chiite », souligne M. Chamseddine, en réponse à une question sur le scepticisme des indépendants qui rompt avec un optimisme ambiant. « Notre approche aurait été différente si le Hezbollah bénéficiait d’une autonomie de décision par rapport à l’Iran, auquel cas sa reconversion se serait produite naturellement », explique-t-il.

Or, pour l’instant, au Liban, c’est le surplace qui prévaut. Les personnalités chiites interrogées estiment que rien n’a changé dans les rapports du Hezbollah et du CPL, qu’ils mentionnent du reste subsidiairement. « Hassan Nasrallah continue de se moquer du général Aoun, de l’instrumentaliser tout en le consolant », relève le politologue Hareth Sleiman. Et la dualité de son discours n’en serait qu’une preuve supplémentaire. « Il appelle à ne pas isoler le général Aoun, alors que son isolement n’est tributaire, par définition, que de la volonté de ses alliés », conclut-il.

OLJ

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