Ce que le changement d’une des lois les plus controversées de l’histoire d’Israël pourrait signifier pour les Arabes chrétiens du pays.A la naissance d’Israël, en 1948, alors que cette nouvelle nation devait relever le défi de construire un pays au milieu d’une guerre, ses premiers dirigeants ont débattu de nombreuses questions délicates : que faire des réfugiés arabes, comment installer des centaines de milliers d’immigrants et, de manière plus surprenante, la question de savoir si l’élevage des porcs devait être autorisée.

Le porc était (et est resté) un sujet de controverse en raison de l’interdit de la consommation de sa viande selon la loi juive, mais aussi parce que le caractère juif d’Israël était considéré comme partie prenante de l’identité du nouvel Etat. Les politiciens et les écrivains ont tous donné leur avis sur le sujet. Si les politiciens orthodoxes avançaient des arguments religieux, même Natan Alterman, poète laïc, considérait l’importance symbolique de l’interdiction du porc sur le territoire israélien. Il écrivait ainsi dans un éditorial publié dans le journal du parti Mapai:

«Si une nation juive accepte la présence de porc sur son sol, son existence est menacée.»

Pourtant, de nombreux sionistes socialistes rejetèrent l’idée de fonder des lois séculières sur la tradition juive. Le journaliste laïc Mair Bareli, tout en prenant la mesure de l’importance du tabou du porc, considérait le faible coup de son élevage, à une époque où le manque de viande était criant, comme une excellente raison de l’autoriser.

Une industrie limitée

L’histoire contemporaine de l’industrie du porc en Israël est vieille de cinquante ans et date du moment où la Knesset a passé une loi interdisant l’élevage de porc sur le territoire de l’Etat hébreux. Cette loi –une des plus controversées de l’histoire d’Israël– a été conçue avec un vide juridique permettant l’élevage de porcs dans les régions majoritairement chrétiennes du nord, comme une forme de concession à l’égard des minorités religieuses du nouvel Etat d’Israël.

Voilà pourquoi les villes majoritairement peuplées d’Arabes chrétiens sont devenues des zones de production porcine. Si les politiciens ultra-orthodoxes ont, à plusieurs reprises, tenté de faire interdire l’élevage de porc en Israël, la loi limite l’expansion de cette industrie tout en protégeant les intérêts des producteurs chrétiens.

Le porc, indice de tension

Il y a un peu plus d’un mois, un panel de représentants du gouvernement israélien a soudainement recommandé un changement de la loi et demandé que la production porcine soit délocalisée dans le sud afin de «réduire la densité de production de porcs» et de réguler les fermes.

En Israël, lorsque les cochons sont au cœur de l’actualité, c’est que la situation politique est très tendue. Pour des observateurs occasionnels de la politique israélienne, il pourrait apparaître que le gouvernement se soucie du bien être de ses animaux domestiques. Mais le déplacement des porcs israéliens risque fort de priver les Chrétiens d’Israël de l’élevage des porcs et pourrait signifier le début de la fin tant pour le jambon made in Israël que pour les Arabes Chrétiens.

Le porc, outil d’humiliation

Le porc est généralement considéré comme davantage interdit que la crevette ou le crabe (qui ne sont pas non plus casher) car depuis des millénaires, de nombreuses populations ont persécuté les Juifs en utilisant ce tabou pour les humilier et les punir.

Les Grecs ont ainsi humilié les Juifs en les obligeant à manger du porc, contre leur volonté, lors de la prise de Jérusalem en 167 avant J.-C.; les Espagnols ont également obligé les Juifs à manger du porc afin qu’ils prouvent leur nouvelle allégeance à l’Eglise catholique durant la période de l’inquisition. Le porc est donc bien plus qu’un interdit alimentaire en Israël; il est symbolique d’un grand conflit qui agite la société israélienne, reflétant des questions d’habitudes alimentaire, mais surtout la question de l’équilibre entre les intérêts religieux et laïcs en Israël.

Voilà des années que les religieux et les laïcs israéliens se divisent et les tensions autour des restrictions religieuses imposées à la société sont des sources constantes de disputes politiques. Le porc est une question particulièrement épineuse à cet égard: de nombreux Israéliens laïcs en consomment ouvertement, tandis que de nombreux ultra-orthodoxes tentent de le faire purement et simplement interdire – et tentent de le faire depuis des décennies – tout comme ils ont tenté de faire interdire la circulation des bus le samedi ou de montrer du doigt les femmes qui s’habillent de manière inconvenante.

Un enjeu sanitaire et écologique

Jusqu’aux années 1990, l’industrie israélienne du porc était presque clandestine, mais avec un afflux d’émigrants venus de l’ex-union soviétique et avec une Cour suprême plus progressiste, le porc est devenu plus répandu en Israël. Le pays étant repassé à droite avec l’élection de Benjamin Netanyahu, certains consommateurs de porcs ont de bonnes raisons de craindre que les membres religieux du gouvernement ne tentent –comme ils l’ont déjà fait à maintes reprises par le passé– de limiter la production porcine en Israël.

Cet été, tandis que je me trouvais à tel Aviv pour enquêter sur cette industrie, le spécialiste des questions d’alimentation de Haaretz, Ronit Vered, m’a expliqué que le ministre de l’Agriculture ne se soucie guère des porcs. Les porcheries sont bien moins contrôlées que les fermes l’élevage de bovins et les discours sur la santé ou le bien-être des animaux sont quasi-inexistants:

«Il n’existe aucun département spécifique consacré aux porcs au ministère et il n’y a pas non plus de groupes de lobbying de cette filière, contrairement aux autres industries.»

L’intérêt récent que porte le Ministère de l’agriculture à l’élevage des porcs est donc censé porter avant toute chose sur les mauvaises conditions environnementales et d’hygiène. Il est certain que les fermes du Nord, dans les villes d’Ibilin, de Mailya, de Kafr Yasif et de Nazareth sont aussi surpeuplées que peu salubres, un fait que je ne puis que confirmer au vu de ma visite, il y a quatre ans, de la ville d’Ibilin. Je n’étais alors pas parvenu, malgré mes efforts, à échapper à l’odeur pestilentielle du lisier, même en roulant avec ma voiture toutes fenêtres fermées.

«Les fermes d’ibilin sont construites les unes à côté des autres» m’a déclaré Tzachi Lipka, cofondateur de Tiv Ta’am, le plus gros producteur et vendeur de viande de porc d’Israël. «Si un porc est malade, tous les porcs sont malades. Israël a un marché ouvert, qui permet pourtant à ces fermes d’exister.»

Le récent rapport du gouvernement recommande qu’Israël déplace ses porcheries dans le sud ou les cochons auront davantage d’espace et qu’Israël adopte «la directive de l’Union Européenne sur la question des droits des animaux.»

Israël pourrait imposer des conditions d’exploitation plus strictes aux fermes existantes plutôt que de relocaliser 26 exploitations, mais, contacté sur ce sujet, le Ministère de l’agriculture n’a pas souhaité répondre à ma question.

Vered acquiesce:

«il y a un problème écologique, mais la plupart des éleveurs chrétiens arabes ont le sentiment que l’on utilise ce problème pour les attaquer es-qualité d’éleveurs de porcs, et pas pour des questions concrètes d’écologie.»

Des répercussions économiques

Si cette initiative se concrétise, les répercussions économiques pour les Arabes chrétiens seront graves, surtout dans une région qui voit le nombre de Chrétiens diminuer. Les Arabes chrétiens ne seront certainement pas prêts à abandonner des villages qu’ils occupent depuis des générations pour déménager dans un désert aride. L’Egypte a connu un précédent fâcheux il y a trois ans de cela lorsque sous couvert d’une «mesure de santé publique» l’ancien président Hosni Moubarak a fait abattre les 300 000 porcs du pays lors d’une éruption de grippe porcine. Les Coptes d’Egypte, principaux éleveurs de porcs, ont subi cette mesure de plein fouet, une mesure considérée par beaucoup comme une attaque déguisée contre cette minorité religieuse vulnérable.

Le risque existe que les consommateurs de porcs en Israël y perdent tout autant que les chrétiens d’Israël. En l’état actuel, le Ministre de l’intérieur doit examiner les recommandations du panel et décider ou non de leur acceptation, entamant ainsi la réforme des lois israéliennes sur le porc. Eli Yishai, Ministre de l’intérieur, est le chef du parti Shas, ultra-orthodoxe, dont les membres militent sans relâche pour l’interdiction du porc et qui critiquent les Israéliens d’origines russes qui en consomment. Si la loi change et que l’élevage de porcs n’est plus autorisé dans les zones chrétiennes, l’interdiction des porcheries pourrait suivre.

Le rapport déjà évoqué demandait à Yishai de «ne pas hésiter à prendre cette question à bras le corps, les porcs étant considérés comme l’exemple même de l’animal non-casher», ce qui montre la coloration religieuse du panel.

Mais ce n’est pas la première fois que les porcs attirent l’attention dans la région. Dans le récit de la Bible du voyage de Jésus au pays des Géraséniens, il y rencontre un homme accablé par des démons. Jésus le soigne en faisant entrer les démons dans un troupeau de porcs qu’il envoie ensuite à la mort en les faisant se noyer en Mer de Galilée. Au vu de cette histoire, le fait que les cochons finissent dans le désert du sud serait finalement un moindre mal.

Jeffrey Yoskowitz

Traduit par Antoine Bourguilleau – SLATE.fr Article original« >Article original

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

10 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Armand Maruani

Un sanglier rencontre un cochon, le regarde et lui dit :
« Ben toi, tu dois en chier avec ta chimio… »

BALTHAZAR

POURQUOI INTERDIRE LE PORC EN ISRAEL ? IL Y A ICI UN PROBLEME DE TOLERANCE.
LES ISRAELIENS DE CONFESSIONS CHRETIENNE ONT LE DROIT DE CONSOMMER ET D’ELEVER DES PORCS. LA THORA INTERDIT AU JUIFS D’EN CONSOMMER (ET NON PAS D’EN POSSEDER) ET NE L’INTERDIT PAS AUX AUTRES RELIGIONS ET L’INTERDIT NE S’ARRETE PAS QU’AU PORC MAIS A UNE LISTE TRES IMPORTANTE COMME LE LAPIN PAR EXEMPLE. DANS CE CAS FAUT INTERDIRE EN ISRAEL TOUT CE QUI N’EST PAS CONSOMMABLE. CA ME RAPPELE LA POLEMIQUE EN FRANCE SUR LE CACHER QUE DIRIONS NOUS SI EN FRANCE ON NOUS INTERDISAIT L’ABATTAGE RITUEL ? AU LIEU DE S’OCCUPER DE CES PETITS DETAILS LES RELIGIEUX DE TOUTES TENDANCES FERAIT MIEUX DE REMETTRE DE L’ORDRE MORAL EN ISRAEL OU AILLEUR.

ilana

ou est le probleme ?il y a crevettes au shouk a Carmel chacun est libre d acheter ce que l on veut

kernalegen

Bonjour Chers amis,
né en Afrique du nord, ayant eu la grande chance de pouvoir m’enrichir de plusieurs cultures, arabe , berbère, juive, chrétienne………si l’on peut parler dans ces cas de « cultures »……nous étions si mélangés, de toute l’Europe , des Cépharades……….que je trouve que faire d’Israël que je soutiens et que j’ai toujours soutenu(e?) pourtant , « goy », une vraie théocratie et associer la présence ou pas des chrétiens ( j’en suis un , donc un juif converti ……) à l’existence sur le territoire ( à définir) de porcs est lamentable !
cette situation vous retombera dessus !
la tolérance est un don de Dieu………..
il faut être tolérant pour essayer d’être toléré……
amitiés

Raillard

Sincèrement, il n’y a que les imbéciles ou certains « religieux » sectaires pour avoir du temps à perdre en palabres inutiles au sujet de cet animal qu’est le porc. En Europe, on peut voir les abrutis de cette secte que d’aucun appellent islam avoir peur d’une misérable tranche de jambon ou d’un saucisson… Non mais, ne me dites pas que vous allez devenir aussi idiots que ces barbares incultes ? Certaines personnes mangent du porc… et alors ? Qu’est-ce que cela peut bien vous faire ?
De plus, les valvules cardiaques en cartilage de porc ont sauvé tant de personnes à travers le monde que cet animal tant décrié mérite au moins le respect pour services rendus à la médecine.

Patrice

Jésus a dit « Ce n’est pas ce qui entre ds l’homme qui le souille, mais ce qui en sort »
Je suis bien d’accord, ceux qui ne mange pas de porc sont t-ils meilleurs que le autres hommes ?

Jésus s’est heurté au courroux des réligieux de son époque parce qu’il guérissait un malade le jour du sabbat ! Je bénis Israël pour la liberté dont jouïssent les chrétiens mais attention que la mise en pratique de la loi sans amour ne conduise ce beau pays à l’anarchie. Les arabes le font avec le coran, les résultats sont catastrophiques!!

Jésus a cité une Parole de la thora : »Dieu prend plaisir à la miséricorde et non au sacrifice »

Georges.lumbroso

je croyais le Seigneur Dieu créateur de tout, tout puissant , parfait , bon , et voilà qu’il a commis l’erreur grossière de créer le cochon !
je ne sais si le cochon a ou est un pb mais je crois que les hommes s’en preparent de nombreux.
le cochon est sale , mais non c’est l’homme qui est sale , qui l’enferme ne le nettoye pas . Et il me vient a l’esprit que ce qui est plus grave pour l’homme c’est d’avoir le coeur dur sans tolérance sans compassion dans ses paroles et dans ses actes .
je pense qu’il faut prier que Dieu éclaire et protège Israël de ses ennemis et de lui même
G.L

Capet

je suis très étonné d’une telle controverse

Israel ne va pas se rabattre au niveau de ses (pitoyables) voisins????!!!!!! le porc ne remet pas en cause une identité affirmée et sereinement établie!

J’ai toujours pensé qu’Israël était un îlot de civilisation au milieu des barbares! Je vois des arguments un peu tirés par les cheveux (« les odeurs des porcheries » , doit on aussi supprimer les cimenteries?)

Je ne suis un gaucho ou un bobo, la démocratie, les droits de l’homme, le catechisme sur la tolérance, la mixité, ça me fatigue, de plus je considère que la spécificité d’Israël est son identité Juive! Et que cela doit être préservé au mépris de tout le reste!

Soyons sérieux: quelques porcheries mettent elles en danger la judéité de cette nation? Israel n’a pas vocation à protéger les Chrétiens du proche orient, mais tout le monde sait que c’est le seul pays ou ils peuvent vivre sereinement!

Je n’emploierais pas le terme de « tolérance » tellement galvaudé, mais je me plaisais à penser qu’Israel était le seul pays « évolué » au milieu du moyen age! Identitaire, fier, et sur de lui, mais sans mépris pour celui qui le respectait et se soumettait à sa loi!

« A force de regarder l’abîme, c’est l’abîme qui regarde en toi » Nietzsche

Giancarlo.molteni

Chère Albertine,
Il faut donner pour recevoir et là condamner le porc et les chretiens en même temps (on peut en rire bien sûr) ne me semble pas une bonne idée pour recevoir de l’aide contre la présence arabe. Il me semble même un signe de faiblesse, et c’est un peu cela qui veut montrer l’article, je crois.

Albertine

le fait que le gouvernement prenne enfin des mesures contre la présence du porc en Israël donne bon espoir que celui-ci va enfin disparaitre de la Terre Sainte. conditionner la présence des chrétiens à celle du porc en Israël est pathétique. ceux-ci ont ou devraient avoir une idée bien plus haute de leur mission essentielle en Terre Sainte : aider les juifs à contrebalancer démographiquement la présence arabe. même si c’est au prix du porc qui souille notre Terre. il est temps qu’Israël fasse disparaitre le porc, sa présence est une offense permanente pour les juifs croyants et une tentation pour ceux qui ne sont pas pratiquants. le fait que la cour Suprême l’ait en grande partie autorisé provient du fait qu’elle est composée notamment d’ashkénazes laïcs et non pratiquants qui ont voulu imposer à tous leur vision des choses. si on rééquilibrait la cour Suprême en nombre de séfarades et d’ashkénazes, beaucoup de choses changeraient.