Au cours de l’année 1962, la communauté Juive de Marseille a connu une croissance inédite et brutale, principalement due à l’arrivée massive de Juifs venant d’Algérie.
L’évolution démographique de la communauté est bien antérieure à cette date : depuis, à peu près le milieu des années 50 il y a eu un afflux modéré mais constant de Juifs venant d’Afrique du Nord : Tunisie, Algérie, Maroc.
Mais plus particulièrement en provenance d’Algérie au cours de l’année 1962 il y a eu un exode massif des Européens : ce mouvement a concerné à peu près 1.500.000 personnes sur lesquels on pouvait compter quelques 130.000 Juifs.
Au cours de l’histoire il n’y a peut être jamais eu d’exode aussi complet. En effet seuls quelques centaines de personnes ont décidé de demeurer dans l’Algérie indépendante. Sur la multitude de communautés grandes et petites, on ne comptait plus que deux minuscules communautés à Alger et à Oran.
A ma connaissance un seul rabbin est resté, à Alger, M. Gilbert SEROR (zal).
Quant aux synagogues, elles ont été soit saccagées, soit transformées en mosquées.
L’exode massif s’explique par le fait que depuis 1870 les juifs ont accédé à la nationalité française et se sont comportés en citoyens loyaux. Le triste épisode du gouvernement de Vichy, qui a abrogé d’un trait de plume le décret Crémieux de 1870, a été oublié. (La déchéance de nationalité, prononcée en 1940, n’a été rétablie qu’en 1943.

De plus au cours de la guerre d’indépendance, de 1954 à 1962, la communauté juive a souffert directement des évènements : de nombreuses synagogues ont été vandalisées et profanées. La réaction des communautés a chaque fois été empreinte de dignité et n’a jamais entraîné de violences.
Les indépendantistes n’ont pas visé que les institutions.
Des attentats ciblés ont atteint des Juifs pour impressionner la communauté.
Le dernier a peut-être été celui qui a tué le chanteur constantinois Raymond LEYRIS ( zal), beau père de Enrico Macias.
Dès lors, rester vivre dans une Algérie indépendante, ne pouvait être envisagé avec confiance.
Une petite minorité a choisi l’alya en Israël, mais la grande majorité a choisi la France.
Après 1962, on a évalué la communauté juive de Marseille à 60.000 ou 70.000 âmes, ce qui en faisait la 2ème communauté en France, après Paris.
Avant 1962 on ne comptait à Marseille qu’environ 5.000 personnes.
Pour les nouveaux arrivés se posaient une multitude de problèmes : comment travailler, où habiter, comment trouver une alimentation cachère, où se « rassembler » le chabat et les jours de fête.
Dans les rangs des déracinés se trouvaient de nombreux cadres communautaires d’Algérie, de Tunisie ou du Maroc. Ces personnes désiraient ardemment s’occuper de la communauté nouvelle.
Les institutions communautaires : F.S.J.U, CASIM ont oeuvré pour atténuer la dureté de l’épreuve pour ceux qui étaient le plus démuni ou fragilisé par l’âge ou la maladie. Il est vraisemblable que chacun a fait de son mieux.
Que trouvait-on à Marseille à ce moment ?
Il y avait la synagogue Breteuil , mais elle ne convenait pas à tout le monde en raison de la liturgie marseillaise alors que beaucoup avaient besoin de retrouver l’ambiance des offices d’Algérie et de retrouver d’anciens amis.
En 1958 une petite synagogue a été fondée au 22 de la rue Pavillon. Il s’agissait d’un petit appartement au 1erétage. Elle ne pouvait accueillir que quelques dizaines de fidèles. Le premier rabbin était algérois : André HaïmABIB , décédé accidentellement en 1963 à l’âge de 55 ans. Le rabbin Abib était secondé par son gendre,
M. Gilbert Benhamou. Ce dernier était très dynamique est était très présent à ses côtés pour organiser les offices des solennités de Tichri, principalement,(selon mes souvenirs, dans la salle de Cercle Républicain de la rue Grignan.
Le Rabbin Henri LEVY (zal), de Constantine lui a succédé, puis après lui le Rabbin Rahmin HADJADJ, de Bône et élève du Rabbin NAOURI ( zal).
En 1965 cette synagogue a été transférée au 24 de la rue Montgrand et a pris le nom de « BETH CHALOM ».
Cette synagogue a été aménagée dans un ancien théâtre et a été rendue possible par l’intervention du Maire de Marseille, M. Gaston DEFERRE.
Le comité gestionnaire de ces synagogues était présidé par Maître Charles HADDAD (zal), ancien Président de la Communauté Juive de Tunis et par ailleurs militant infatigable dans les domaines communautaires et sionistes.
Cette communauté a édité à partir de mai 1963 un journal mensuel répondant au titre de « MENORAH ».
Le responsable était le Rabbin DOBELSKY ( zal), originaire d’Egypte.
Pendant longtemps les relations entre le Consistoire et la « rue Pavillon » ont été conflictuelles et la paix ne s’est installée qu’après de trop longues années et plusieurs interventions du Grand Rabbin de France, Jacob KAPLAN ( zal).
En raison du nombre insuffisant de synagogues, il fallait louer des salles pour les fêtes de Tichri.
Il y a eu le Cercle Républicain, rue Grignan ; l’ Alcazar qui, à cette époque était un théâtre, au Cours Belzunce ,
( l’Alcazar est actuellement le siège de la Bibliothèque Nationale) ; l’Opéra, l’Hôtel SPLENDIDE , Boulevard d’Athènes avec le Rabbin Salomon TAPIERO (zal). Actuellement cet édifice abrite le CRDP ( Centre Régional de Documentation Pédagogique).
Il y a eu beaucoup d’autres salles louées dans d’autres quartiers dans lesquels s’étaient fixés de nombreux Juifs : Saint Just, Sainte Marguerite, Saint Louis, etc…
En ce qui concerne la cachrout il n’y avait qu’une seule boucherie strictement cacher : Provence Cacher, rue de la Glace, fondée par Elie Dayan.
Dans la rue Pavillon , à l’angle de la rue Paradis, a été ouverte la première charcuterie cacher « Chez Claude ».
Fast food avant l’heure, il préparait des sandwichs à midi et a par la suite ouvert, dans la même rue un snack.
Mais à ce moment là il n’était pas garanti cacher. Tout reposait sur sa bonne foi et les clients ne manquaient pas.
Et dans cette année 1962, dure à vivre pour beaucoup, il faut signaler la création prometteuse pour l’avenir : la création dans le quartier du Redon d’une école primaire juive à plein temps fondée par le Rabbin Elie RUIMY (zal) et deux ans plus tard , dans le quartier de Saint Just a été fondée par le Rabbin Haïm WAZANA (zal) l’Ecole Yavné.
La suite est bien connue. Elle se présente actuellement comme une communauté qui compte plus de 40 synagogues, plus d’une dizaine d’écoles juives à temps plein de la crèche au lycée. ( En 1962 il n’y avait qu’une école : l’ORT) ; des mouvements de jeunesse variés ( en 1962 on ne trouvait que les EEIF et le BNE AKIVA crée en 1956). Il y avait aussi l’U.E.J.F. pour les étudiants.
En ce qui concerne plus particulièrement les synagogues il y a eu des créations très étroitement rattachées à l’origine des fidèles. On peut citer : Chalom Rav , Impasse Dragon , typiquement constantinoise avec le Rabbin Henri LEVY, Ozer Dalim, de rite Turc, Impasse Dragon avec le Président Isy Beraha, Hakhnassat Orhim, seule synagogue Ashkénase, avec le Rabbin SCHWARZFUCHS ( zal), impasse Dragon aussi, Keter Tora, Rue Tapis Vert, tunisienne , avec Maître Charles HADDAD et le Rabbin DEMRI, la synagogue Algéroise, rue Beaumont avec le Rabbin Marcel ACHOUCHE (zal) et Messieurs JAIS et BACRY et AMAR. Cette synagogue n’existe plus. Elle était connue sous le nom de ETS HAIM. Avant la création de cette synagogue le rabbin Marcel Achouche avait été installé comme rabbin de la communauté Ozer Dalim par le Président Isy Beraha. Cette synagogue était dévolue aux juifs d’origine turque et salonicienne. Il faut remarquer là un remarquable esprit d’ouverture du Président Beraha, qui a été un peu plus tard le Président du Consistoire de Marseille.
Il faut mentionner l’extraordinaire variété d’origine des Juifs marseillais.
Il y a eu depuis des siècles un judaïsme provençal extrêmement vivant avec des maîtres célèbres, des yéchivot prestigieuses. On comptait un très grand nombre de petites communautés. Actuellement dans de petits villages on trouve des noms de rues qui rappellent ces communautés disparues.
Dans le temps Marseille a été la destination de milliers de Juifs fuyant des terres hostiles : Pologne, Allemagne, Turquie, Grèce, Egypte , Algérie, Tunisie, Maroc etc…
Nous espérons que notre communauté continuera à vivre intensément et à se développer.

Bernard REBOUH Zal

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

3 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Zakhor

Je voudrais rajouter une chose au sujet des salles qui étaient louées faute de synagogues suffisantes.
Il y avait dans le 7° arrondissement de Marseille, dans un premier temps la grande salle de l’immeuble Saint-Georges (quartier de la plage des Catalans), puis ensuite l’hôtel du Pharo, où de très nombreux juifs tunisiens venaient prier pour les fêtes de Tichri. Puis avec les déplacements démographiques, une grande communauté juive tunisienne ( celle habitant dans le 8° arrondissement) vient prier dans la salle du Château des Fleurs au Bd Michelet.
C’est vrai que la communauté de Marseille est très vivante, très diverse, et aussi dynamique. Chacun y trouve son compte.
Toutefois je mettrais un bémol: il y a dans le quartier entre Ste Marguerire et St Tronc, une très forte communauté (ultra) orthodoxe,qui vit – c’est un constat, et non une critique- qui vit en marge de la communauté juive de Marseille. Et ce que je trouve désolant, c’est que cette communauté en majorité séfarade, a calqué son mode de vie, vestimentaire, et ses codes, sur la tradition ashkénaze. Dommage, même si c’est leur choix, pourquoi ne pas rester nous mêmes?
Pour celles et ceux que cela interesse, il y a eu une édition spéciale du journal « La Provence », sortie cette année, qui retrace l’histoire et le parcours des Juifs de Provence.

Laurence

Merci pour cet article