Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique (Gallimard)

 

 

 

 

 

Cet imposant travail consistant à rendre en français philosophique mais aussi compréhensible une œuvre de cette importance, issue de la plume du fondateur de la phénoménologie, Edmund Husserl (1859-1938) est à porter au crédit de son excellent traducteur, Jean-François Lavigne.

La mention méritait absolument d’être faite tant la pensée de cet auteur germano-autrichien, né dans une famille juive de Bohême-Moravie (mais converti au luthéranisme le 8 avril 1886) est difficile et complexe à la fois, surtout si l’on tient compte de l’évolution de sa pensée, reflétée dans les trois grandes œuvres qu’il a écrites: les Recherches logiques, les Idées directrices… dont je parle ici et enfin la Krisis (La crise des sciences européennes et la phénoménologie), publiée dans Logos, une revue créée par Husserl et coéditée par lui jusqu’en 1913..

Mais on n’aura garde d’oublier les Méditations cartésiennes, reprises à partir de conférences données en Sorbonne et une foule d’autres écrits qui marquèrent son époque.

Le traducteur rend hommage à la précédente traduction des Idées… procurée par Paul Ricoeur il y quelques décennies.

J’ avoue humblement m’y être pris à maintes reprises avant de faire des sondages plus ou moins vastes dans cette œuvre publiée en 1913, tant cette pensée, dominée par l’histoire des sciences, et notamment des mathématiques, résiste à l’examen, non par elle-même mais bien en raison de mon impéritie.

Voilà un philosophe qui commença d’abord ses études et ensuite sa carrière universitaire par une immersion dans les mathématiques car il ambitionnait de découvrir le fondement commun à toutes les sciences et seules les mathématiques, en tant que science exacte, pouvaient lui offrir un tel substrat.

C’est donc une quête de sens, de la conscience humaine et des choses du monde qui guideront ses premiers pas. Même si, comme le relèveront certains de ses critiques, ce penseur exigeant évoluera dans son approche. Ayant suivi les cours de Franz Brentano sur les sciences, il en retirera aussi l’idée d’une philosophie rigoureusement scientifique.

Voici une citation, certes datée, mais qui informe bien sur les motivations profondes de ce spécialiste de l’histoire des sciences qui rêvait de faire de la phénoménologie le fondement incontestable de toutes les sciences, y compris celles de la nature : Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra, une fois dans sa vie, se relier sur soi-même et au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu’ici et tenter de les reconstruire…

Qu’est ce que le réel, qu’est ce que le monde que nous percevons et auquel nous nous sommes confrontés, dans un rapport permanent ? Husserl radicalise, pour ainsi dire, le projet de Descartes et nous présente la phénoménologie comme la seule apte à résoudre le problème du fondement de toute construction rationnelle.

Et puisqu’il se refuse à recourir à Dieu comme fondement ultime et irréfragable, il se tourne donc vers le sujet. Sur cette voie, Husserl ramène donc la connaissance à «des intuitions absolues au-delà desquelles on ne peut remonter…»

Je rappelle que le jeune Emmanuel Levinas soutint sa thèse à l’université de Strasbourg sur l’intuition chez Husserl…

Un certain nombre de thèmes sont récurrents dans cette œuvre : la réduction phénoménologique, l’intentionnalité, la subjectivité transcendantale, le moi transcendantal, l’intersubjectivité et enfin, le monde vivant.

On s’est demandé comment Husserl avait pu passer du réalisme en 1900 à l’idéalisme (Idées…) en 1913 ? En fait, il convient, selon les spécialistes, de suivre tous les cheminements de cette pensée et ne pas se cantonner à un seul aspect. Faute de quoi, on est saisi par le paradoxe.

La notion d’intentionnalité, par exemple, conduit Husserl à refuser la distinction entre l’intériorité et l’extériorité que pourrait éprouver le sujet face au monde qu’il scrute.

Comme on le laissait entendre supra, c’est le fondement irréfragable des sciences qui a préoccupé Husserl, sa vie durant. Mais on peut distinguer au moins trois pôles dans sa noétique : au début la logique (Recherches logiques), une œuvre difficile que même le jeune Levinas abordera non sans difficulté, l’épistémologie et pour finir, l’ontologie. D’ailleurs, la philosophie phénoménologique vise à scruter l’essence des choses.

Voici ce que dit Renaud Barbaras au sujet de ce livre, Idées directrices… : Les Idées tentent d’expliquer le passage de l’époché (réduction phénoménologique) au transcendantal, c’est-à-dire que le résidu de l’époché est bien la conscience…

Mais que peut bien signifier ce terme grec qui désigne, à l’origine, la suspension, la cessation ou la mise entre parenthèses de quelque chose ?

L’époché phénoménologique. À la place de la tentative cartésienne de doute universel, nous pourrions introduire l’universelle époché, au sens nouveau et rigoureusement déterminé que nous lui avons donné. (…) Notre ambition est précisément de découvrir un nouveau domaine scientifique, dont l’accès nous soit acquis par la méthode même de mise entre parenthèses (…). Ce que nous mettons hors de jeu, c’est la thèse générale qui tient à l’essence de l’attitude naturelle…. (Husserl, Idées…p. 101-103).

Cette philosophie authentiquement phénoménologique poursuit, pour Husserl, une double préoccupation : la visée d’un fondement objectif absolu et l’analyse de l’intentionnalité du savant en quête d’objectivité absolue…

Le fonds Husserl (trois cent mille feuillets) a été miraculeusement sauvé par un moine qui l’a exfiltré dans pays. Il a ainsi échappé aux Nazis qui entendaient le réduire à néant.

Mais même la conversion formelle au luthéranisme n’a pas épargné Husserl puisqu’en 1936, alors que les Nazis dirigeaient l’Allemagne depuis 1933, son ancien assistant et successeur à la chaire de philosophie à Fribourg en Brisgau, un certain Martin Heidegger lui interdit l’accès à la bibliothèque de l’université à laquelle l’auteur des Idées… avait consacré le meilleur de ses jours et de ses veillées.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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