Vincent Jauvert, Dictionnaire amoureux de l’espionnage. Plon, 2023 ; 5O9 pages.

Voici un livre passionnant que vous ne lâcherez plus, une fois que vous l’aurez eu entre les mains. Vous le lirez en plusieurs fois car son volume est impressionnant, un peu plus de cinq cents pages. On y trouve à la fois le traitement de certain concepts en vogue dans ce métier de seigneur exercé par des voyous (sic) selon l’un des chefs du contre-espionnage français, le colonel Alexandre de Marenches.

Vous y trouverez aussi de longues et lumineuses interviews de personnages célèbres dans le domaine de l’espionnage ; notamment l’ancien conseiller à la sécurité du président Jimmy Carter qui établit un subtil distinguo entre le renseignement et l’espionnage. Avouons que la ligne-frontière entre ces deux pratiques est bien ténue, mais se pose lorsque l’on demande de prendre position sur un point délicat : a-t-on le droit moral d’espionner des amis ou des alliés ? C’est là que le conseiller établit une différence entre le renseignement, d’une part, e l’espionnage, d’autre part. Ce qui en dit long sur les mœurs des USA vis-à-vis de leurs partenaires. Exemple : si la CiIA soupçonne un haut responsable français d’être une taupe du KGB, n’a-t-elle pas le droit, voire l’obligation d’étendre la surveillance sur les activités de l’individu en question ?

Les organes du renseignement américain ont écouté le téléphone dirait de bien des responsables occidentaux lorsqu’ils avaient la ferme conviction que leurs réseaux étaient infiltrés par les services soviétiques. Et, en effet, la partie essentielle du livre, celle qui est la plus passionnante, porte sur la chasse aux taupes soviétiques infiltrés au cœur même des services secrets des Occidentaux. On est étonné de voir la virtuosité des Soviétiques à recruter des informateurs et des espions dans les milieux les plus inattendus. Et je ne pense pas uniquement aux fameux cinq de Cambridge qui ont défrayé la chronique en leur temps : l’élite de l’lite britannique ayant fréquenté les meilleurs établissements d’éducation, génialement issus de l’aristocratie britannique, bien plaquée au Foreign Office ou au ministère de la défense. Ce fut une lutte à mort que se livrèrent les services secrets russes aux prises avec leurs collègues britanniques, tant la chasse aux taupes était devenue l’activité centrale des uns et des autres. Et cela a laissé des traces puisque aujourd’hui encore, les Britanniques sont les mieux implantés en Russie dans le conflit qui oppose ce pays à l’Ukraine. Les rapports des Britanniques sur les forces en présence sont les mieux documentés.. Car la Grande Bretagne, même du temps de Margaret Thatcher avait expulsé des fournées de faux diplomates russes opérant dans le pays…

Comment devient-on espion au profit d’une puissance étrangère ennemie car il arrive, je l’ai souligné plus haut, que l’on cherche à savoir ce qui s’est dit lors d’une rencontre entre deux puissances qui sont, par ailleurs, nos alliés… On veut mesurer leur degré d’engagement dans le déploiement de telle opération ou telle autre.

On offre ses renseignements à des puissances ennemies, en l’occurrence à la défunte URSS, par conviction idéologique, par appât du gain ou sous la contrainte. Exemple : si vous tombez dans le piège du KGB qui vous présente une belle femme alors que vous êtes marié et qu’il menace de divulguer des preuves phonographiques de votre adultère, vous travaillez pour ce service, contraint et forcé…

Dans ce magnifique ouvrage d’un spécialiste de la question, vous trouverez de nombreux exemples qu’il n’est pas question de mentionner ici, tant ils sont nombreux. Exemple, le cas de ce jeune homme fragile, peu sur de lui et qu’on envoie en poste à Pékin où il s’occupera de la valise diplomatique. Il ne se rend pas compte que la femme qu’on a mis dans son lit, à la demande des services chinois, est en réalité un homme qui dissimule ses attributs virils comme il peut. L’affaire fit grand bruit et lorsqu’elle sera portée sur la place publique, la victime, humiliée et déshonorée, fera une tentative de suicide. Le monde de l’espionnage n’est pas réputé pour sa clémence ou sa commisération, c’est un univers sans pitié et dont dépend la paix mondiale.

Vous trouverez aussi dans ce livre un récit assez long sur le recours aux parapluies bulgares ; les services occidentaux mirent un certain temps à élucider l’affaire. Mais la première victime a succombé au poison injectée par des tueurs.

J’ai été intrigué par la rubrique consacrée à l’espion du Canard enchaîné (sic). L’affaire n’est pas vraiment claire et l’on se demande pour quelle raison, le suspect n’a pas vraiment été inquiété. L’affaire des plombiers du Canard enchaîné n’est pas vraiment convaincante.. On dit sans preuve que ce fiasco des plombiers aurait dissuadé les responsables de s’exposer aux critiques de l’opinion pour la seconde fois. On aurait préféré étouffer l’affaire pour ne pas exposer les services au désaveu de l’opinion publique.

Comment les officiers traitants traitent leurs agents en pays ennemi ? Ce qui frappe, c’est la description de la boîte aux lettrées morte… On glisse un microfilm ou un document dans un tronc d’arbre d’une forêt ou sous un banc public dans une ville. Parfois les deux parties ne se connaissent pas, ce qui confère plus de sécurité dans l’action d’espionner. Dans d’autres cas, on favorise le croisement furtif de deux individus au cours duquel on livre à son correspondant un document ou un objet.

Il est arrivé que des services secrets enlèvent un espion ami ou ennemi au beau milieu d’une grande ville ; ainsi, les Russes déconseillaient aux cinq de Cambridge de trop fréquenter les grands hôtels de Moscou de crainte d’être enlevés par les Britanniques, spécialistes de l’exfiltration.

On trouvera aussi une longue notice sur l’espion du KGB qui renseignait la France et dont le président Mitterrand livrera le nom au président Reagan pour l’assurer que la France, même avec des ministres communistes, était solidement arrimée au camp occidental. Ce fut l’odyssée de Farewell. Ce super espion est hélas tombé à cause d’une affaire de mœurs, une violente altercation au cours de laquelle il aura tué un homme et poignardé sa propre maitresse Ludmilla. Rattrapé et condamné à de la prison, ses activités d’espionnage seront découvertes et il fut exécuté en 1985.

Lisez ce livre et vous passerez d’excellents moments de détente.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

 

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