Jean Massonet, L’épître aux Hébreux, Le Cerf, 2023

Voici une épître qui a connu un destin singulier et qui, depuis près de vingt siècles résiste victorieusement à toutes les tentatives d’élucidation de son auteur, de son origine, de ses dédicataires, voire de ses objectifs. On continue de s’interroger même sur le sens à donner à ces Hébreux qui se distinguent des autres pièces constitutives  du Nouveau Testament. Et à ce jour, si j’en crois la présentation de ce sympatrique petit ouvrage par un digne représentant de l’église chrétienne, on continue de retrouver les mêmes difficultés. Mais le contenu doctrinal est très clair et rejoint celui qui a toujours été celui de l’église : ramener les juifs dans le giron de l’église du Christ, un objectif très difficile à atteindre… Mais à qui s’adresse vraiment cette épître qui n’a été admise dans le canon des Écritures Saintes qu’après une période d’exil assez conséquente. Pourquoi l’usage du terme Hébreux ? S’agit-il de Judéo-chrétiens en butte à des persécutions du fait de leurs croyances religieuses et qui seraient menacés d’apostasie en raison justement de leur nouvelle foi ? S’agit-il de nouveaux Chrétiens, tout récemment  convertis et qui n’auraient pas encore totalement rompu le lien avec leurs anciennes pratiques rituelles, notamment le culte sacrificiel ? En effet, c’est une croyance cardinale de la nouvelle église que tout ce qui se rapporte à la rémission des péchés et à la purification des êtres vient de Jésus et de personne d’autre. Le ou les auteurs de cette épître chaussent des lunettes chrétiennes ou «christianisantes» pour lire la Bible hébraïque, dite l’Ancien Testament. Cette pensée christique constitue l’épine dorsale de l’épître : tout ce que nous dit cet Ancien Testament trouve son sens dans l’implication de Jésus. On assiste à une allégorisation systématique de la Bible hébraïque où le seul héros majeur, celui sui dépasse tous les prophètes, jusques et y compris, Moïse, est Jésus. On peut dire que cette épître fut la première à théoriser l’idée de la théologie de la substitution : le christianisme serait la vérité du judaïsme. Renan lui-même, pourtant si critique de la méthodologie de l’église, avait adopté cette idée dans son ouvrage intitulé  Histoire des origines du christianisme : une fois que l’église triomphante est là, le judaïsme a accompli se mission, il peut disparaître… Sa présence  historique ne s’impose plus. On n’a pas connu pire captatio benevolae … C’est à peu de détails près, le message principal de cette épître dont on ne sait pas grand’ chose. S’il est permis à un non spécialiste de formuler une hypothèse, le texte s’adresse surtout à des juifs qui n’ont pas aboli leur attachement au culte sacrificiel. Il faut donc leur expliquer que les anciennes voies du pardon ne sont plus les mêmes que dans l’ancien temps, donc avant la venue du Messie .

Longtemps, on a attribué l’épître en question à Paul de Tarse ou à ses presbytres , à Timothée, par exemple ou dans leur environnement plus ou moins proche. Mais les spécialistes notent quelques détails stylistiques ou thématiques qui ne vont pas dans la direction paulinienne : le style des exhortations, la suscription, la salutation finale, la référence à l’Italie, etc… Et toujours cette dédicace aux Hébreux que Paul n’aurait peut-être pas utilisée dans ce contexte, même s’il se reconnaissait dans ses racines juives.

Le jour des propitiations, Yom-ha-kippourim, constitue le summum de la religion et de la spiritualité du judaïsme. C’est le jour au cours duquel les Juifs obtiennent de la part de Dieu la rémission de tous leurs péchés. C’est donc le jour le plus sacré pour les juifs et le traité talmudique qui lui est consacré porte le simple titre de Yomah, le jour, le seul au cours duquel le grand prêtre a le droit de pénétrer dans le saint des saints. Dans la présente épître, ce rôle de purificateur est transféré à Jésus, sorte d’alter ego de Melchisédech, voire largement au-dessus de ce personnage biblique mystérieux qui échange quelques mots avec le patriarche Abraham. Dans le livre de la Genèse.. La Bible hébraïque n’en dit pas plus sur un personnage qui servait le Dieu d’en-haut (‘El elyon).

On obtient grâce à ce livre de précieux détails sur cette épître même si nous n’avons toujours pas toutes le réponses à nos questions. En revanche, nous lisons de fines analyses notamment de la composition de ce texte. Je reste, pour ma part, proche de la thèse qui le relie d’une manière ou d’une autre, à une origine paulinienne.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

 

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