Éric-Emmanuel Schmitt, Le défi de Jérusalem. Albin Michel.

Le Défi de Jérusalem | Éditions Albin Michel

Jérusalem n’est pas une cité originaire. C’est là que s’est noué et joué le destin de l’humanité dans son entièreté. Les trois monothéismes s’y sont enracinés et se disent concernés par tout ce qui s’y passe. Cela conduit le plus souvent à des guerres, à des luttes et c’est aussi dans cette cité biblique qu’ont pris naissance les contestations judéo-chrétiennes.

Eric-Emmanuel Schmitt n’est pas le premier auteur venu. Dans une introduction très belle, véritable joyau de la prose française, il relate les circonstances qui ont conduit à l’écriture et à la publication de ce livre. Je rappelle que le saint Père François a écrit une lettre à l’auteur et que celle-ci figure en postface à l’ouvrage. Ce n’est pas rien.
Dans les premières pages servant d’introduction à ce bel ouvrage , l’auteur nous fait entrer dans son atelier d’écriture, passage absolument passionnant. Il ne s’agit pas de sentiments imposés mais d’authentiques émotions, au fur et à mesure que se rapproche la concrétisation du projet : voyager à travers les sites les plus parlants de Terre sainte et mettre en lumière leur importance pour le monothéisme qui inspire toutes nos valeurs éthico-religieuses. Les regards de l’humanité croyante sont tournés vers Jérusalem, la cité due roi David, salon la Bible.

On ne rend pas suffisamment compte de cette ville en se limitant aux découvertes archéologiques ou historiques. Au fond, comment cette petite implantation de quelques centaines d’âmes, juchée sur un piton rocheux, aride et désertique, et difficile d’accès, a concentré sur elle tant de passions et tant de revendications.

Au XIXe siècle, un grand historien judéo-français, Théodore Reinach a dit que s’il fallait rendre Jérusalem à un peuple autre qu’Israël, ce serait aux Jébuséens. Et il a raison puisque c’est le roi David (vers 1000 avant notre ère)) qui l’a conquise sur cette peuplade, aujourd’hui disparue. C’est dire combien les revendications portant sur la ville sainte sont inextricables. D’où l’intérêt du Vatican dans cette affaire, même si Jésus n’y a pas passé beaucoup de temps.

Cette référence à Jésus permet à l’auteur de dire ce qu’il pense des fondements de la foi chrétienne à laquelle il demeure très attaché. Apparemment le foyer parental ne brillait pas, au début , par son souci de la matière religieuse.. On sent émerger des idées de la critique biblique qui met à nu les contradictions ou simplement les invraisemblances du récit évangélique. Mais cela vaut aussi de certains passages du Pentateuque qui font plus appel à la foi naïve qu’à l’esprit critique ou simplement historiographique… Ce sont là des questions indécidables car elles portent sur cette confrontation pluriséculaire entre la révélation et la raison ; et le rôle même de Jérusalem dans cette vaste affaire échappe parfois à la lumière de l’intellect humain (lumen naurale) pour solliciter les fulgurances de l’intuition divine… D’où la vision que l’auteur aura dans un site éminemment sacré…

Et pour débrouiller cet embrouillamini, l’approche de l’auteur est la bienvenue… Comment réconcilier l’histoire et la mémoire, concernant le défi de Jérusalem ? La charge de sacré et de numineux pesant sur cette seule ville est un cas unique dans l’histoire de l’Occident et dans celle du monde islamique qui revendique lui aussi cette fameuse esplanade des mosquées.

Schmitt explique aussi comment il fit sa première communion sans avoir vraiment approché les Évangiles… Notons cette phrase qui résume tout un mouvement de pensée tendant à faire de la religion un arsenal de valeurs chrétiennes plutôt que de la foi chrétienne. Parlant des cours d’un prêtre, l’auteur note cette phrase qui résume bien l’ensemble du débat : Davantage qu’au christianisme, il nous initia aux valeurs chrétiennes. Ce n’est pas là la condamnation d’une supposée disgrâce, c’et out simplement la douce dénonciation d’une confusion : les valeurs sécrétées par une sensibilité chrétienne ou christianisante ne sont pas le cœur de la foi chrétienne. Certes, on peut ne pas être d’accord et dire que le projet de la foi est justement de se muer en culture. Mais ici aussi il y a une confrontation entre l’humanisme biblique ou réputé chrétien et les articles de la religion chrétienne en tant que telle. L’auteur pointe un danger qui guette, voire menace les religions monothéistes : l’acculturation prend le pas sur la foi qui devient une Religionsphilosophie plus ou moins universaliste, à laquelle l’homme aboutit au terme d’un raisonnement et non par l’effet d’un pouvoir ou d’une puissance qui dépasse la nature… On retrouve ce débat au Moyen Âge chez Maimonide quand il s’agit de savoir si les non-juifs peuvent accéder au monde futur, i.e. parvenir à l’immortalité de l’âme : ceux qui croient à l’unicité divine par révélation sont, selon lui, infiniment supérieurs à ceux qui se servent du raisonnement plus que de la révélation… En gros, c’est la philosophie du Siècle des Lumières qui a conduit à cette évolution où les valeurs se sont substituées aux miracles et à la foi naïve. La philosophie a sauvé le religion au prix de l’abandon des miracles et de la foi naïve. C’était aussi sceller la supériorité de la philosophie par rapport à la religion ou à ce qui en tient lieu. C’était une forme d’aveuglement. .

Mais ce ne fut pas la fin de l’hstoire puisque la rencontre avec le désert allait tout changer et provoquer une reconversion. Qu’on en juge : Le désert ne me christianisa pas ; il me rapprocha du juif, du chrétien et du musulman., voire des mystiques orientaux, même si certains d’entre eux nommaient vide ce que j’appréhendais comme plein…

L’auteur n’en resta pas là puisqu’il lit enfin les Évangiles et découvre la valeur suprême, l‘amour.

De ce livre chrétien et qui s’adresse à un public bien défini, émane un questionnement incontournable ; mais la lecture assidue des Évangiles montre que les différents auteurs ne livrent pas la même histoire. Toutefois, par-delà ces doutes, la figure de Jésus se détache avec force. En se rendant sur les différents lieux fréquentés par Jésus, l’auteur revit les faits en son for intérieur. Il redonne vie à la lettre et l’enracine encore plus dans ce qu’’l vit t lui-même dans son mémorable périple.

Ce livre a été rédigé à la gloire de la sensibilité chrétienne ; c’est parfaitement acceptable et concevable

Mais on se trompe un peu quand on dit que le judaïsme s’épanouit en christianisme : ce sont deux religions différentes l’une de l’autre mais pas indifférentes l’une à l’autre.. Et cela dure depuis plus de deux millénaires. Toutefois, les liens authentiques sont apparus et sont reconnus par de plus en plus de gens. C’est en cela que tient le défi que Jérusalem lance à la face du monde entier.

J’aime cette réflexion :
Aucun religion n’est vraie ou fausse. La mienne pas avantage qu’une autre.

Et encore plus cette citation de Blaise Pascal : Si on ne faisait que pour le certain, on ne ferait rien pour la religion car elle n’est pas certaine…

Il faut aussi lire, sans la moindre réserve, la belle lettre du pape François qui fait ici figure de postface.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

 

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