En Judée Samarie, une organisation évangélique américaine mène un ambitieux projet de reboisement, avec l’aide des pionniers juifs et la protection tacite des autorités militaires israéliennes.

Depuis l’implantation de Har Brakha [implantation israélienne], qui surplombe Naplouse et les villages palestiniens environnants, on distingue clairement sur l’autre flanc de la vallée une vaste étendue verte. Il s’agit d’une forêt faisant partie du projet Greening Israel, consistant à planter des centaines de milliers d’arbres sur les montagnes et les collines de de Judée Samarie.

L’organisation à l’origine de ce projet ambitieux s’appelle HaYovel [“le Jubilé”, en hébreu]. Fondée en 2007 par des évangéliques américains, cette organisation partage l’idéologie de l’Eretz Israel Hashlema [le “Grand Israël”, englobant l’État d’Israël, la Judée Samarie, la bande de Gaza, ainsi que la Jordanie.

Jusqu’à récemment, l’organisation se concentrait sur le recrutement de volontaires chrétiens pour les vendanges dans les vignobles des implantations juives.

Lancé en début d’année, Greening Israel consiste, lui, en la plantation, d’ici à la fin de 2022, de 3000 arbres sur des terres appartenant au village palestinien de Burin (2 800 habitants arabes). L’organisation évangélique a encore d’autres ambitions : la plantation annuelle de 20 000 arbres (soit 100 hectares par an) “sur toute la chaîne centrale des montagnes de Judée et de Samarie” [nom biblique de la Cisjordanie], selon le site web du projet.

“Un précédent inquiétant”

HaYovel est enregistrée en tant qu’association à but non lucratif à Patterson, Missouri, ce qui signifie que les dons sont déductibles d’impôts. La forêt plantée en contrebas de Har Brakha est présentée comme une “parcelle d’essai”. Il y a deux ans, quelque 2 000 arbres de diverses espèces y ont été plantés par une centaine de volontaires chrétiens, afin de voir lesquelles s’adaptaient le mieux à un sol aride.

Le problème est que cette “parcelle d’essai” n’appartient ni aux évangéliques américains ni aux pionniers juifs religieux de Har Brakha, mais à des agriculteurs arabes de Burin, le village palestinien voisin, selon Dror Etkes, fondateur en 2012 de Kerem Navot, une ONG israélienne qui surveille et étudie la politique foncière en Judée Samarie.

“En vingt ans, je n’ai jamais été confronté qu’aux innombrables cas de pionniers juifs s’appropriant des terres palestiniennes. Le cas de ces chrétiens évangéliques est un précédent inquiétant.”

Etkes se base sur les informations et les photos aériennes demandées par son ONG à l’Administration civile en Judée-Samarie [l’autorité israélienne qui gère les affaires civiles en Cisjordanie, y compris dans les zones autonomes administrées par l’Autorité palestinienne]. Seulement, dans la pratique, le Matpash [acronyme hébreu de la Coordination des activités gouvernementales dans les Territoires], auquel est soumise l’Administration civile, refuse de communiquer quelque information que ce soit quant aux litiges fonciers en Cisjordanie.

Accaparement de propriétés palestiniennes

Jusqu’à la seconde Intifada [2000-2004], explique Dror Etkes, les terres de Burin furent intensivement cultivées. “Si elles ont été ensuite laissées en friche, c’est parce que leur accès y a été empêché à la fois par les pionniers de Har Brakha et par Tsahal [l’armée israélienne]. Or, en vertu d’une ancienne loi [jamais abrogée par les Ottomans et les Britanniques], le statut de friche permet aux pouvoirs publics de se saisir de ces terres.”

L’une des questions abordées dans la section FAQ du nouveau site web Greening Israel est de savoir si HaYovel a des droits sur ces terres. Réponse : “Nous ne sommes propriétaires d’aucune de ces parcelles. La plupart des sites de Greening Israel sont détenus par l’État d’Israël et nous travaillons en étroite collaboration avec des agriculteurs individuels et les communautés juives .

Or, souligne Dror Etkes, à peine 10 % des projets de reboisement se trouvent sur des “terres domaniales”, c’est-à-dire des terrains non privés et dont Israël est responsable de l’administration.

“Mission biblique”

Pourtant, le fondateur de HaYovel, Tommy Waller, assure qu’il a “évidemment obtenu les autorisations nécessaires auprès des différentes autorités israéliennes”, sans pour autant nous les montrer. “Bref, cette parcelle n’est la propriété privée d’aucun agriculteur palestinien.”

Bashar Eid, un villageois arabe de Burin, a, lui, pu citer plusieurs familles, dont la sienne, qui ont vu leurs terres confisquées pour le projet de reboisement. “Là-bas, je possède 1,2 hectare de terres arables, mais je ne suis plus autorisé à y accéder.” Mais dans la plupart des cas, les Arabes n’ont aucun titre de propriété.

Tommy Waller proteste de sa bonne foi : “Nous ne sommes pas de vilains méchants qui veulent faire du mal aux Palestiniens. Ce qui nous anime, c’est voir la terre des prophètes reprendre vie. Pour nous, il s’agit d’une shliḥut tanakhit, une mission biblique.”

Bien que HaYovel n’ait jamais demandé aux parties concernées les autorisations nécessaires au projet Greening Israel, l’organisation promet aux bailleurs de fonds que “leurs” arbres seront plantés dans les six mois suivant la réception de leur don, et facture 25 dollars [24 euros] par arbre.

Depuis sa création, en 2007, HaYovel a fait venir des milliers de volontaires évangéliques dans les implantations de Judée Samarie. À Har Brakha, l’organisation dispose même de son propre campus [appelé HaYovel Volunteering], où Waller et sa famille vivent et où les volontaires sont hébergés.

Néanmoins, Yaakov Weinberger, porte-parole de cette implantation de 2 800 habitants, prétend n’avoir jamais entendu parler du projet Greening Israel. “Je connais les gars de HaYovel. Ils sont formidables, mais ce projet ne se fait pas en coordination avec nous.” Ce qui est invraisemblable.

Des incursions d’“étrangers”

Début 2022, lors du lancement de Greening Israel, HaYovel a publié un documentaire de trente minutes à des fins de collecte de fonds. La vidéo évoque entre autres des incursions d’“étrangers” tentant de déraciner et d’incendier les plantations de Har Brakha. Pour empêcher de nouveaux actes de sabotage, le groupe chrétien avait acquis deux chiens de garde en décembre 2020. Lorsque ces chiens ont disparu, quelques semaines plus tard, les Waller ont “invité” les soldats israéliens à investir Burin au milieu de la nuit. Et la vidéo montre les Waller qui reçoivent, en direct, des informations de l’armée sur le déroulement de l’opération. Les chiens n’ont finalement jamais été retrouvés.

Mais, là aussi, le gouvernement militaire affirme ne rien savoir de HaYovel et de ses activités.

Haaretz – corrigé