Nous sommes en 1920. Franz Rosenzweig, né à Cassel en 1886, n’a pas encore trente-cinq ans. En 1918, quelques mois avant le décès du grand philosophe Hermann Cohen, il lui adresse une lettre ouverte (Zeit ists : il est grand temps) pour l’alerter sur l’état lamentable du système éducatif juif de son temps. img

La preuve que ce jeune homme, issu de la meilleure société juive (assimilée) d’Allemagne, vit une sorte de renouveau juif en lui-même, nous sera donnée un peu plus tard quand il adressera au chimiste Edouard Schwarz une autre lettre ouverte encore plus vibrante que celle adressée précédemment à Hermann Cohen, intitulée Trop de livres (Bildung und kein Ende). Enfin, chacun a pu lire l’autre lettre ouverte adressée à son ami Martin Buber, Les bâtisseurs (Die Bauleute), puisque j’en ai publié ici même la traduction française.

Mais vivre en Allemagne en 1920 n’était pas une partie de plaisir. Le second Reich s’était effondré en 1918, l’empereur Guillaume II s’était enfui en Hollande et la République de Weimar gérait désormais l’avenir d’un pays en ruines, occupé et condamné par l’ensemble des nations. Le sous officier Rosenzweig avait été mobilisé, d’abord dans le corps de santé de l’armée et ensuite comme soldat sur le champ de bataille. C’est dans les tranchées des Balkans qu’il rédigea en six mois son œuvre majeure L’étoile de la rédemption dans une sorte d’inspiration fiévreuse qui en marque la texture.

Fidèle à la bonne tradition germanique, après une défaite militaire, on songe à une reconstruction , à une réforme morale et intellectuelle de la nation (voir Ernest Renan), Rosenzweig qui avait traversé une grave crise spirituelle qui l’avait mené au bord de l’apostasie, comprend la nature du danger et veut faire renaître un judaïsme allemand qu’il sent comme frappé de langueur… Si lui-même n’avait pu conserver sa fidélité au judaïsme ancestral qu’à un émouvant office de Kippour (1913) dans un petit oratoire polonais de Berlin, où de modestes juifs priaient avec une authentique ferveur religieuse le Dieu de leurs ancêtres, combien de ses coreligionnaires avaient franchi le pas pour rejoindre d’autres dénominations religieuses.

C’est donc pour redresser cette situation catastrophique qu’il fonde quelques années après cette crise un Institut libre d’enseignement juif à Francfort sur le Main (Freies Jüdisches Lehrhaus), qui abritait jadis une importante partie des juifs du pays. Mais il le fonde avec un seul objectif ; que la vie reprenne le pas sur la science du judaïsme, une science desséchante à ses yeux et qui considère son champ d’investigation comme une sorte d’archéologie d’une pensée juive devenue muséale.

Et cette remarque nous place au cœur même du projet de Rosenzweig : la vie, le vivant, la vitalité, telles sont les valeurs à promouvoir. A partir de là, il ne faut plus chercher dans la Tora des correspondances ou des allusions à des réalités philosophiques, politiques, économiques existant ailleurs et en profiter pour se dire que les valeurs, l’esprit du monde est validé par la Tora et, partant, on peut donc s’en affranchir pour rejoindre un autre horizon qui, en fait, propose les mêmes choses.

Rosenzweig commande d’effectuer le trajet inverse : aller du monde extérieur vers la Tora. Il ne faut plus que la vie conduise à la Tora, uniquement comme si cette dernière devait servir d’appui ou de preuve à autre chose, mais l’inverse : la Tora doit nous conduire vers la vie, elle a une philosophie de la vie, elle est vie, comme le disait le Psalmiste il y a plus de deux millénaires. C’est elle qui doit avoir le dernier et non pas cautionner le geste de ceux qui la quittent pour aller ailleurs.

Rosenzweig désavoue ce que je nomme le concordisme, et il a bien raison. Il s’agit de ces juifs qui prétendent tout retrouver dans la Tora en usant d’une méthode exégétique douteuse. Il donne deux exemples, celui de la démocratie et celui du socialisme.

L’auteur considère que nous devons notre survie à un seul livre qui nous ouvre la voie vers tous les autres : la Bible. Le seul ouvrage de l’Antiquité, encore en usage sous la forme d’un rouleau (sefer Tora). Dans l’histoire récente du judaïsme européen et donc allemand, Rosenzweig juge que l’Emancipation a ravagé les plantations (pour reprendre une expression talmudique, adoptée ultérieurement par les kabbalistes) en détruisant les anciennes structures communautaires, non remplacées valablement depuis. Il résume sa pensée en disant que les privatdocents et les professeurs d’université ont remplacé les talmidé hakhamim (disciples des sages), portant ainsi un coup assez sérieux à la survie et au développement de la tradition ancestrale. Rosenzweig n’est pas satisfait par les solutions préconisées tant par l’orthodoxie que par le libéralisme. L’espace libéré par la chute des hauts murs du Ghetto est trop important pour que de simples slogans ou des paroles ronflantes (sic) puissent colmater efficacement les brèches.

Il faut donc un nouveau lernen, un nouveau mode d’études qui s’éloigne absolument de l’abstraction et de la conceptualisation des matières juives. On retrouve ici une idée d’Emmanuel Levinas qui l’avait évidemment lue chez Rosenzweig qu’il affectionnait tant (voir son livre Totalité et infini). N’oublions pas que dans ses Opera minora Rosenzweig écrivait que le judaïsme n’est pas, à ses yeux, un simple objet d’étude, mais une irremplaçable méthodologie…

La voie est tracée : elle tourne délibérément le dos à tout l’effort exégétique du XIXe siècle juif, celui de la montée en puissance de cette fameuse Science du judaïsme (Wissenschaft des Judentums)… Rosenzweig va jusqu’à écrire textuellement qu’il ne faut plus persévérer dans cette voie erronée. J’avoue ne pas suivre Rosenzweig entièrement sur cet aspect des choses.

Il est un adversaire que Rosenzweig a toujours présent à l’esprit mais qu’il ne cite jamais nommément, c’est le zèle convertisseur de l’église, notamment évangélique (protestante). Il se lamente en constatant que les meilleurs esprits du judaïsme, désespérés de voir que rien n’en sortait, l’ont quitté et ont mis leur talent au service d’autres causes. C’est une désertion massive. Il y a aussi un adversaire combattu mais toujours silencieusement, ce sont les théologiens et les biblistes chrétiens qui veulent ruiner le judaïsme de l’intérieur en opposant l’universalisme des prophètes au particularisme et à l’orthopraxie du Pentateuque…… Et bien entendu qui mettent en avant l’esprit opposé de la halakha, d’une part, et de l’aggada, d’autre part.

La aussi, on sent la fervent attachement de l’auteur à la tradition juive ancienne, laquelle rejette les conclusions de la haute critique.

Et ce discours de Rosenzweig se termine par un vibrant appel, appel à revenir à la maison, à rentrer en soi-même, à se comprendre et à s’aimer. Le fait de renouer avec ses vraies racines n’est pas un péché contre l’esprit. Tout au contraire : c’est l’unité harmonieuse de l’être.

Maurice-Ruben HAYOUN.

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FRANZ ROSENZWEIG

Projet d’allocution pour l’ouverture de l’Institut libre d’études juives de Francfort sur le Main (1920)

Aujourd’hui, alors que cet institut ouvre ses portes afin de poursuivre la série de conférences destinées à la formation des adultes juifs, conférences prononcées durant l’hiver et le printemps derniers, je ne me risquerai pas à imiter cet homme admirable (le défunt rabbin Néhémie Anton Nobel) dont la splendide leçon avait marqué le début de nos activités du précédent semestre, lorsqu’il avait jeté son dévolu sur un thème tiré du vaste champ des études juives. Et d’ailleurs, vous ne pouvez pas en attendre autant de moi, si jeune et encore inconnu. Je me contenterai de parler de la tâche que nous nous sommes assignés ainsi que les objectifs présents à notre esprit et je promets d’en parler de la façon la plus simple possible.[1]

Francfort regorge d’associations juives. Cela reviendrait à verser de l’eau dans le Main si la société de la formation des adultes juifs cherchait à en accroître le nombre. Rien ne nous est plus étranger que l’idée de leur faire concurrence de quelque manière que ce soit. La vie qui s’y déploie reflète une très grande diversité. De notre côté nous n’userons que de crainte révérencielle et d’espoir : respect pour ce qui a déjà existé et admiration pour ce qui va advenir. Telle est et doit être notre tâche, celle d’éclairer. S’il en était autrement, seriez vous assis là, tous ensemble ? Un coup d’œil rétrospectif sur le passé nous aidera à mieux comprendre le présent…

Apprendre (lernen) : je dirais qu’à l’heure actuelle, parmi vous peu nombreux sont ceux qui sont incapables de saisir la connotation spéciale que ce terme évoque en eux aujourd’hui encore, même dans un environnement juif. C’est à un livre, notre livre, que nous sommes redevables de notre survie, ce livre dont nous continuons de nous servir, et ce n’est nullement un accident, même extérieurement n’a pas varié en plusieurs millénaires. (C’est l’unique livre de l’Antiquité qui connaisse encore un usage vivant sous la forme d’un rouleau.) L’apprentissage de ce livre est devenu l’affaire de tous, couvrant toute la surface de la vie juive, intégralement. Ce livre agit à la fois dans le sens de l’aristocratie et de la démocratie. (La connaissance de la Tora prend le pas sur l’origine familiale). Tout, absolument tout, était contenu dans cette manière d’apprendre ce livre. Il y eut aussi des «livres extérieurs» (apocryphes) mais les apprendre était considéré comme l’antichambre de l’apostasie. Il est parfois arrivé que des éléments extérieurs, comme Aristote, par exemple, aient été assimilés avec succès. Toutefois, cette capacité assimilatrice semble avoir nettement décru au cours de ces derniers siècles.

Sur ces entrefaites survint l’Emancipation qui, d’un seul coup, a élargi considérablement l’horizon intellectuel de la pensée et immédiatement dans la foulée, la vie de tous les jours. L’étude ou l’apprentissage du judaïsme n’a pas été en mesure de suivre un tel rythme. La nouveauté n’était pas tant l’effondrement des barrières extérieures, car même auparavant, alors que le ghetto servait d’abri au juif, il ne l’avait pas coupé du monde extérieur. Le Juif pouvait quitter les limites de ce lieu qui ne lui donnait que la paix et un espace protégé où son esprit pouvait se déployer. La nouveauté n’est pas que les pas du juif n’aient pas pu le conduire plus loin qu’auparavant ; au Moyen Age (et les premières décennies des temps modernes, vues sous l’angle de l’histoire sociale, appartiennent encore au Moyen Age), le Juif n’était pas un élément particulièrement sédentaire, il était plutôt nomade comparé à d’autres segments de la société médiévale. Cette situation n’était pas une exception, et c’est toujours le cas aujourd’hui encore en Orient. La nouveauté était que le voyageur n’était plus contraint de regagner ses pénates à la nuit tombée. Les portes du ghetto ne se refermaient plus derrière lui, lui permettant de se livrer à l’étude solitaire durant toute la nuit. En clair : le Juif trouvait un espace spirituel et intellectuel en dehors du monde juif.

L’ancien système d’apprentissage a échoué face à cette émigration spirituelle. On peut le dire aujourd’hui d’un point de vue statistique : C’est en vain que le libéralisme et l’orthodoxie ont tenté de s’étendre et d’occuper ces nouveaux espaces. Quelle qu’ai été la capacité de la loi juive à s’étendre, elle n’avait pas la force d’ englober et d’incorporer la vie intellectuelle et spirituelle. On avait beau mettre une mezuza sur le linteau des portes pour saluer les visiteurs, la bibliothèque ne comprenait, au mieux, qu’un petit coin réservé au judaïsme. Et le libéralisme, lui qui aurait dû tenter d’apprivoiser la vie avec les armes de la loi, au lieu de tenter de le faire à l’aide d’une escadrille d’aviateurs mobiles ne fut pas mieux partagé.

Apparemment il n’ y avait pas d’autre solution que de procéder, autant que possible, à la dilution, jusqu’à l’excès parfois, de l’esprit du judaïsme (ou à ce qui se donnait comme tel ), pour borner l’ensemble de la vie intellectuelle ; mais le couvrir au vrai sens du terme était hors de question. Des slogans ronflants étaient constamment repris, le judaïsme ancien les connaissait bien tout en ayant eu la sagesse d’en user parcimonieusement de peur d’en émousser la pointe par un usage trop fréquent. Des slogans ronflants comme «l’humanité», «l’idéalisme» etc , considérés par ceux qui les prononçaient comme englobant le monde. Mais voilà, le monde résistait à des étreintes si superficielles. Il exigeait un engagement plus personnel. Il est impossible d’assimiler le judaïsme à un domaine de la vie intellectuelle et spirituelle en répétant sans cesse le même slogan pour revendiquer ensuite une parenté avec un concept juif ou avec quelque chose de similaire.

Par exemple, les questions de la démocratie ne sauraient être judaïsées juste en se référant à un verset de la Tora (Nombres 15 ;16) : Il y aura une seule loi et une seule coutume pour vous et pour l’hôte qui séjourne chez vous, ni celles du socialisme en se réclamant de certaines règles ou institutions sociales de l’Israël ancien. Et si nous redoublons d’efforts pour nous en convaincre, eh bien c’est tant pis pour nous. Car nos esprits les plus doués et les plus créatifs ne se sont jamais laissés berner. Ils nous ont quittés.

Est ce un malheur ? Non point, c’est une bonne chose. Ils sont allés ailleurs où ils ont fini par trouver leur propre univers spirituel et mis leur talent au service d’autres causes. Le livre autour duquel nous nous réunissions jadis est désormais délaissé dans cet univers et même ceux qui considèrent comme un agréable devoir de s’y référer à intervalles réguliers, un tel retour ne signifie rien d’autre que se détourner de la vie et lui tourner le dos. Leur univers n’en demeure pas moins un univers non-juif, même lorsqu’ils disposent d’un milieu juif vers lequel opérer un retour. Apprendre selon le vieux mode traditionnel en vue de restaurer le lien entre la vie et le livre s’est soldé par un échec.

En est ce un vraiment ? Non point, sauf si l’on parle de l’ancienne formule. Car si l’on considère le très bas niveau qui est désormais le nôtre, nous serions loin d’être un modèle aux yeux des nations et cesserions d’être le peuple éternel puisque notre propre maladie ne peut pas sécréter d’antidote. La situation aujourd’hui ressemble à ce qu’elle a toujours été par le passé. Nous tirons une vigueur nouvelle de ces mêmes circonstances qui semblent porter un coup mortel à l’ancien «apprentissage», à savoir la désertion de nos savants qui se réfugient dans des disciplines englobées par la science des livres extérieurs, la transformation de nos talmidé hakhamim (disciples des sages) en privatdocents et en professeurs d’universités de l’Europe moderne. Un apprentissage nouveau est en train d’éclore, voire même a déjà éclos.

Il s’agit d’un apprentissage en sens inverse ce n’est plus un apprentissage qui part de la Tora pour déboucher sur la vie, mais qui suit le parcours inverse : partir de la vie, d’un domaine qui ignore ou prétend tout ignorer de la Tora, pour s’en revenir vers elle. Tel est bien le signe de notre temps.

C’est le signe de notre temps car il est la caractéristique des hommes de notre temps. Aujourd’hui personne n’échappe à l’aliénation, que ce soit une aliénation totale ou simplement partielle. Même dans le cas de «Goethe.» Tous ceux d’entre nous qui considèrent le judaïsme et le fait d’être juif comme le pivot de leur vie – et je sais bien qu’en m’exprimant ainsi je ne parle pas que de ma personne – savent qu’en étant des Juifs nous sacrifions tout à notre judaïsme sans renoncer à quoi que ce soit, et qu’au contraire nous ramenons tout au judaïsme. Nous quittons la périphérie pour le centre, nous quittons l’extérieur pour l’intérieur.
Il existe une nouvelle façon d’apprendre, un nouveau mode pour lequel, de nos jours, le plus apte à le suivre est celui qui ramène avec lui le maximum d’éléments étrangers. Je signifie par là non pas le spécialiste d’études juives, mais même dans ce cas, un tel homme, peut réussir, non pas en tant que tel, mais plutôt comme quelqu’un qui est tout aussi aliéné que les autres mais qui cherche à tâtons le chemin de la maison.

La question n’est pas de mettre en évidence les correspondances entre ce qui est juif et ce qui ne l’est pas. On l’a assez fait par le passé. Ce n’est pas, non plus une affaire d’apologétique, il s’agit plutôt de retrouver le chemin menant au cœur de notre existence. Et d’être assuré que ce cœur est bien un cœur juif. Car nous sommes des Juifs.

Ça a l’air très simple et ça l’est effectivement. Il suffit de réunir toutes sortes d’enseignants et d’étudiants. Jetez donc un simple coup d’œil sur nos prospectus. Vous y trouverez, entre autres, un chimiste, un médecin, un historien, un artiste et un homme politique. Les deux tiers du corps enseignant sont des gens qui, il y a vingt ou trente ans, au cours d’un siècle où l’érudition juive était devenue le monopole des spécialistes, se seraient vu refuser le droit d’enseigner dans une maison d’études juives. Ils se sont réunis ici parce qu’ils sont juifs. Ils sont ensemble ici parce que l’apprentissage juif contient un «enseignement» juif. Quiconque enseigne ici – et je crois pouvoir parler au nom de tous – sait qu’en dispensant son enseignement, dans nos murs, il ne sacrifie rien de lui-même. Quiconque collecte – et nous sommes tous des «collectionneurs»- doit s’attacher à tout ce qui est rassemblé partout où il le trouve. Et je dirais même plus : il doit se saisir de lui-même partout où lui-même se trouve. Et si nous agissions autrement, nous persévérerions dans les mêmes erreurs d’un siècle dont on perpétuerait l’échec ; le mieux que nous puissions faire serait de décorer la vie à l’aide de quelques «perles» de sagesse talmudique ou d’autres sources juives anciennes et nous laisserions tout le reste dans le même état non-juif dans lequel nous l’avions trouvé. Mais il n’est pas ainsi: nous prenons la vie telle qu’elle est. Notre propre vie ainsi que celle de nos étudiants. Et petit à petit (parfois même tout à coup) nous transportons cette vie de la périphérie où nous l’avions trouvée au centre. Et nous sommes nous mêmes happés par cette foi unique qui ne peut certainement pas être prouvée, à savoir la foi que ce centre ne peut être rien d’autre qu’un centre juif.

La foi demeure indémontrable. Elle nous conduit plus loin que notre verbe. Car nous lançons notre appel depuis la périphérie. Le caractère unique de ce centre n’est pas quelque chose que nous puissions exprimer, posséder en toute clarté et sans ambiguïté aucune, ni quelque chose qu’on puisse enfermer dans une formule. Nos pères étaient mieux placés que nous sur ce point. Aujourd’hui, nous sommes moins bien partagés qu’eux. Nous devons nous mettre en quête de cette unicité et être sûrs et certains que notre recherche sera couronnée de succès. Vu de la périphérie, ce centre ne peut pas être invariablement le même. En réalité, le centre est perçu différemment selon le point de la circonférence où l’observateur se trouve. Il y a plusieurs façons d’aller de l’extérieur vers l’intérieur. Néanmoins, l’intérieur est synonyme d’unité et d’harmonie. En fin de compte, ici chacun devrait parler de la même chose. Et quiconque parle comme il devrait parler , tiendrait, en définitive, exactement le même discours que tous les autres. La seule différence entre nous tous, c’est le point de départ, l’origine.

C’est ainsi, et seulement ainsi que vous devez comprendre les différences et les contrastes de notre programme. Les différences n’existent que dans le but d’être surmontées Aujourd’hui, ce qui est classique, historique et moderne au sein du judaïsme peut se juxtaposer, mais dans l’avenir ceci ne doit pas être ainsi et ne le sera pas. A nous de découvrir les racines de l’histoire au sein de la période classique et la moisson qu’en fit la période moderne. Ce qui est authentiquement juif doit être ces trois choses simultanément. Ce fut le cas au cours de toutes les périodes fécondes du judaïsme. Et nous laissons à ceux qui sont à l’extérieur le soin de considérer comme des contrastes inconciliables des oppositions entre la Tora et les prophètes, entre la halacha et l’aggada., entre le monde et les hommes. Pour ce qui nous concerne, lequel d’entre nous doute du fait qu’il n’existerait pas de Tora sans l’inspiration prophétique de Moïse, le père de tous les prophètes, tant ceux qui l’ont précédé que ceux qui l’ont suivi ?

Et d’autre part, qu’il ne pourrait pas y avoir de prophètes sans le fondement de la Tora et un fondement d’où leur prophétie a tiré sa règle et son rythme ? Et en ce qui concerne l’opposition entre la halakha et l’aggada, chaque folio talmudique montre à l’étudiant que les deux sont indissolublement liées, tandis que chaque page de l’histoire juive prouve que les cœurs et les esprits juifs s’intéressent aux deux : l’investigation savante et la méditation, les règles juridico-légales ET l’exégèse spirituelle. Et, en définitive, le monde juif ! Mais qui pourrait imaginer qu’on puisse l’édifier sans l’homme, sans l’homme juif ! Et que pourrait-il advenir de l’homme juif en fin de compte si, quel que soit son lieu de résidence, il n’est pas entouré d’un environnement juif et d’un univers juif, dans une certaine mesure ? (Car même un territoire n’est pas automatiquement juif, du seul fait que ses frontières sont peintes en bleu et en blanc.)

Partant, toutes ces choses se tiennent. Plus encore que cela ; tout ceci est une seule et même chose en soi-même, et c’est bien ce qui vous sera offert en ces lieux. Vous considérerez chaque aspect pris en soi, chaque conférence, chaque atelier, chaque séminaire individuel comme une partie de l’ensemble qui vous est offert uniquement pour l’amour du tout.

C’est dans cet esprit que je vous souhaite la bienvenue, à l’ouverture de ce nouveau cycle. Puissent les heures que vous passerez ici devenir des heures mémorables, mais pas dans le sens fade d’une piété défunte, comme c’est si souvent l’attitude adoptée à l’égard des matières juives. Je pense à des heures d’un autre type de mémoire, une mémoire (Er-innerung : intériorisation) intériorisée, une façon de quitter l’extérieur pour accéder à l’intime, une façon, croyez moi, qui peut et doit devenir pour vous un retour aux sources.

Revenez à vous, revenez chez vous, en vous, au plus profond de vous mêmes, au plus intime de votre être.

(Kleinere Schriften, Berlin, 1937 pp 94-99.)

Traduit de l’allemand par Maurice-Ruben Hayoun

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________________________________________
[1] Le paragraphe qui suit et que j’imprime en italiques n’a pas été prononcé par l’auteur lors de son allocution. D’où le titre de projet d’allocution..

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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chamonix

Ce discours a été bien établi, la structure des phrases ainsi que le contenu en général est très pertinent. Voilà la magie des mots avec la langue française.

[{{learning to ski}}->http://www.aelm-chamonix.com/#!french-and-alpine-adventure/c1lft]