Elena Kotliarker : Praise him with the timbrel and dance (collection Déborah Ben Soussan)

Albert Bensoussan

Tehilim : l’Hymne à la joie

Soit le psaume 150, tel que représenté sur ce tableau d’Elena Kotliarker. Les couleurs chantent, les danseuses, en lévitation, s’activent sur leur tambourin, la flûtiste et la harpiste s’abandonnent à la musique, tandis qu’un rabbin couvert du talith sonne le chofar. Dans une profusion de fleurs où le rouge domine et la ronde prolixe des grenades.

« Dans mes peintures, je fais tout mon possible pour mettre en avant la beauté et la splendeur abondantes que l’on voit dans l’art juif. Dans ma méthode, je le fais en intégrant les nombreux symboles et icônes juifs qui se sont développés au cours de plusieurs siècles de notre riche histoire et de notre héritage. Les symboles identifient principalement les signes de fortune de la Kabbale comme la bonne santé, la prospérité, la fertilité, etc. Je crois que lorsqu’une personne regarde l’image et détecte les signes, la fortune lui arrive », tel est le propos esthétique de l’artiste-peintre Elena Kotliarker, née à Kiev en 1969, ayant fait son alya en 1996.

Elena Kotliarker dans son atelier, devant ces grandes toiles d’exaltation biblique. Déborah, mon épouse, s’extasiait devant son acquisition et son discours est inscrit sur le Wall de l’artiste :

« Your beautiful painting arrived today — I am amazed that it got here so quickly. I love your use of color and the flow of your work. You are very talented!!! I will be getting your painting framed next week and look forward to getting it up on my wall. Thank you for your lovely work. All the best to you !
Deb »

Puis, après l’encadrement de ce tableau, cette appréciation qui s’ensuivit sur le « Mur » d’Elena Kotliarker :

« I just wanted to send you a picture of the painting I bought from you, which is now hanging in our living room. I love it….and have already received so much positive feedback about it from my friends who have seen it. Thank you for creating such a lovely piece of artwork. It makes me happy just to look at it. Deb »

Le titre de ce tableau correspond au verset 4 du Psaume 150, le dernier du Tehilim et le plus chantant et dansant : « Louez-le avec le tambourin et les instruments de danse », ou, dans la traduction d’André Chouraqui : « Louangez-le au tambourin, à la danse », Hallelouhou vetof ou ma’hol : le tambourin se dit tof תפ, mot admirablement expressif avec la consonne occlusive sourde « t » dont le son suggère le coup, le choc léger de la main sur la peau du tambour, et le « f », précédé de la vocalisation en cet « o » aussi rond que l’instrument, évoque bien, par cette consonne labio-dentale où la lèvre inférieure se rapproche des dents du haut et les effleure en soufflant, la propagation du son ; répétez plusieurs fois tof-tof-tof-tof et vous obtenez le tambourinement musical, tel est le miracle de la sonorité hébraïque. Et ma’hol מחול est la danse, du verbe ‘hol חול= danser, où l’on peut sentir le frottement des vêtements par le « ‘het », le tournoiement avec le « o », le « l » évoquant sans doute l’envol, et assurément la grâce, si l’on songe que l’envol se dit en hébreu הולך, holakh. Cette insistance philologique sert, à mes yeux, à mieux comprendre cet incroyable tournoiement des corps, des fleurs, et des couleurs dans le tableau d’Elena Kotliarker, dont la grâce est accentuée par le vol des papillons et la présence de deux paons à la queue ocellée entourant la joueuse de flûte.

Mais ce verset 4 s’achève sur la musique des cordes minim et de la flûte ‘ougav : מנים־ועוגב dont joue la figure féminine tout à droite. Que dire de cette flûte hébraïque sinon que le ‘oug est ce verbe עוג qui signifie faire un rond, et donc ici arrondir la bouche pour y mettre la flûte à bec, mais comment ne pas voir aussi que ce mot עוגב vocalisé ‘oguev signifie « amant » ? La flûte est bien l’instrument de l’amour. Pour tout mélomane le solo de flûte évoque le magistral Prélude à l’après-midi d’un faune dont Claude Debussy, son compositeur, disait y exprimer « les différentes atmosphères, au milieu desquelles évoluent les désirs, et les rêves de l’Egipan, par cette brûlante après-midi. Fatigué de poursuivre nymphes craintives et naïades timides, il s’abandonne à un sommeil voluptueux qu’anime le rêve d’un désir enfin réalisé : la possession complète de la nature entière ». Et voilà, justement, que mon dictionnaire d’Abraham Elmaleh me dit que ‘oguev, comme adjectif, signifie « voluptueux ». Et l’on remarquera que la joueuse de flûte est représentée sur le tableau mollement assise, voluptueusement posée.

       En bas à droite du tableau se déroule un immense et tortueux chofar collé aux lèvres d’un rabbin dont la tête est recouverte du châle rituel. L’image correspond au verset trois : « Louez-le au son du chofar » − Chouraqui traduit : « Louangez-le à l’éclat du shophar », en hébreu  béteqa’ chofar  בתקע־שופר.  Le mot teqa’ תקע signifie le son d’une trompette, et le verbe taqoa’ qui s’écrit pareil signifie sonner de la trompette. Cette sonorité t-k prédomine dans la sonnerie du chofar à Roch Hachana et Kippour  dans deux de ses trois modalités : Teki’ah תקיעה (= son du cor), d’abord son sur deux notes, insistant et plaintif, puis teroua’h תרועה (= son de la trompette), sonnerie pétaradante servie par le long souffle du sonneur, qui se dit Ba’al teki’ah, qui, après avoir intercalé les trois plaintes du mode chevarim שברים (= trille musicale), revient au teki’ah, pour finir sur teki’ah guedola où il souffle de ses deux poumons à n’en plus finir : tou-tou-tou-tou-tou…, signalant ainsi la rupture du jeûne, la clôture de Kippour. (J’ai mon chofar sur la table, mais je n’ai plus de souffle pour le porter à mes lèvres, je ne suis plus maître ba’al בעל de moi.) On remarquera sur la toile toutes ces torsades blanches prolongeant le bas du talith comme autant de notes soutenant la forme torse du שופר (= olifant, dont on remarquera, bien qu’en français ce cor médiéval tire son nom de l’ivoire de l’éléphant, la parenté euphonique, avec ce son « f » triomphant).

Et la fin du verset 3, dans la continuité des instruments à vent, convoque le  luth nevel נבל et la harpe khinor כנור que l’on voit entre les mains de la musicienne, dans un arrondi qui mêle le bras de la jeune fille, la rondeur de l’instrument et un poisson chagallien qui est toujours symbole de richesse, et d’ailleurs dag דג, le poisson, dérive du verbe dagoh דגה, qui signifie croître, se multiplier, à moins que ce ne soit l’inverse, mais la pêche miraculeuse n’est jamais bien loin.

Comme le précise l’artiste dans sa déclaration esthétique, ce tableau, rempli de signes et de symboles positifs, est voulu comme un support de méditation – de prière – propre à conduire à la sérénité, à la sagesse, au bonheur. Et justement le Tehilim tout entier a cette finalité, c’est pourquoi il y a des psaumes pour tous les moments de la vie, et même pour le deuil qui conduit au cimetière – Beit Ha’hayyim  בית־החיים−, qui est maison de vie, à réciter le psaume 119 dont chaque paragraphe commence, successivement, par l’une des vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque, ce qui permet d’énoncer le nom du défunt en ses différentes lettres et en récitant les versets correspondants, ainsi de mon nom lorsque je serai dans la fosse – bor בור – Abraham ben Shmoel אברהם־בן־שמואל, et l’on récitera à la suite les paragraphes Ashré Bameh Réeh Horeni Ma-ahavti / Bameh Ner-leragli / Sarim Ma-ahavti Viboouni Ashré Le’olam. Et le Kaddish suivra…

Le Tehilim s’achève sur une exaltation permanente, le « Hallel » qui signifie « qu’Il soit loué », un ensemble de psaumes qui s’ouvrent et s’achèvent sur le mot « Hallelouyah » qui signifie « Que soit loué Dieu (Yah) ».  Ainsi sont les cinq derniers psaumes du Tehilim, précédés de 5 autres, dispersés (106, 111,112, 113 et 135). Tout alors n’est que musique et sollicitation de tous les instruments, dont nous ne connaissons aujourd’hui, parfois, que le nom : instruments à corde et à vent, voix du chœur et du coryphée – le chef de chœur, appelé menatsea’h מנצח. Le psaume 150, le dernier, est à cet égard « l’hymne à la joie » du judaïsme, où Dieu est loué dans son sanctuaire et au firmament, dans sa puissance et sa grandeur, au son du chofar, du luth et de la harpe, du tambourin, de la flûte et des cymbales retentissantes – le très suggestif tsiltseley צלצלי où l’on perçoit bien le choc des deux צל cymbales −, en mobilisant les corps qui dansent et les voix qui chantent. Il suffit de le lire et le chanter en hébreu pour comprendre que chaque mot est lui-même musique. En définitive, le Tehilim, qui est refuge et recours contre le doute, la tristesse, la maladie et le deuil, est pour tous un livre de chants, un livre de piété joyeuse et secourable, un manuel poétique de survie. Qu’on récite, qu’on chante ce psaume 150, ou qu’on contemple le tableau d’Elena Kotliarker qui l’illustre si merveilleusement, et l’on ressentira cette exaltation joyeuse, propre à chasser les idées noires, la déprime née d’un confinement conjoncturel ou de l’enfermement psychologique qui affecte l’individu depuis la nuit des temps et lui fait, parfois, souhaiter les ténèbres en effaçant le jour. Une heureuse hamsa, avec un œil dans la main − qu’on appelait naguère, en Algérie, El-‘ayn fil yad, العين في اليد  dans le langage de ma mère née à Nedroma – vient renforcer sur la toile, en bas à gauche, au milieu de tous ces coquelicots rouges, la chance, le mazal מזל. Oui, ce tableau est un porte-bonheur, un facteur de chance. Et voilà que, peut-être, miraculeusement, la hatslahah הצלחה, ce mot que l’artiste suscite et inscrit dans sa toile, et qui appelle sur nous la prospérité, le succès et le bonheur, saura nous toucher, nous remettre sur les rails, sur la voie de la sérénité, soulager enfin notre angoisse des temps incertains, notre peur de mourir, comme un onguent lénifiant ou une huile bénéfique nous enduit de sagesse, de paix de l’âme, qui est toujours cet accord radical avec la vie. Et nous pousserons, au terme du Tehilim, tout en clamant Hallelouyah הללויה, le seul cri possible, le seul souhait :

חיה־את־החיים    Vive la vie !

Albert Bensoussan

Site d’Elena Kotliarker : https://www.elenakotliarker.com/

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CLAUDE KAYAT

Beau texte et belles peintures! Bravo aux deux artistes!