Paul Jankovski, Tous contre tous. L’hiver 1933 et les origines de la Seconde Guerre mondiale. Passés / Composés. 2022

C’est à une vaste fresque des causes de la Seconde Guerre mondiale que nous invite ce grand historien américain professeur à l’université Brandeis. Il parle, dès sa séminale introduction, de ce trio infernal qui a été le catalyseur de la grande déflagration mondiale : le nationalisme, l’autoritarisme politique et enfin le mécontentement social. Il note aussi que lorsque Hitler accède au pouvoir les clauses les plus dures, les plus humiliantes et les plus inacceptables du traité de Versailles, avaient presque entièrement disparu. Cela aurait dû ou pu éviter la guerre, ce ne fut pas le cas. Pourquoi ?

Clausewitz nous a appris que la guerre ne naît pas de la volonté des hommes mais de la rupture d’équilibres. Tant d’éléments ont joué dans cette affaire qui a tout de même coûté la vie à des dizaines de millions d’hommes et transformé le continent européen, et même au-delà, en un vaste cimetière. Et aussi, aujourd’hui où l’Europe est en partie en guerre en Ukraine, totalement bouleversé le système de sécurité au niveau de tout le continent. On a l’impression parfois que les décennies de paix vécues par l’Europe étaient une exception et que désormais, la nature (à la mode de Thomas Hobbes) reprend le dessus, à savoir la guerre de tous contre tous . Deux guerres mondiales ont permis de croire que l’humanité ne sombrerait pas, pieds et poings liés, une nouvelle fois dans l’abîme avec son cortège interminable de morts et des destructions.

Voici comment l’auteur définit son approche de cette question :

Cet ouvrage avance l’idée que chacun de ces chemins a envisagé la traversée les mythologiques nationales, ancrée dans la politique de masse. Chacune de ces dernières était connue et s’est opposée au monde d’une certaine manière. . Chacune a rendu les normes et règles discrétionnaires, voire inutiles…. L’identité est une notion trop discutable, mais l’idée est la même : ce que les nations peuvent être peut déterminer ce qu’elles veulent être.

C’est précisément ce dénominateur commun qui a été le facteur déclenchant de la guerre au niveau mondial. Martin Buber raconte dans ses notices autobiographiques que la notion même de guerre mondiale était obscure de son temps, alors qu’il en avait vécu une, la Première, au cœur même de l’action. Quant à la seconde, il l’a vécue en terre d’Israël…

Ce livre suit pas à pas les développements de l’entre-deux-guerres, des années trente menant inexorablement vers la confrontation armée. Ce fut alors le début du suicide européen : Mort en 1929, Franz Rosenzweig a vécu la Première Guerre mondiale et parle du suicide européen. . Dès 1932, les efforts se révèlent vains : la conférence sur la paix et le désarmement n’atteint pas ses objectifs si on réalise qu’au même moment l’impérialisme nippon bombarde Nankin et veut occuper la Mandchourie… L’auteur a raison de scruter toutes ces années trente au cours desquelles la tragédie européenne aurait pu être évitée. La peur a joué un certain rôle, puisque chaque puissance européenne craignait pour sa sécurité propre et n’adhérait au désarmement que du bout des lèvres.

Mais il ne faut pas de bercer d’illusions. Une telle catastrophe ayant impliqué les principales puissances continentales ne pouvait pas faire l’économie de la recherche des responsabilités : qui était responsable de cette tragédie ? Comment n’a-t-on pas pu l’éviter, alors que l’Europe se croyait le centre du monde civilisé et de la culture universelle ?

L’auteur de ce grand livre passe en revue toutes ces années trente qui ont poussé l’Europe au bord de l’abîme. On se souvient de la légende du coup de poignard dans le dos (Dolchstosselegende) ; le haut commandement impérial avait décidé d’imputer le poids de la défaire à l’arrière qui n’a pas suffisamment soutenu son armée qui s’est pourtant, disait-on, héroïquement battue. IL fallait des coupables et on les trouvait naturellement chez les autres belligérants. Je ne reviens pas sur les réparations démentielles exigées de l’Allemagne par le traité de Versailles… Certes, l’Allemagne impériale portait une très lourde responsabilité dans le déclenchement des hostilités et des dévastations qui s’ensuivirent , mais, il eût fallu faire preuve de modération. Il ne fallait pas insulter l’avenir. On se souvient de la répartie célèbre, le Boche paiera… Il a payé mais nous aussi, nous avons payé, et le prix fort !

L’auteur de cette véritable somme passe en revue les années qui conduisent à la prise du pouvoir par Hitler en 1933 ; que d’occasions manquées. Mais personne ne faisait confiance à personne, quant à la France, elle était obnubilée par un fantasme : une nouvelle invasion allemande du pays ! Il fallait donc briser, à l’avance, toute velléité belliciste du puissant voisin…

A cela venait s’ajouter les retombées de la crise financière de 1929. Une Europe fracassée naissait de cette guerre, et sa population était détruire, affamée, l’ordre public ne tenait plus qu’ à un fil. Tout était déstructuré et un ordre nouveau était nécessaire. Les démocraties et les gouvernants libéraux n’ont pas su s’adresser aux masses pour barrer la route au populisme et au défaitisme qui anesthésiaient la Raison. Le ver était dans le fruit : si l’on avait mieux géré l’entre-deux-guerres, aurions nous éloigné le danger ? Ne refaisons pas l’histoire.

Il est malaisé de résumer l’objet de ce livre. On peut exprimer son admiration devant une telle érudition. Mais nul ne parviendra jamais à dire comment l’Europe et ses dirigeants auraient pu éviter une telle catastrophe qui a ravi à notre continent son leadership dans le monde. La guerre de 14)-18 a miné les fondements de la supériorité européenne. Avant la Grande guerre, les choses, les grandes décisions se prenaient à Paris, à Londres et à Berlin ; après ce fut et c’est toujours à Washington et à Moscou. Deux guerres mondiales dans l’histoire d’un continent, cela laisse des traces…

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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