« Mais où sont passés les Su-35 égyptiens ? » 

Alors que le contrat pour l’acquisition de Sukhoï Su-35 par l’Egypte a été signé et que leur construction a bien été réalisée, les appareils ne sont toujours pas livrés à l’Egypte.

Aucun signe d’eux lors du vol de formation mené en conclusion du volet égyptien des exercices Skyros en février 2021. Aucune trace non plus lors de la deuxième édition du salon EDEX qui s’est tenue au Caire du 28 novembre au 2 décembre dernier. Aucun communiqué officiel, aucune image (même « fuitée »), provenant de l’Egyptian Air Force (EAF ou El Qūwāt El Gawīyä El Maṣrīya). Mais où sont donc les Su-35 (sans suffixe pour la version export) dont on annonce la livraison à l’EAF depuis désormais plus d’un an ?

Un contrat signé en 2019

En 2018, la révélation de l’acquisition par un nouveau client export du chasseur lourd fabriqué par l’usine d’aviation de Komsomolsk-sur-Amour (KnAAPO) constitue une surprise pour nombre d’observateurs. Le 18 mars 2019, le quotidien économique moscovite Kommersant vend la mèche : l’Egypte du Maréchal Al-Sissi aurait acquis 20 appareils pour un montant d’environ 2 milliards de dollars (n’intégrant vraisemblablement pas les armements, ni le soutien). Accréditant de manière dramatique l’information dévoilée, l’article est rapidement supprimé et deux journalistes de Kommersant sont arrêtés au motif de « trahison ».

Signe de l’extrême discrétion entourant ce contrat, on ne doit sa confirmation institutionnelle qu’à l’identification le 14 mai 2020 de la référence du contrat sur le site internet relatif à l’attribution des marchés publics russes, préalable à un communiqué minimaliste de l’agence d’Etat TASS, deux jours après.

La confirmation de l’importation d’un quatrième type d’appareil de combat peut constituer une surprise dans la mesure où l’on pensait l’EAF rassasiée de sa frénésie importatrice, après l’acquisition de 20 F-16C/D Block 52 reçus à partir de 2012 (Programme Peace Vector VII), complétés par 52 MiG-29M/M2 puis 24 Rafale EM/DM après signature de contrats en 2015. S’il vient indubitablement complexifier la gestion logistique du parc de l’EAF, cet achat doit être compris dans un contexte de volonté du nouveau pouvoir égyptien de multiplier ses canaux d’approvisionnement en armements avancés, et ainsi limiter les conséquences d’une rupture brutale causée par des facteurs politiques.

Des avions mais pas de livraison

Après de premières observations satellite du tarmac extrême-oriental de KnAAZ à la fin du mois de juin 2020, il faut attendre la fin mois de juillet pour que des clichés (ci-contre) permettant d’attester d’un début d’exécution du contrat apparaissent. Ils montrent des appareils au camouflage gris deux-tons, analogue à celle de certains des MiG-29M/M2 de l’EAF, et arborant son système d’immatriculation à quatre digits (mais sans aucune marque d’identification nationale) à l’atterrissage sur la partie militaire de l’aéroport de Novossibirsk-Tomalchevo. Ces 5 Su-35, qui portent les numéros 9210, 9211, 9212, 9213 et 9214, semblent constituer le premier lot d’appareils en convoyage à destination de l’Egypte.

En août 2020, le film d’une visite de KnAAZ par le Ministre de la Défense russe, Sergeï Choïgu, permet d’obtenir de nouvelles informations « volées » quant à l’état du contrat russo-égyptien (image ci-dessous). Celui-ci ne porte non pas sur 20 ou 24 Su-35, mais bien sur 30 exemplaires dont la production est répartie comme suit : 22 pour l’année 2020 et 8 pour 2021.

L’histoire aurait pu s’arrêter-là et considérer ces 5 premiers appareils comme effectivement livrés sur une base aérienne égyptienne d’où ils mèneraient d’hypothétiques exercices de combat aérien face aux Rafale de Dassault Aviation. Cette idée serait renforcée par des informations publiées le 11 mars 2021 par le quotidien Zhukovskie Vesti indiquant que l’Egypte aurait bien perçu ses premiers Su-35 en 2020 (le magazine professionnel New Defence Order Strategy vient même donner le chiffre de 5 appareils livrés pour 2020) et en recevrait 10 nouveaux en 2021. De sérieux doutes provenant d’observateurs et analystes indépendants viennent cependant contrebalancer cette opinion admise.

Comment expliquer plusieurs détails troublants :

  • Aucune image ou aucun communiqué officiel ne permet d’attester d’une quelconque livraison sur le sol égyptien, et ce plus d’un an après la date présumée de la livraison du premier lot d’appareils.
  • Dès le mois de décembre 2020 les Su-35 n°9212, 9213 et 9214 effectuant des essais en vol sont identifiés au décollage du Gromov Flight Research Institute (LII) de Zhukovsky, à 40 km de Moscou. En février 2021, le 9214 est remarqué à nouveau.
  • Mois après mois, de nouveaux Su-35 à la livrée similaire aux appareils déjà identifiés viennent s’accumuler sur le tarmac de KnAAZ : de 11 appareils en juin à 15 appareils en décembre 2021 (image ci-contre), dont un appareil immatriculé 9226 (soit théoriquement le 17e appareil égyptien).
  • Plus troublant encore, le même mois, c’est au tour du Su-35 numéroté 9210 d’être identifié au décollage du LII, avant que le 9211 ne le soit aussi en octobre 2021.

Ainsi, entre décembre 2020 et octobre 2021, l’ensemble du premier lot de production aura été identifié à Moscou avec 15 appareils supplémentaires sur le sol de l’usine de production à Komsomolsk-sur-Amour, sans aucune preuve concrète que le Su-35 n’ait foulé la terre des Pharaons. Il est néanmoins possible que l’imbroglio relatif à la livraison trouve tout son sens en changeant de perspective et en considérant la notion de livraison comme un transfert officiel de la responsabilité des appareils de KnAAZ à l’EAF, s’entraînant sur leur nouvelle monture depuis le LII, à défaut d’être en mesure de pouvoir les emmener au pays. Cela aurait le mérite de donner un cadre aux différents vols observés depuis Zhukovsky, ainsi qu’aux armements identifiables sous les ailes des Flanker.

Le CAATSA une deuxième fois fatal à un contrat Su-35 ? 

L’arme fatale qui pourrait avoir ralenti (à défaut d’avoir tué) l’exécution du contrat Su-35 entre l’Egypte et la Russie se dénomme CAATSA pour Countering America’s Opponents through Sanctions. Cette loi fédérale américaine adoptée en juillet 2017 sous l’administration Trump, vise à donner aux Etats-Unis des instruments juridiques pour sanctionner les activités déstabilisatrices des régimes iraniens, russes et nord-coréens. Sa section 231 « Imposition of sanctions with respect to persons engaging in transactions with the intelligence or defense sectors of the government of the Russian Federation” est sans ambiguïté : des sanctions économiques s’appliqueront en de mise en exécution d’un contrat d’armement avec la Russie, excepté dérogation spécifique de la Présidence américaine autorisée par le Congrès.

On distingue bien les armements installés sous les ailes de ce Su-35
On distingue bien les armements installés sous les ailes de ce Su-35 ©

Le spectre de la mise en application du CAATSA a déjà fait une première victime parmi les contrats Su-35. Le 23 décembre 2021 (voir notre article dédié : L’Indonésie renonce au Su-35, pour choisir entre le Rafale et le F-15EX), le gouvernement indonésien annonce officiellement avoir renoncé « à contre cœur » à son idée d’acquérir le Su-35 sélectionné en 2015, avec un contrat pour 11 exemplaires en gestation depuis 2018 (s’il a bien été signé, il semblerait qu’il n’ait jamais été exécuté avec versement des acomptes nécessaires à l’initiation de la production des appareils).

S’il est encore trop tôt pour présager d’un destin à l’indonésienne, force est de constater que le contrat russo-égyptien semble à minima en situation de blocage. L’extrême précaution prise par les officiels égyptiens pour ne laisser filtrer aucune information relative à ce contrat, à laquelle s’ajoute la mise en garde du 23 février 2021 adressée par les Etats-Unis par l’intermédiaire du Secrétaire d’Etat Anthony Blinken « préoccupé » par « le potentiel achat par l’Egypte d’avion de combat Su-35 à la Russie » à son homologue égyptien Sameh Choukri le 23 février 2021 ne faisant que conforter un peu plus cette idée.

Si l’hypothèse d’un blocage devait se poursuivre dans la durée pour se transformer en impasse, la question sera d’imaginer le devenir de ces appareils flambant neufs aux capacités de combat modernes. La nature ayant horreur du vide, on est en droit de s’interroger sur le poids pris par l’incapacité de la Russie et de l’Egypte à exécuter le contrat Su-35 dans le processus décisionnel ayant mené à l’acquisition de 30 Rafale supplémentaires auprès de Dassault Aviation en janvier 2021, puis confirmé en novembre par le versement du premier acompte.

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Asher Cohen

20 F16, 52 migs 29, 24+30 rafales, et 30 Su 35, de quel ennemi l’Égypte craint-t-elle une attaque sur son territoire, pour acheter autant d’avions de combat, alors qu’elle est un pays sous-développé? La Turquie? l’Iran? La Libye? Le Soudan?

franck

l Ethiopie
risque de conflit du au barrage qu il veulent construire en ethiopie
ce qui assecherer le Nil et la plus grande entree de devise au pays
le canal de suez