Israeli Supreme Court President Esther Hayut and Supreme Court justices arrive to petitions against the Jewish Nation-State Law, at the Supreme Court in Jerusalem on December 22, 2020. Photo by Yonatan Sindel/Flash90 *** Local Caption *** עתירה עתירות חוק הלאום הרכב מורכב אסתר חיות בית משפט עליון ממשלה עורכי דין

Pierre Lurçat. Le conflit identitaire israélien (VII) : Loi du Sinaï ou loi des juges ?

Pierre Lurçat

Au lendemain de Shavouot, où le peuple juif célèbre le don de la Torah, il n’est pas inutile de revenir sur le conflit identitaire profond qui divise actuellement la société israélienne, dont j’ai retracé ces dernières semaines différents aspects. Je voudrais l’aborder ici sous un angle différent, celui de la conception de la loi.

Comme je l’explique dans mon dernier livre Quelle démocratie pour Israël ?

 

la « Révolution constitutionnelle » menée dans les années 1990 par le juge Aharon Barak repose sur sa philosophie bien particulière du droit, que j’ai caractérisée comme une conception totalitaire et quasi-religieuse du droit.

Les manifestants qui défilent depuis des mois dans les rues des villes israéliennes se présentent comme les défenseurs de la “démocratie” et des libertés, face à une coalition qui défendrait selon eux des conceptions rétrogrades et liberticides. En réalité, la loi du Sinaï, la loi juive (halakha) et toute la culture juridique qui en découle sont, à de nombreux égards, plus justes, plus démocratiques et plus propices à la liberté que le droit laïc occidental.

Parmi les réactions suscitées par le projet de réforme judiciaire au sein du judaïsme de la diaspora, celle de Robert Badinter était particulièrement éloquente. L’ancien président du Conseil constitutionnel – devenu une icône du camp progressiste depuis l’abolition de la peine de mort – a en effet déclaré que

… la réforme allait “détruire” la Cour suprême et que celle-ci était le “sanctuaire” d’Israël.

Au-delà de l’outrance du propos, qui trahit une ignorance manifeste des réalités israéliennes, cette comparaison est révélatrice. Ce que nous dit Badinter, en effet, c’est que la Cour suprême incarne à ses yeux – comme à ceux de dizaines de milliers d’autres Juifs en Israël et ailleurs – la dimension du sacré.

“La loi est abstraite. Aujourd’hui le sanctuaire d’Israël, c’est la Cour suprême. Le peuple de la loi doit la préserver et il est interdit de toucher aux gardiens de la loi“, explique encore Badinter.

Cette conception est d’autant plus intéressante qu’elle exprime une vision très éloignée de la notion juive de la loi. Pour Badinter, comme pour son collègue Aharon Barak, la loi est une abstraction et le juge est le “gardien de la loi” (Badinter) ou le “gardien des valeurs” et de la démocratie (Barak).

Une telle conception est en réalité radicalement opposée à la vision juive du droit. Dans la tradition hébraïque, en effet, la loi n’est pas une abstraction, mais une réalité bien concrète. Son origine transcendante n’en fait pas une pure abstraction, comme dans la philosophie kantienne, car “elle n’est pas dans les cieux” (לא בשמיים היא).

Commentant les premiers mots de la parashat Mishpatim, Rachi explique que le droit civil, tout comme les Dix Commandements lus précédemment, a été proclamé au Sinaï. “Et pourquoi les lois civiles font-elles immédiatement suite à celles relatives à l’autel ? Pour te dire que tu devras installer le Sanhédrin près du Sanctuaire…” Ce qui veut dire, en d’autres termes, que le droit positif est d’origine transcendante, tout comme la morale, et que la Cour suprême d’Israël devrait siéger près du Temple reconstruit. Ainsi, la loi du Sinaï est certes d’origine transcendante, mais les juges ne sont pas les “prêtres” et le Sanhedrin siège à côté du Temple mais pas en son sein.

L’idée d’une Cour suprême (Sanhedrin) qui serait elle-même le Sanctuaire est contraire à la fois à l’idée juive d’une loi révélée et à la notion de séparation des pouvoirs intrinsèque au judaïsme.

En réalité, la loi du Sinaï et la totalité de l’édifice juridique construit par le peuple Juif au cours de sa longue histoire incarnent une notion du droit qui est non seulement plus juste (celle du Tsedek, c’est-à-dire un droit non séparé de la notion du juste et de la morale), mais aussi plus démocratique que la conception élitiste du droit d’Aharon Barak. Dans sa vision, en effet, le juge ne fait pas partie du commun des mortels. Il est de par sa fonction le seul habilité à lire, à interpréter et même à modifier la loi. Dans une telle conception, le peuple lui-même perd toute légitimité. Seule la loi est légitime.

Mais, à la différence de la Loi du Sinaï – qui a été donnée au peuple tout entier et que celui-ci est capable de comprendre et d’appliquer – aux yeux d’Aharon Barak, le juge est seul compétent pour comprendre la loi et la « dire » au peuple ignorant. Le juge est véritablement créateur de droit et il a le dernier mot en matière d’interprétation, d’application de la loi et même en matière de législation.

Dans la conception classique de la démocratie, qui est conforme à la tradition juive, la loi exprime la volonté populaire (Vox populi) et la souveraineté du peuple. Aux yeux d’Aharon Barak, au contraire, la loi reste l’apanage d’une minorité « éclairée », seule habilitée à la comprendre et à l’interpréter. La Loi révélée au Sinaï, au contraire, est accessible à tous, et chaque Juif est capable de la lire et de l’interpréter.

Pierre Lurçat  Vu de Jérusalem

Par www.tribunejuive.info

 

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Charles DALGER

Cher Pierre,
Merci pour ton remarquable travail d’explication sur les fondements de l’identité israélienne.
A l’occasion de l’indispensable réparation judiciaire, annoncée par le gouvernement, des Israéliens d’abord et des Juifs de partout ensuite, découvrent, pour la plupart, le rôle de la cour dite « suprême », appelée aussi par son acronyme « Bagats ». Le moins que l’on puisse dire c’est que ce rôle est pervers, anormal et même, monstrueux, du point de vue de la définition de séparation des pouvoirs, dans un état se prétendant « démocratique », au sens occidental du mot.
Comme tu le soulignes, à juste titre, il parait naturel, que le fondement juridique du pays des Juifs, soit la Loi Juive, c’est-à-dire la Torah. La Soh’nout, (l’Agence juive) et son chef BEN GOURION, ont eu la sagesse, malgré les profondes divergences que nous connaissons, de laisser pendant, l’établissement d’une constitution, définissant le cadre légal du pays. Des juges, ont progressivement comblé ce vide juridique. Le drame, c’est qu’ils l’ont comblé trop souvent, d’une manière strictement antijuive (par rapport aux préceptes de la Torah). La tragédie, c’est que tous les dirigeants israéliens ont accepté ces dérives.
Tu soulignes les méfaits commis dans les années 1990, par Aaron BARAK, en particulier. Rappelons qu’à l’origine, il n’y avait que cinq juges suprêmes, quasiment cooptés, dont un seul pouvait être juif orthodoxe, selon « l’usage ». Cependant, les décisions antijuives de ce que j’appelle les « rats de palais », datent de bien avant. A mon sens, l’une des pires décisions de ces sales bestioles, fut l’interdiction du parti KACH, du rav Meir KAHANE H.y.d. en 1988, à la grande jubilation des immondices antijuifs du monde entier.
Cependant, dans ta série d’articles, consacrés à cette réforme judiciaire, pas plus d’ailleurs que dans les publications des autres auteurs, je n’ai pas trouvé le rappel de l’opposition au bagats. Pourtant, même ignorée, ou carrément censurée, la dénonciation des horreurs du bagats fut constante. De nombreux juristes israéliens, juifs, et même non juifs, ont expliqué le caractère délirant des décisions de ces « juges », déclarant invalides, des lois dument votées par la Knesset. Par exemple, au début des années 2000, un groupe de juristes israéliens, « Yamine Israël », a tenté en vain, de demander le rééquilibrage des pouvoirs. De nombreux politiciens aussi, dont par exemple , H.K, le docteur Arié ELDAD.
Parmi les francophones, notre ami Jacques KUPFER z’l (juge consulaire en France) et toi-même, alertiez sur les bouffées délirantes des vermines du bagats. Comme les nombreux articles de l’avocat RAMASS-MULBACH.
Donc, aujourd’hui, les pourritures antijuives du monde entier, surtout celles au pouvoir dans les pays occidentaux, hurlent, trépignent, vocifèrent et menacent, contre les partisans du rétablissement de la vraie justice. Ces déjections noient sous leur pognon, via des ONG, (Organisations Nazies Génocidaires), des traitres et des ordures polluant Israël et le peuple juif, dont, pour certains, les nazis ont hélas, oublié de gazer les géniteurs (voilà le niveau de colère haineuse, provoqué par les tarés ignorants, ou carrément antijuifs, antis réforme judiciaire). Car, comme Jean-Pierre LLEDO, tu l’expliques très bien, il y va de la pérennité de la judéité d’Israël. Or, c’est consubstantiel, la judéité, est l’unique raison de l’existence du pays Israël.
Certains Juifs et Israéliens, associent la judéité, avec la pratique rigoureuse, voire contraignante, de la « halakha », et de ce fait; sont réservés, voire hostiles à la réforme, (j’en connais). Ils se trompent. Pour le dire simplement : on peut ne respecter, aucune des obligations de la Torah, à l’égard de Dieu, (en simplifiant : les houkim, par opposition aux michpatim, obligations à l’égard des humains) tout en reconnaissant que la Torah c’est La Loi Juive. Contrairement à une perception « occidentale » perverse, perception essentiellement ashkénaze, la non pratique n’entraine pas automatiquement, le rejet de la loi. C’était courant en Afrique du Nord, surtout en Algérie. Notre tradition permet, en filigrane, ce genre de comportement. A la différence de l’islam, où les non pratiquants sont de mauvais musulmans, (que les bons pratiquants ont le devoir de corriger), à la différence du christianisme, où l’autorité religieuse décide de ce qui est correct ou non, il n’y a pas d’autorité centrale dans le judaïsme. Quelle que soit leur notoriété, ce que l’on appelle les « décisionnaires » juifs, ne décident que pour ceux qui les acceptent. Un juif non pratiquant, n’est pas systématiquement au agnostique, comme un non orthodoxe n’est pas systématiquement un « laïc » anti religieux. Il devient nécessaire de réhabiliter ce qu’on appelait le « traditionalisme » juif.
Ceci dit, il faut ajouter deux choses importantes :
1 – un juif doit avoir étudié la Torah, au moins au niveau élémentaire, afin de pouvoir en parler.
2 – La connaissance, même très approfondie de la Torah, n’entraine pas toujours, la pratique.
Une anecdote très récente, révèle, si besoin est, l’énormité du problème créé par le bagats en général et Aaron BARAK en particulier. Quand des Habad (semble-t-il) voulurent mettre des téfilines à Aaron BARAK et lui faire réciter le « Chemâ », il ne le connaissait pas. Ainsi donc, ce monsieur, devant lequel les dirigeants du pays des Juifs s’agenouillaient avec la plus extrême déférence, ce monsieur auquel ils obéissaient, même contre l’avis d’une majorité de parlementaires, ce monsieur ne connaissait même pas le שמע. Pour situer, connaitre le Chémä, c’est du niveau de l’école maternelle. La légendaire sagesse juive est souvent stupéfiante. Après tout, n’est-ce pas le grand SALOMON, défini dons notre tradition, comme l’homme le plus sage que la terre ait porté, qui accumula les épouses, les chevaux et fit même entrer des idoles (pour ses épouses) dans le Beth Hamikdach qu’il eut le mérite de construire ? Salomon qui prépara si bien sa succession que ses enfants scindèrent son royaume…
En l’occurrence, depuis l’interdiction du parti KACH, à quelques rares exceptions près, les décisions du bagats, avantagent toujours les occupants arabo-musulmans, au détriment des Israéliens juifs. Ces dernières années, en s’arrogeant, de manière tout à fait illégitime, le pouvoir de décider qui peut être candidat aux élections israéliennes, tout en passant outre les décisions de la Knesset d’empêcher la candidature des complices des terroristes, les rats de palais du bagats ont interdit au cofondateur du parti Otsmah Yehoudit, le docteur et ex H.K. BEN ARI, d’être candidat, alors que des sympathisants nazislamistes ont pu siéger dans le très interlope gouvernement LAPID-BENNET.
Mais nous sommes Juifs. Comme nous l’enseigne notre tradition et comme le répétait sans cesse, notre regretté ami Jacques KUPFER, quant à la pérennité, nous n’avons pas le moindre doute, ni sur l’avenir de notre peuple, ni sur celle de notre pays. Même si, « hass ve shalom », l’indispensable réforme judiciaire n’aboutissait pas maintenant, elle aboutira plus tard.
Charles DALGER, le 11 Sivane 5783 – 31 mai 2023