« Il y avait un partage de compétences entre les communautés criminelles juives et chinoises »

Alors qu’il publie un roman à la croisée du polar et de la fresque historique, sur les relations entre escrocs juifs et blanchisseurs chinois, retour avec l’ancien commissaire Jean-Marc Souvira sur la genèse de l’ouvrage.

Pour Jean-Marc Souvira, l’ouvrage est une « oeuvre de fiction qui s’inspire de faits réels  ». Longtemps à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière, le policier désormais retraité puise – à nouveau – dans son expérience professionnelle pour nourrir les intrigues de ses romans. 

Vos anciennes fonctions, notamment à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), sont-elles à l’origine de ce roman ?

Quand je dirigeais ce service de la direction centrale de la PJ, s’attaquer aux groupes criminels qui se livraient à d’importantes escroqueries financières faisaient partie de nos objectifs. Les escroqueries au « faux président » par exemple, ont coûté plusieurs centaines de millions d’euros aux entreprises françaises. Les sociétés de FOREX (le marché des changes) ou de ventes de diamants qui n’existaient que virtuellement causaient des dommages considérables chez les petits épargnants. Parallèlement, quand nous tracions le circuit de l’argent, ce produit du crime, on se rendait compte qu’il quittait très vite (sous quelques heures) les banques françaises pour emprunter des circuits bancaires tortueux qui aboutissaient en Chine.

 Comment ces deux communautés qui sont très différentes de par leurs origines, cultures, traditions, langues, etc., ont-elles bien pu se rencontrer ?  Jean-Marc Souvira 

À partir de ce pays, il devenait plus difficile de tracer les mouvements financiers vers les comptes bancaires des escrocs, qui bien évidemment n’étaient pas à leurs noms. Très vite, nous avions identifié qu’il y avait un partage de compétences entre les communautés criminelles juives qui, depuis Israël, avec des moyens sophistiqués, ciblaient nos entreprises et les groupes criminels chinois qui blanchissaient l’argent de ces escrocs. Ces mécanismes financiers entre les deux communautés, étant parfaitement rodés, leurs échanges téléphoniques ou autres étaient très réduits. Nos enquêtes étaient longues et difficiles avant d’opérer à des arrestations. C’est à partir de cette réalité que je me suis posé la question : comment ces deux communautés qui sont très différentes de par leurs origines, cultures, traditions, langues, etc., ont-elles bien pu se rencontrer ? Cette réflexion n’avait, bien entendu, aucun rapport avec les enquêtes judiciaires. Mais je voulais comprendre. Je pressentais qu’il y avait là matière à raconter une histoire. Et au fur et à mesure des recherches que j’effectuais, je me suis rendu compte de l’incroyable champ romanesque qui s’ouvrait et qui m’a conforté dans l’écriture de La porte du vent.

Comment vous êtes-vous documenté sur ces 140 000 Chinois recrutés lors de la Première Guerre mondiale et peut-on dire qu’il s’agit là de la première vague migratoire chinoise en France ?
J’ai commencé par faire quelques recherches sur Internet qui ont confirmé ma démarche « d’enquête ». J’ai découvert le livre de Li Ma, « Les travailleurs chinois en France dans la 1re Guerre mondiale », qui compile toute une série d’articles publiés à l’occasion d’un colloque, et le livre de Catherine Costanza, « Les oubliés de Nolette : en hommage aux travailleurs chinois en France et en Belgique de 1916 à 1921 durant la Grande Guerre ». Je me suis également appuyé sur quelques publications anglaises, puisque cette armée a largement employé ces travailleurs chinois, les « coolies », comme ils étaient nommés, sur le front du Nord et de l’Est de la France. « Les juifs de Chine » de Caroline Rebouh, et « Être juif en Chine, L’histoire extraordinaire des communautés de Kaifeng et de Shanghai », de Nadine Perront, ont complété ma compréhension de la vie des juifs chinois. J’ai aussi lu de nombreux essais, livres et documents sur la 1re guerre mondiale pour rester au plus près de la vérité historique. La discussion avec un rabbin, mes voyages en Israël et en Chine ont enrichi l’écriture de ce roman.

Effectivement, on peut dire que l’origine de la première installation de la communauté chinoise en France date de la fin de la 1re guerre mondiale. Elle est due principalement à des Chinois qui ne voulaient plus retourner en Chine. Ils se sont « fait la belle » avant d’embarquer gare de Lyon, dans les trains qui les conduisaient à Marseille, pour prendre un bateau et retourner dans leur pays. La communauté qui est restée était composée d’ouvriers, d’artisans qui se sont très bien entendus avec leurs homologues juifs installés à Paris, notamment les maroquiniers. 

Comment évaluer le poids, l’influence, des triades chinoises sur la communauté chinoise en France aujourd’hui ?
Les organisations criminelles chinoises, les triades, sont présentes un peu partout dans le monde, et plus particulièrement dans les pays à fort potentiel économique. Elles sont très présentes dans le business par le biais de sociétés « d’import-export » et par le contrôle de centaines de commerces. Ces triades se caractérisent par une structure hiérarchisée et une très grande discrétion. Elles n’attirent pas l’attention des services de police judiciaire, et sont d’une redoutable efficacité dans toutes les infractions financières, mais aussi dans la traite des êtres humains et de bien d’autres trafics. Elles exercent des violences et des extorsions dans la communauté chinoise lorsque des dettes ou des prêts, avec de forts taux d’usure, sont remboursés avec difficulté. Une triade ne peut se développer que si la communauté chinoise dans le pays est importante.

La Porte du vent, de Jean-Marc Souvira, éditions Fleuve noir. 592 pp., 22,90 euros.

Le JDD

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