La vie heureuse, de David Foenkinos: l’insoutenable légèreté du monde

Par Alice Develey

CRITIQUE- Que se passerait-il si l’on changeait de vie? L’auteur imagine cette palingénésie.

Éric Kherson est M. Tout-le-Monde. Il a fait de bonnes études, il est monté à la capitale, il a cherché du travail et puis, épuisé par les envois de son CV, il a pris ce qu’il restait. Éric a un peu moins de 20 ans, il se retrouve au rayon tennis de Decathlon. Il rencontre Isabelle, ils ont un fils. Les années fuient. Isabelle aussi. «À quel moment les choses avaient-elles commencé à se ternir?» Éric n’en sait rien. Il enchaîne les postes et devient directeur. Il a désormais 40 ans et la fatigue d’un homme de 80. « Son physique avait comme pris la trajectoire d’un renoncement.»

C’est à ce moment-là qu’arrive Amélie Mortiers. La pimpante quadragénaire, directrice de cabinet au Commerce extérieur, doit former une équipe pour conquérir des marchés étrangers. Elle repense à Éric, son ancien camarade de lycée, qui hésite mais accepte. Éric croit changer de vie en changeant de poste. Sauf qu’Amélie est comme lui. C’est une apnéiste de compétition. Son couple prend l’eau. Elle se noie sous le travail. Un an passe comme le précédent. Mais cette fois-ci, l’existence «sans encombre» ne va pas durer.

On est en janvier 2020. Le monde s’apprête à retenir son souffle. Mais, avant cela, Éric et Amélie ont rendez-vous chez Samsung en Corée. L’air est lourd. Éric a la tête qui tourne. Le ciel devient noir. Quelque chose se passe. Mais quoi? Les phrases ralentissent. Les deux collègues prennent un verre, dansent, marchent dans la nuit.

Le destin est un choix

Quand le matin revient, Éric n’est plus là. Où est-il passé? Les pages accélèrent. Quand Amélie le retrouve, Éric reste mutique. Seul indice de Foenkinos: «Éric essaya d’expliquer ce qu’il venait de vivre, mais il n’y parvint pas. Comme cela se produit à l’occasion de certains traumatismes…»

Le premier chapitre se clôt et s’ouvre sur un autre, sorte de métaphore de la vie d’Éric. Que lui est-il donc arrivé? Disons seulement que le lecteur sera éberlué. D’une apparente légèreté, le livre prend en effet une étonnante gravité. Jusqu’ici, Éric dérivait comme un ballon au vent, mais voilà qu’il reprend corps avec le monde chtonien. Le destin est un choix. «Nous voulons tous, à un moment de notre existence, être un autre», écrit Foenkinos. La question subséquente n’est pas de savoir qui, mais quand? Car c’est bien le temps qui est le sujet de ce roman.

Notre temps. L’auteur, témoin clairvoyant de notre époque, l’a bien compris depuis le Covid: hier, les nouvelles générations voulaient de l’argent, aujourd’hui, elles veulent du temps. Or comment le vivre sans le subir? Par la beauté. Infernale et divine. Celle qui tue comme elle sauve. À la lecture de ce livre nous revient alors la phrase «La beauté apaise» de Vers la beauté (2018). Foenkinos renoue ici avec cette quête, ce besoin d’élévation. Éric et Amélie avancent comme deux équilibristes sur ce fil fragile. Les nuages se dispersent. La couleur revient. Les émotions aussi. Qu’est donc La Vie heureuse selon l’auteur? La beauté retrouvée. Un memento mori au parfum d’amour et de peinture.

La vie heureuse, de David Foenkinos, Gallimard, 208 p., 19 €. Gallimard
JForum.fr avec Le Figaro littéraire

 

 

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