« Faut-il se réjouir de la victoire de Jeremy Corbyn ? » La polémiste Caroline Fourest ne le croit pas. Au contraire. Le nouveau leader du Parti travailliste britannique est à ses yeux « un pur produit de cette gauche radicale flirtant avec les pires extrémistes de la planète par esprit rebelle ou anti-américanisme primaire », cingle-t-elle dans une chronique publiée sur le site français du Huffington Post.

Certes, elle trouve « rafraîchissantes » son opposition aux politiques d’austérité et ses plaidoiries en faveur des renationalisations. Mais elle dresse la liste des« prises de position douteuses », des « fréquentations complotistes et antisémites » qui feraient de M. Corbyn un dangereux allié des « intégristes et des tyrans au niveau international ».

Pour ce faire, l’essayiste pioche dans la masse des articles et commentaires qu’ont suscitée cet été au Royaume-Uni, pendant la campagne des primaires du Labour, les positions de politique internationale effectivement très controversées du député d’Islington et ses proximités douteuses. Elle y ajoute quelques éléments sur ses relations avec les musulmans britanniques qui, elles, n’ont guère fait polémique jusqu’à présent.

L’ennui est que, sans doute emportée par sa volonté de démontrer et de susciterl’indignation, elle ne semble pas avoir vérifié toutes ses informations, ne cite pas ses sources, et projette ses propres hantises sur la réalité britannique. Qu’en est-il des principales « casseroles » qu’elle prétend accrocher au nouveau chef de l’opposition britannique ?

  • Jeremy Corbyn a « des fréquentations complotistes et antisémites » et appelle des cadres du Hamas et du Hezbollah « ses amis ».

M. Corbyn est un militant propalestinien depuis des décennies, très actif en tant que parlementaire. Il a présidé d’autre part le collectif « Stop the War » qui a organisé de grandes manifestations contre les guerres en Afghanistan et en Irak.Attaqué en juillet pour avoir utilisé le mot « amis » en accueillant des délégations du Hamas et du Hezbollah lors d’une rencontre parlementaire, il a répondu qu’il s’agissait d’une expression « collective » et de « langage diplomatique ». « J’ai dit que je souhaitais que tous les gens impliqués au Moyen-Orient se rassemblent pour discuter. Cela signifie-t-il que j’approuve le Hamas ou le Hezbollah et ce qu’ils font ? Non. Je pense que pour parvenir à un processus de paix, il faut parler avec des gens avec qui vous êtes en profond désaccord. »

Après l’avoir nié, Jeremy Corbyn a aussi admis avoir rencontré à Londres en 2009 Dyab Abou Jahjah, ancien combattant du Hezbollah et leader en Belgique d’un mouvement islamiste, la Ligue arabe européenne, qui a organisé à Anvers en 2002 des manifestations communautaires qui ont tourné à l’émeute après l’assassinat d’un enseignant d’origine marocaine. « Mon équipe a fait des recherches et me dit que j’ai rencontré cet homme en 2009, mais je n’ai pas desouvenir de lui. En tant que député, je rencontre des milliers de personnes. Le fait que je les rencontre ne signifie pas que je partage leur opinion. »

En février 2009, Dyab Abou Jahjah a effectivement pris la parole dans une réunion du collectif « Stop the War », puis lors du lancement de la section britannique de l’Union internationale des parlementaires pour la Palestine, organisée par M. Corbyn. Cette présence avait suscité des protestations et débouché sur une interdiction de séjour de M. Jahjah au Royaume-Uni. En août, le militant a qualifié M. Corbyn d’« ami » sur son compte Twitter. Il a affirmé avoir « rencontré » M. Corbyn et avoir « collaboré » avec lui.

M. Corbyn a aussi été mis en cause par le journal juif britannique Jewish Chroniclepour avoir assisté à des réunions du groupe « Deir Yassin Remembered » – du nom d’un village palestinien où des juifs extrémistes ont commis un massacre en 1948 –, fondé par le négationniste Paul Eisen. Le responsable travailliste a reconnu avoir assisté à « deux ou trois événements voici quelques années ».

Il a assuré que Paul Eisen ne tenait pas de propos antisémites publiquement à cette époque et que, s’il l’avait su, il n’aurait pas participé à ces réunions. « L’idée selon laquelle je serais une sorte de raciste et d’antisémite est au-delà de tout affligeante, répugnante et profondément offensante, a-t-il ajouté en août sur la BBC. J’ai passé ma vie à lutter contre le racisme. […] L’antisémitisme, l’islamophobie et le racisme d’extrême droite sont à rejeter totalement et absolument détestables. C’est absolument clair pour quiconque m’écoute sur ces sujets. »

  • Jeremy Corbyn « a ses bureaux chez ses amis de la mosquée de Finsbury, l’une des plus radicales d’Europe ».

La mosquée de Finsbury Park, centre du Londonistan islamiste des années 1990 et connue pour avoir été un nid de terroristes, est située dans la circonscription d’Islington-Nord dont Jeremy Corbyn est député depuis 1983. Il a été l’un des acteurs majeurs de sa déradicalisation et de sa réouverture selon un processus suivi de près par Scotland Yard, après qu’elle eut été fermée en 2003 et son imam Abou Hamza, proche d’Al-Qaida, arrêté pour terrorisme l’année suivante.

Le député se présente comme un ami des musulmans et se fait fort de convaincreles radicaux de lutter par les seuls moyens politiques. Il entretient des relations proches avec Mohammed Kozbar, le nouvel imam de la mosquée de Finsbury Park, proche des Frères musulmans, qui assure que le lieu de culte, désormais sous haute surveillance et centre d’une intense vie sociale, est désormais « ouvert à tous ».

Il n’a pas « ses bureaux » dans cette mosquée, mais il y tient des permanences mensuelles pour les habitants du quartier en tant que député. D’ailleurs, tenir des permanences dans des mosquées est une pratique courante d’élus britanniques de tous bords. Populaire parmi les musulmans, Jeremy Corbyn a cherché à attirerleur vote pendant la primaire travailliste.

Une vidéo tournée le 31 juillet le montre en campagne électorale, s’exprimant devant les fidèles et leur adressant un long message d’hommage et de tolérance. Il rappelle qu’il se bat « pour les droits des Palestiniens » et qualifie la mosquée d’« endroit merveilleux » pour son ouverture. Il félicite l’assistance pour les messages de soutien aux victimes de l’attentat islamiste qui a coûté la vie à 38 touristes, dont 30 Britanniques, sur une plage tunisienne. L’imam Kozbar appelle explicitement les fidèles présents à voter pour M. Corbyn à la primaire du Labour.

En juillet, M. Corbyn avait tenté en vain d’intervenir auprès de la banque HSBC, qui venait de clôturer d’autorité le compte de la mosquée de Finsbury Park. Uneenquête de la BBC a établi que cette décision avait été prise afin d’éviter les foudres de l’administration du fait de l’inscription du lieu de culte sur un fichier de vigilance bancaire sous la rubrique « terrorisme » en raison de ses activités antérieures à 2005.

L’interdiction bancaire est aussi liée, selon la BBC, à la présence au conseil d’administration de la mosquée de Mohammed Sawalha, une figure des Frères musulmans soupçonnée d’être un ancien commandant du Hamas à Gaza. Alors que M. Sawalha occupe cette position depuis la réouverture de la mosquée en 2005, le retrait de HSBC semble consécutif à la décision de David Cameron, en 2014, de commander un rapport sur les liens entre les Frères musulmans et le terrorisme, dont les conclusions n’ont pas été rendues publiques.

  • Jeremy Corbin « prône une politique multiculturaliste “inclusive” ».

C’est exact, mais cela ne le singularise nullement puisqu’il s’agit de la conception des relations entre « communautés » qui prévaut largement au Royaume-Uni, où des associations musulmanes gèrent certaines écoles publiques, où le voileislamique est répandu sur les lieux de travail, où la burqa est autorisée dans la rue et où des horaires réservés aux femmes sont fréquents dans les piscines municipales.

  • Jeremy Corbyn estime que la chaîne d’Etat russe Russia Today est « la plus objective du paysage ».

En réalité le leader du Labour, qui estime que l’attitude de l’OTAN a alimenté la crise ukrainienne, n’a pas précisément prononcé ces paroles. En avril 2011, pendant la révolution libyenne et le mariage de Kate et William, il a twitté : « Essayez Russia Today. Rien sur le mariage royal et plus objective sur la Libyeque la plupart. »

  • Jeremy Corbyn a manifesté en 2006 contre la publication des dessins de Mahomet et, écrit ironiquement Caroline Fourest, « il est tout à fait désolé de ce qui s’est passé Paris] le 7 janvier ».

M. Corbyn a effectivement participé à Londres, le 12 février 2006, à une manifestation contre les caricatures. Il y a pris la parole. « La seule façon desurvivre pour votre communauté, y a-t-il déclaré, est de manifester son respect mutuel […] pour les autres communautés, la foi des autres, la religion des autres. » A propos des attentats de Paris, le député a diffusé à la Chambre des communes une motion qui ne fait pas allusion à l’attaque meurtrière contre le supermarché casher, mais exprime sa « sympathie » à l’égard des victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo. Il défend « la liberté de parole et d’expression » ainsi que « le droit de tous les journalistes à travailler sans crainte et sans menaces, intimidations et meurtres brutaux ».

 

Le Monde

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