La stratégie à adopter face aux avancées de Daech est au centre d’une réunion à Paris des pays de la coalition dirigée par les Etats-Unis. Celle-ci a appelé mardi « au lancement d’un processus politique sous l’auspice des Nations unies » en Syrie.
Comment stopper l’expansion de Daech en Syrie et en Irak? Cette question – qui reste sans réponse depuis plus d’un an – sera de nouveau à l’ordre du jour d’une réunion, qui réunit ce mardi 2 juin à Paris, les 22 pays de la coalition internationale engagés contre les djihadistes.
En présence du Premier ministre irakien Haider al-Abadi, de ministres et de représentants d’organisations internationales, ce sommet doit, selon le ministère français des Affaires étrangères, permettre d' »échanger sur la stratégie de la coalition » qui consiste actuellement à mener des raids et à former des soldats irakiens ou des rebelles modérés syriens pour l’action au sol.
Mais les raids ont peu de prises sur les fous de dieu et les efforts de formation n’ont pas empêché une déroute de l’armée irakienne à Ramadi (Irak) le 17 mai et à Palmyre (Syrie) le 20 mai. Voici les trois principaux enjeux de ce sommet.
1. Remobiliser l’armée irakienne
C’est la priorité de la réunion. Les débâcles de l’armée irakienne en mai expliquent en grande partie la percée de Daech sur les sols irakien et syrien. « Il faut soutenir davantage que nous ne le faisons l’armée irakienne, précise une source diplomatique française. Celle-ci est marquée par une division confessionnelle profonde et la coalition doit appuyer l’action du gouvernement d’Haider al-Abadi ». Le Premier ministre irakien a d’ailleurs pointé mardi avant la réunion « l’échec » de la communauté internationale dans la lutte contre le groupe Etat islamique, dénonçant un manque de soutien à l’Irak.
Il doit aussi profiter de ce sommet pour expliquer aux membres de la coalition ce que son gouvernement compte entreprendre pour reprendre la ville de Ramadi et la province d’Al-Anbar, et comment les partenaires internationaux peuvent lui venir en aide.
Les Irakiens espèrent pouvoir mobiliser les tribus sunnites pour reconquérir la province d’Al-Anbar, mais Bagdad doit également reprendre rapidement le contrôle des milices chiites qui ont pour l’heure assumé l’essentiel des combats pour contenir l’avancée de l’EI. Ce rôle des milices chiites – soutenues par Téhéran – inquiète d’ailleurs Washington mais aussi laFrance. « Ces milices ont enregistré des victoires comme à Tikrit mais il ne faut pas croire que ce sont elles qui vaincront Daech, appuie cette même source diplomatique. Il faut isoler les sunnites comme ce qui a été fait en Irak en 2006-2007 « .
Certains spécialistes de la région, comme l’islamologue Mathieu Guidère, ont d’ailleurs récemment critiqué la place que laisse le gouvernement irakien à ces milices. « Haider Al-Abadi aurait très bien pu envoyer des renforts à Ramadi mais il a laissé pourrir la situation et il a ensuite appelé les milices chiites à rallier Ramadi, expliquait ce dernier à Challenges.fr, le 20 mai dernier. Il a décidé d’asphyxier l’armée régulière pour laisser faire les milices chiites qui procèdent à une sorte de nettoyage ethnique. C’est un scénario semblable à ce qui s’est passé en ex-Yougoslavie. »
2. Rendre les frappes de la coalition plus efficaces
Depuis que la coalition s’est engagée en septembre contre l’État islamique 4.000 raids ont été menés. Si dans de nombreux cas ces frappes ont contrecarré les plans des djihadistes, elles n’ont pu stopper l’avancée de Daech, qui se trouve maintenant à 200 kilomètres de Damas.
Ces dernières 24 heures, la coalition a poursuivi les frappes contre les positions de l’EI en Irak, notamment à Al-Anbar, et en Syrie, surtout dans la province de Hassaké (nord-est). Le chef du Parlement irakien Salim al-Joubouri a déclaré à ce propos que ces raids étaient « importants pour empêcher les djihadistes d’avancer mais ne suffisent pas pour mettre fin aux combats ». « La réunion de Paris doit permettre de savoir si l’on va encore plus loin sur ce point, précise toujours cette source diplomatique. Plusieurs pays sont prêts à fournir encore plus de matériel mais s’agissant des frappes ce sont les États-Unis, qui dirigent la coalition, qui décideront ».
Et compte-tenu des récentes déclarations américaines visant surtout le « manque de volonté » de l’armée irakienne, cette éventualité est peu probable. Barack Obama, a aussi tenu à minimiser la défaite de Ramadi, la qualifiant de simple « revers tactique ». Pour l’instant, les États-Unis écartent tout changement de stratégie dans la région. Celle-ci se cantonne essentiellement à des frappes aériennes, de la formation et l’équipement des forces gouvernementales et locales, et du soutien à une politique d’inclusion des sunnites dans cette guerre contre le groupe terroriste sunnite.
3. Accélérer la formation militaire par les États-Unis
Selon un accord signé en février 2015, Américains et Turcs doivent former, sur une période de trois ans, 15.000 combattants de l’opposition syrienne modérée. L’entraînement se fait dans les environs de Kirsehir, une ville située à 140 kilomètres au sud-est d’Ankara, avec la participation de 400 instructeurs américains. Ces derniers conseillent également l’armée irakienne.
Une accélération de la formation militaire de l’opposition syrienne devrait également être à l’ordre du jour de la réunion de Paris. « Les États-Unis vont probablement accélérer la formation des tribus sunnites mais cela est ridicule, déclarait à ce propos Mathieu Guidère, le 20 mai dernier. Cela concerne 500 hommes formés en Turquie, les Américains veulent arriver à 15.000, mais cela prendra du temps. La formation dure 18 mois… »
D’autres sujets comme le problème des combattants étrangers de Daech qui augmentent de façon croissante, l’aide humanitaire aux 2,8 millions de déplacés, la création d’un « fonds de stabilisation » pour lancer les opérations de déminage et de reconstruction, ou la protection du patrimoine seront aussi abordés.
S’agissant du volet politique, les membres de la coalition internationale ont appelé mardi « au prompt lancement d’un véritable processus politique inclusif, sous l’auspice des Nations unies » pour rétablir la paix en Syrie. Ce processus reposerait sur la création d’un gouvernement transitoire incluant des représentants de l’opposition et du régime en place.
Irak : les limites de la lutte contre l’Etat islamique
Après presque un an de guerre, la coalition, réunie ce mardi à Paris, n’a pas réussi à prendre la mesure du groupe terroriste. Profitant notamment de la faiblesse de l’armée irakienne et d’une stratégie occidentale peu claire, celui-ci progresse même petit à petit.
La faiblesse de l’armée irakienne
Alors, certes, en mars, l’armée irakienne avait réussi à reprendre Tikrit, mais essentiellement grâce à l’aide des milices chiites commandées sur place par Qassem Soleimani, le patron de la Force Qods, une unité d’élite de l’armée iranienne, ainsi que, pour la première fois, de milices sunnites. Mais, à Ramadi, ville sunnite, ces milices chiites sont restées en retrait en raison des craintes du gouvernement irakien de voir reprendre les tensions entre les deux communautés.
Des raids aériens insuffisants
D’où une nouvelle fois la question d’une éventuelle opération au sol. Craignant la naissance du bourbier militaire, les Occidentaux la rejettent catégoriquement. Laurent Fabius l’a redit mardi. De peur de laisser le champ libre à l’Iran, certains pays arabes sunnites commencent cependant à y penser.
Les tensions sunnites-chiites gênent une lutte efficace
Déjà méfiants envers le gouvernement, dirigé par les chiites, les sunnites sont exaspérés par les exactions commises par des milices chiites. D’où leur tentation, pour certains, de rejoindre le groupe jihadiste, ou du moins de garder une certaine neutralité.
Le gouvernement irakien espère cependant pouvoir mobiliser les tribus sunnites pour reconquérir la province d’Al-Anbar. Mais il doit aussi également reprendre rapidement le contrôle des milices chiites qui ont pour l’heure assumé l’essentiel des combats pour contenir l’avancée de l’EI.
En Syrie, discuter ou ne pas discuter avec Assad
Pour l’instant, les frappes contre l’Etat islamique sont menées uniquement par les Etats-Unis. Avec là aussi peu de résultats puisque les jihadistes progressent, comme le prouve leur prise de Palmyre le mois dernier.
Quant à savoir quoi faire avec Damas, le flou artistique perdure. Faut-il discuter avecBachar al-Assad, qui ne contrôle désormais que la « Syrie utile » ? Ou continuer à demander son départ, mais sans remettre en cause le régime en place pour ne pas se mettre à dos la Russie et l’Iran ? La deuxième solution semble désormais privilégiée puisque la coalition préconise la création d’un « gouvernement transitoire incluant des représentants de l’opposition et du régime en place ».
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