En six mois, il s’est habitué au port de la cravate, convention vestimentaire des gens importants. A 23 ans, Waad Qaanam a déjà le crâne un peu dégarni. Etudiant en droit à Jérusalem-Est, le jeune homme jouit d’une popularité aussi soudaine que spectaculaire.

Certains l’appellent « le président », par jeu, en reconnaissance pour son parcours, ou bien même par fantasme, comme pour évacuer la frustration générale qui règne parmi les Palestiniens. Exaspérés par un système politique sclérosé, ces derniers sont naturellement séduits par l’idée d’un saut générationnel et d’un vent de fraîcheur, aussi virtuels soient-ils.

Waad Qaanam symbolise tous ces sentiments à la fois depuis qu’il a remporté, au début du mois de juin, la deuxième édition d’un concours très suivi à la télévision, qui permet au public de désigner son nouveau leader.

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Reçu par Mahmoud Abbas

Diffusée sur le bouquet satellite Maan, l’émission, intitulée « Le Président », a opposé des personnalités différentes, jusqu’à la finale soumise à un vote populaire. Les deux autres finalistes étaient Fadi Khair, 30 ans, infirmier chrétien de Cisjordanie, qui a notamment défendu l’idée qu’un non-musulman puisse être élu à la plus haute fonction ; et Naameh Adwiya, 22 ans, diplômée en sciences politiques, originaire de Jérusalem-Est. Elle a loué le rôle des femmes dans la société, souhaitant incarner leur émancipation jusqu’à la sphère politique.

Détail important : tous sont des sympathisants du Fatah, la formation du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Il était donc inutile de s’attendre à des envolées rageuses contre le vieux dirigeant palestinien, dont deux tiers des Palestiniens souhaitent pourtant le départ.

De nombreux officiels ont d’ailleurs assisté à la finale. dimanche 12 juin, et Mahmoud Abbas – Abu Mazen de son nom de guerre –, a reçu le vainqueur. « Il m’a dit qu’il m’avait suivi depuis le début et qu’il était très fier de moi », rapporte Waad Qaanam. Le jeune homme ne souhaiterait-il pas aussi le départ d’Abu Mazen ? « Non, il n’y a personne pour le remplacer aujourd’hui. Il m’a dit qu’il voulait la tenue d’élections, mais que le Hamas l’en empêchait. »

Echappatoire

Les électeurs palestiniens ont voté pour la dernière fois pour choisir leur dirigeant il y a onze ans, en 2005. Depuis, la rivalité entre le Fatah et le Hamas – ce dernier a pris le contrôle de la bande de Gaza – a empêché tout nouveau scrutin, chacun s’accommodant de cette impasse et en rejetant la faute sur l’autre.

La société, elle, désespérée par l’absence d’horizon politique, se détourne désormais de la bureaucratie du Fatah, dont la moyenne d’âge contraste avec la jeunesse de la rue.

Dans ce contexte, l’émission « Le Président » a représenté une sorte d’échappatoire, d’expression de substitution. Près de 1 200 Palestiniens, âgés de 20 à 40 ans, ont déposé leur candidature. Un comité composé de responsables politiques, d’entrepreneurs et de personnalités publiques en a retenu vingt-quatre, dont plusieurs étaient originaires de la bande de Gaza, avant que les téléspectateurs n’en choisissent trois pour l’affrontement final.

Pendant des mois, les trois finalistes ont embrassé des enfants, posé, souri, beaucoup appris, suivi des cours d’expression publique, retenu des chiffres, embrassé d’autres enfants, serré les mains d’officiels, dans une collision troublante entre mondes réel et virtuel.

L’argent a joué un rôle dans cette course aux votes, puisque chaque SMS était payant. Les candidats ont donc fait campagne, en tenant des réunions publiques. Le vainqueur a recueilli officiellement 42 000 votes.

Langue de bois

Les finalistes ne présentaient pas de différences majeures dans leurs propositions. On peut être jeune, fringuant et reproduire la langue de bois. Ils partageaient une même hostilité envers Israël, dont ils proposaient le boycott, ou bien réclamaient une réconciliation entre factions palestiniennes.

Même consensus face aux attaques individuelles conduites par des Palestiniens depuis huit mois. « Celui qui tue avec un couteau et celui qui est tué avec un couteau sont tous les deux victimes des politiques de Nétanyahou », le premier ministre israélien, assure au Monde Waad Qaanam, le vainqueur.

Ancien élu étudiant, il a bénéficié des conseils et de l’influence d’un entourage familial enthousiaste. Sa mère, Salwa Hdaid, est vice-ministre chargée des affaires de Jérusalem. Son père, lui, a dirigé la commission électorale palestinienne au cours des deux élections présidentielles, avant de se consacrer à son métier d’ophtalmologiste. « L’atmosphère à la maison a eu forcément de l’influence sur les enfants, dit Salwa Hdaid, fière comme peut l’être une mère. On a tous été son entraîneur. » 

NDLR – Effectivement la haine d’Israël se transmet de père en fils. La haine en héritage est le meilleur poison de l’espérance, c’est ce qui nous distingue des Palestiniens. Mais ce petit jeu démocratique, où les parents membres du Fatah organisent des élections truquées est encore une autre forme d’une culture qui a du mal avec la vraie démocratie, même quand il n’y a pas en théorie d’enjeu.

Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)  Le Monde.fr

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