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Vraie-fausse polémique autour de «Sœurs d’armes» de Fourest

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Chers camarades, « Soeurs d’Armes » n’est pas un tract !

Un compte twitter d’anonymes créé en octobre 2019 prétend parler au nom des « combattantes et combattants francophones du Rojava » pour se plaindre de « Soeurs d’armes ». Le film porterait atteinte à leur « moralité » révolutionnaire. Parce qu’il ose montrer qu’il arrive qu’on boive et qu’on tombe amoureux en faisant la guerre !

Cher(s) jeune(s) guérillero(s), croisé à France Inter, ne perdez pas votre temps à nourrir les trolls Turcs contre un film qui rend hommage aux Kurdes… Il y a plus urgent. Dénonçons ensemble cette invasion infâme.

Les représentants du Rojava en France, à qui j’ai montré le film parmi les premiers, l’aiment et le soutiennent. C’est l’essentiel pour moi.

La « morale » que vous prétendez défendre comme jeunes Français pour ne pas choquer les Kurdes et les Arabes témoigne d’un exotisme douteux. Une bigoterie de plus, dans un monde déjà bien malade de l’intégrisme. J’ai justement voulu montrer l’humain que vous cherchez à taire. Le meilleur d’entre vous et de nous.

Des amis engagés parmi les Kurdes qui m’ont confié que oui, bien sûr, malgré des règles très strictes du YPJ, il arrivait de craquer, de boire et de s’aimer. Ce n’est pas grave. Juste la preuve que l’humanité résiste à l’adversité comme à la discipline.  C’est cette matière humaine, paradoxale, qu’un film peut donner à voir et à ressentir.

Ce film n’est pas un tract, et j’en suis fière. C’est une fiction. Les scènes de combat y sont forcément plus spectaculaires que dans la vraie vie, où 90% du temps consiste à attendre, parfois des bombardements. Ce que le film montre aussi.

Il ne prétend représenter aucun groupe en particulier, ni entrer dans les divisions. Il fusionne délibérément les mouvements kurdes sous un drapeau commun. Car ce n’est pas toujours pas un tract… Mais une utopie.

Il exprime ma vision, comme cinéaste, de l’affrontement entre féminisme et fanatisme. Elle enrage les fanatiques. Si elle trouble en plus quelques sectaires, c’est qu’il est bien vivant et libre. Comme un film doit l’être.

Allez, bon film à tous ! Faites-vous une idée par vous-mêmes !

Caroline Fourest

Caroline Fourest en compagnie de Salih Muslim, du PYD Syrien.

Ici en compagnie d’Asrin Abdallah (commandante et porte-parole des combattantes Kurdes du YPJ)

Plus haut en compagnie d'Asrin Abdallah (commandante et porte-parole des combattantes Kurdes du YPJ)

 

La représentation officielle du Rojava a tenu à publier ce communiqué. « La représentation en France de l’auto-administration du Rojava récuse formellement le communiqué publié par le CCFR à propos du film de Caroline Fourest, « Soeurs d’armes » qui rend un bel hommage à nos combattantes. Tout comme Patrice Franceschi, elle est une amie des Kurdes. Le CCFR, devrait plutôt communiquer sur l’agression dont nous sommes victimes de la part de l’armée turque et ses terroristes. Khaled Issa. »

 

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Chers camarades, « Soeurs d’Armes » n’est pas un tract !

Des combattantes et combattants du Kurdistan syrien fustigent le film «Sœurs d’armes» de Caroline Fourest

Cinéma.

Dans un communiqué publié jeudi soir sur les réseaux sociaux, le collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava proteste contre la représentation des combattantes kurdes dans le film Sœurs d’armes, réalisé par la journaliste Caroline Fourest et sorti mercredi (lire notre critique). Il l’accuse notamment d’avoir «travesti la réalité historique dans son film» en présentant «les forces kurdes comme une entité unique, aux contours politiques flous», enjolivant notamment le rôle des Peshmergas dans la lutte contre les djihadistes : «Fourest, ayant réalisé son film au Kurdistan irakien, a choisi de faire plaisir à ses hôtes». 

Par la suite, le collectif dénonce des scènes de combat «médiocrement inspirées d’une vision hollywoodienne de la guerre (le budget en moins) à laquelle même un enfant ne pourrait croire» ou fustige le comportement de la réalisatrice et son actrice Camélia Jordana, qui «ont répété sur le plateau de Quotidien cette semaine combien elles s’étaient « éclatées » à faire un film de guerre» : «La guerre n’est pas un divertissement […] Cette guerre, nous l’avons faite et nous ne nous sommes pas « éclatés »».

Enfin, le CCFR note plusieurs incohérences et caricatures, et estime que Caroline Fourest cherche avant tout «à défendre sa propre vision de cette lutte pour lui faire dire ce qui sert son propre combat politique et sa propre vision du féminisme». Combattant aux côtés des Kurdes syriens et auteur du livre Jusqu’à Raqqa, André Hébert (lire notre portrait), porte-parole du collectif, a également critiqué le film Sœurs d’armes et sa réalisatrice dans un entretien à la Nouvelle République, dénonçant «un tissu d’invraisemblances et de contresens lourds insultant la mémoire de ceux qui se sont vraiment battus et qu’elle n’a jamais joints. C’est un rapt de cause au profit de son agenda politique personnel et une réécriture complète de cette histoire au profit d’une vision du féminisme très occidentalisée qui reste son fond de boutique». (Photo Metropolitan Filmexp)

liberation.fr


André Hébert, pour sa liberté et la nôtre

Par Pierre Alonso, photo Mathias Depardon. Institute — 
André Hébert à Paris, le 2 avril.
André Hébert à Paris, le 2 avril. Photo Mathias Depardon. Institute

Ce jeune marxiste français est parti combattre Daech, aux côtés des Kurdes syriens, tel un brigadiste international dans l’Espagne de 1936.

A 24 ans, André Hébert est parti se battre en Syrie. Révolté par les images qu’il voyait, lassé d’une vie sans trop de sens en France, il a pris contact sur Facebook avec des combattants. Un rapide entretien vidéo plus tard, il se retrouvait sur zone. A son retour en France, le ministère de l’Intérieur lui a confisqué son passeport, considérant qu’il avait «intégré un camp d’entraînement», «suivi une formation militaire» et noué des «liens avec une émanation d’une organisation terroriste». Son histoire, pourtant, n’est pas celle des milliers de jihadistes français de l’Etat islamique (EI). André Hébert est parti faire la guerre aux côtés des Kurdes, contre les jihadistes. Selon ses calculs, ils ne sont qu’une trentaine de Français à avoir rejoint, comme lui, les Unités de protection du peuple (YPG), bras armé du Parti de l’union démocratique (PYD) au Rojava, le Kurdistan syrien.

André Hébert, le pseudonyme qu’il a choisi en publiant son récit, n’était ni fana mili ni militant anarcho-autonome rompu à l’action clandestine (pour autant que ceux-ci existent ailleurs que dans la littérature policière). Issu d’un milieu aisé, il termine son master en histoire contemporaine quand il se fait happer par le vide. «Je cherchais quelque chose depuis des années. Tout me semblait vain», décrit-il sobrement. Il fréquente des organisations marxistes, y récolte des conseils de lecture militante qui l’aident à structurer sa pensée. Il est du genre à lire beaucoup avant de s’embarquer dans une aventure. Il est pétri de références. La bataille de Stalingrad, l’invraisemblable boucherie où «neuf soldats [soviétiques] sur dix d’une même unité perdaient la vie», le fascine. Les brigades internationales de la guerre d’Espagne aussi, mais la nostalgie pour cet épisode passé l’irrite. Il veut plus qu’une mémoire glorieuse. C’est la touche de romantisme. Très légère. Presque impalpable quand il raconte.

Ce grand bonhomme, solidement bâti à force d’entraînements physiques tous les matins au Rojava, parle bas. La timidité et la modestie l’emportent sur le bagout. Il ne joue ni le fier-à-bras ni le baroudeur à la voix grave. Il ne porte aucune veste à poche, mais un banal sweat à capuche. Aucune des étoiles rouges qui éclairent les uniformes des YPG n’apparaît.

Sans surjouer la clandestinité, il tient à son anonymat. Il travaille désormais dans la fonction publique et ne souhaite pas être reconnu par son employeur, qui ignore son passé combattant. Hésitant, lui qui vit en colocation et n’a pas d’enfant ne s’ouvre que lorsque notre photographe prononce le mot magique, YPG. Il voue une admiration au projet kurde. Dans son livre, il l’écrit en des termes désuets : «Le Parti incarne et porte la révolte de ceux qui sont conscients politiquement et désireux de rompre les chaînes de leur aliénation.» Son engagement doit autant à la haine de l’ennemi jihadiste qu’au soutien à la révolution kurde, résumée par un triptyque : «Confédéralisme démocratique, socialisme, féminisme radical.» Le seul reproche qu’il fait à la cause kurde concerne le culte de la personnalité d’Ocalan, le leader du PKK emprisonné depuis 1999 en Turquie, et plus précisément au jour de jeûne annuel imposé en son honneur.

Le reste trouve grâce à ses yeux : l’entraînement sommaire avant les combats, la rigidité de l’interdiction de l’alcool ou les relations proscrites avec les femmes. Il a engagé sa vie pour les Kurdes, et ne souhaite que leur rendre hommage. Au risque de tordre la réalité, ou du moins de coller à la ligne du Parti. A aucun moment, il ne mentionne le PKK, le parti indépendantiste kurde en Turquie, même à propos d’Ocalan. «J’ai appartenu au YPG, pas au PKK, réplique-t-il. Les pratiques politiques sont différentes. Le Rojava est autonome vis-à-vis du Kurdistan du Nord [la partie turque, ndlr].»

Au nom de cette révolution kurde, le militant marxiste communiste salue François Hollande et sa décision de frapper l’EI en Syrie, et plus seulement en Irak, à partir de septembre 2015. Lui qui se désintéresse de la situation politique française s’en amuse : «J’ai parlé « d’une des rares bonnes idées » de Hollande.» L’internationaliste s’accommode des bombardements de la coalition occidentale : «Les Kurdes ont su tirer avantage de l’impérialisme et des contradictions entre Russes, Américains et Européens.» Sur le terrain, il a même croisé des forces spéciales françaises. L’un des soldats lui demandant, après un court débat politique, s’il n’y aurait pas moyen de faire plus ample connaissance avec les combattantes kurdes…

Sa relation avec les autorités françaises n’a pas été toujours aussi simple qu’un bavardage sur le front. Il a attaqué l’Etat pour faire lever l’interdiction administrative du territoire imposée par le ministère de l’Intérieur. Son avocat, Raphaël Kempf, se souvient de sa détermination : «Il a mené cette procédure avec sérieux, engagement et conviction.» Le tribunal administratif reconnaîtra qu’aucun élément ne permet d’affirmer que «des membres du YPG auraient commis des actes [terroristes] ni que le YPG constituerait un groupe terroriste». Une victoire doublement symbolique : pour le Parti, réhabilité par une juridiction française, et pour lui-même. «André a éprouvé une saine colère en découvrant qu’une loi anti-Daech était utilisée contre lui», se souvient Kempf. «C’est un comportement de police politique. J’étais dans les premiers à partir, l’Intérieur a voulu envoyer un message», considère-t-il.

Quand on l’a rencontré, la coalition venait de déclarer la défaite territoriale de EI. Le rapatriement des jihadistes ou de leur famille était au cœur du débat. Froid, il énonce : «Il faut se méfier de ceux et celles qui vont revenir. Les femmes ont combattu sur place, ont joué un rôle dans l’embrigadement, sont complices de l’esclavage sexuel des yézidies. Daech était un condensé de tous les pires penchants de l’humanité.» Il plaide pour la création d’un tribunal pénal international, qu’il n’imagine que financé et surveillé par les Occidentaux. «On ne peut pas laisser les Kurdes se débrouiller avec ça. Les jihadistes sont les déchets de notre société, il faut assumer.»

A plusieurs reprises, le Français a affronté des jihadistes, des batailles qu’il détaille dans son journal de guerre. A Raqqa, il a été préposé tantôt au déminage, tantôt au lance-roquettes. Malgré tout, il n’est pas sûr d’avoir lui-même tué. «Je n’ai jamais pu vérifier ma responsabilité personnelle dans la mort d’un ennemi.» Il n’y a qu’au souvenir de ses camarades morts qu’il paraît ébranlé. Des membres de la brigade internationale ou des frères d’armes kurdes sont tombés à côté de lui, d’autres alors qu’il était revenu en France. Impuissance et frustration s’apaisent avec le temps. «Aujourd’hui, je vais bien.»


1991 Naissance à Paris. Juillet 2015 Départ en Syrie. Eté 2017 Participe à la bataille de Raqqa. Mars 2019 Jusqu’à Raqqa (Les Belles Lettres).

Pierre Alonso photo Mathias Depardon. Institute

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