Carlos Ghosn et le cas de Socrate…

par M-R Hayoun 08.01.2020

 

 

Il faut avoir longuement réfléchi avant de commettre une telle tribune, et de lui donner un tel tire : comment oser relier l’ancêtre immortel de la maïeutique grecque, le fondateur de la spéculation philosophique en général, le pilier de la culture européenne, avec le nom d’un redoutable capitaine d’industrie auquel nombre d’esprits chagrins attribuent une réputation sulfureuse et une absence totale de scrupules ?

C’est un thème philosophique, issu de ce rapprochement inhabituel, qui a traversé mon esprit lorsque je me suis mis à réfléchir sur le cas de cet homme, retenu très loin de chez lui, dans de lamentables conditions de détention, privé de la présence (même au téléphone) de son épouse légitime et sur lequel des procureurs manquant d’humanité basique s’acharnaient sans le moindre répit.

Mais que vient faire Socrate dans tout cela ? C’est très simple : Socrate, il y a environ deux millénaires et demi s’est trouvé confronté à la même situation : que faire devant une justice inique, ne respectant pas les droits fondamentaux de l’être humain, usant de tous les moyens légaux à sa disposition, notamment de la détention-pression, afin que l’accusé, désespérément seul et privé de tout soutien, finisse par sombrer et par signer des confessions reconnaissant sa culpabilité par avance, donc, en l’occurrence, sa condamnation à une lourde peine de prison.

Certes, Socrate fut condamné à mort en buvant la ciguë ; on lui reprochait d’avoir prétendument perverti la jeunesse.

Mais dans le cas de Monsieur Carlos Ghosn, sa vie n’était pas menacée dans l’immédiat mais cet homme n’aurait pas pu supporter un tel isolement durant de langues années…

Dès que l’opportunité se présenta, notre capitaine d’industrie se fit la belle, si l’on me permet de changer un instant de registre lexical… Bien qu’on ne sache pas grand’ chose, à ce jour, du déroulé de l’évasion, reconnaissons qu’une telle opération, si minutieuse dans sa conception et si précise dans son exécution n’est pas à la portée du premier venu. Il y a eu des complicités à un très haut niveau et des exécutants probablement issus des forces spéciales d’un grand pays…

Mais beaucoup reposait sur l ‘intéressé lui-même qui a montré qu’il avait des nerfs d’acier. Une détermination sans faille et aussi un égoïsme vital. l n’a eu en vue que son sort personnel, ce qu’on se gardera bien de lui reprocher.

Socrate, homme de principe et de vertu, a agi autrement et, à ce titre, il s’est révélé comme le premier martyr de la philosophie dans l’histoire. Il a accepté de mourir et de se sacrifier pour l’idée qu’il se faisait de la justice et de la vie au sein de la cité.

Et de quelle idée s’agit-il ? Le respect de la loi et de l’ordre de son pays. Ne pas donner le mauvais exemple en foulant aux pieds un verdict du tribunal de son pays. Se soumettre à la loi pour ne pas ruiner les fondements éthiques de sa patrie. Comment cela ? Lorsque ses disciples lui proposèrent une exfiltration (le mot est à la mode aujourd’hui), il refusa avec obstination. En gros, ses fidèles avaient la possibilité de soudoyer les gardiens, ce qui lui aurait permis de fuir et de sauver sa vie.

Et que fit Socrate ? Il fit tout le contraire afin de ne pas saper les bases de l’autorité de la cité. Pour lui, l’honnête citoyen doit respecter la justice de son pays, même si celle-ci se constitue en un tribunal d’iniquité. Il y a là un précédent célèbre : Déjà Job, dans le livre qui lui est dédié, dénonçait les mâchoires de l’iniquité, visant un appareil judiciaire qui se laissa instrumentaliser.

Comment donc ? Si Socrate venait à agir autrement, il porterait atteinte à un double pilier fondamental de la vie dans la cité : la justice et le droit.. En effet, que serait une cité dont les citoyens ne respecteraient pas les verdicts de ses magistrats ?

Elle serait condamnée à l’anarchie, à la violence, à l’hubris Socrate s’est donc incliné devant un impératif bien supérieur à son cas personnel. Il a préféré mourir en martyr de la philosophie plutôt que de trainer à travers les siècles le blâme de la défection et du viol de la loi.

Monsieur Carlos Ghosn a été confronté presque au même dilemme, bien que sa vie n’ait pas été menacée de prime abord. Mais répétons le : l’accusé qui clame son innocence et crie au complot ourdi par des adversaires n’aurait pas supporté une détention dans les conditions que l’on sait. Et en outre, l’ancien PDG s’est constamment plaint de la partialité d’un tribunal qui instruisait exclusivement à charge…

C’est, du reste, ce dernier aspect qui a tant pesé dans cette affaire et qui explique que l’opinion a été choquée par les conditions de cette instruction. L’appareil judicaire japonais fonctionne comme bon lui semble mais là, il s’agissait d’une affaire qui dépasse, et de très loin, ses propres frontières.

Dans le monde entier, des voix se sont élevées pour dénoncer un tel déni de justice. Les gens se demandaient quelles étaient les raisons profondes d’un tel acharnement ? Les magistrats n’agissaient plus comme des juges mais un peu comme des justiciers.

Et, d’un point de vue international, même le gouvernement japonais commençait à trouver cette situation bien inconfortable.

Il n’est donc guère exclu qu’il ait pu prendre des dispositions dont nous ne savons rien à cet instant. D’ici à supposer que certains services japonais aient fermé les yeux, permettant le succès de cette fuite rocambolesque, il y a qu’un pas que je n’ose pas franchir.

Mais il est clair aujourd’hui, que Monsieur Carlos Ghosn est hors d’atteinte des procureurs japonais et après un pur baroud d’honneur (demande à Interpol, adresse aux gouvernements libanais ou français, convocation par la police libanaise, etc…) l’affaire sera dépaysée, jugée ailleurs, probablement en France.

Mais notre aporie philosophique conserve toute sa vigueur : qui avait raison ? Socrate ou Carlos Ghosn ? Qui a pris la bonne décision, Socrate qui a accepté de mourir ou Monsieur Carlos Ghosn qui a refusé de passer le restant de ses jours dans une geôle japonaise?

La vocation de Socrate était de mourir pour ses idées, de les incarner jusqu’au bout car la vie humaine peut et doit s’incliner devant l’idéal. De ce point de vue, le philosophe s’est mis en accord avec ses idéaux, même si la cité qui l’a condamné était tout sauf une entité politique idéale.

Monsieur Carlos Ghosn vient, lui, d’un tout autre monde, celui des affaires où l’éthique n’est pas toujours présente ni surtout efficace. On pense, cependant, que dans les cas, la justice n’est plus vraiment juste ni équitable.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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Bonaparte

@Delville

Nul n’a le monopole de la morale , vous y compris .

Si vous veniez plus souvent sur notre site vous verrez que nous n’avons aucune complaisance pour certains Juifs qui déshonorent notre communauté .

Où qu’ils se trouvent .

En revanche à travers votre message on voit bien que vous êtes un antisémite….abreuvé à l’eau de Vichy .

C’est bizarre , quand les israéliens et d’autres Juifs du monde entier font avancer la science ……….et ils sont nombreux on ne vous entend pas .

PS : Je vous fais remarquer que l’auteur de l’article qui nous concerne est un Juif et il est loin de le critiquer , bien au contraire .

Chez nous il n’y a pas d’ayatollahs , aujourd’hui nous sommes un peuple libre aprés avoir été muselés pendant 2000 ans par des mecs comme vous .

Marc

Bonaparte,

j’ai relevé les coordonnées du pseudo « Origor » à Vitry sur Seine, et sur simple enquête de police, il peut plonger pour 5 ans au fond d’un sombre cachot humide. Il vous appartient de porter plainte au besoin pour ses menaces de nature terroriste, visant l’intimidation d’un contradicteur. De toutes façons, il est renvoyé aux poubelles qu’il n’aurait jamais dû quitter à chaque tentative sur ce site.

Les propos du dénommé « Delville » sont effectivement globalisants, généralisants et antisémites. Il n’est pas autorisé à l’ouvrir sur ce site juif.

Bonaparte

Bonjour Marc ,

Ce nom me dit quelque chose mais je ne me souviens pas de ses propos exactement . Pourriez vous m’envoyer son message dans ma boite mail SVP ?
On en voit tellement .

Merci et bonne journée à vous Marc .

Photini Mitrou

Vous êtes mieux inspiré d’habitude mais là, oh non, c’est too much. Et plus on parle de cet homme méprisable et plus on lui donne de l’importance. Dans l’affaire Ghosn, il y a les « partout » qui prennent sa défense et les « nulle part » qui ne comprenne pas qu’on puisse le plaindre. Les « partout » et les « nulle part » ce sont les nouvelles classes sociales. Il ne faut quand même pas oublier qu’aux USA il a accepté de payer 1 million pour éviter l’ouverture d’une instruction contre lui. Quand on n’a rien fait de délictueux on n’accepte pas de payer un million de dollars uniquement pour s’éviter un procès. Un salarié de chez Renault à 2000 € mensuels, devrait travailler 40 ans pour arriver modestement à cette somme. D’autre part vous gratifiez Ghosn de capitaine d’industrie. Beau titre mais qui n’est pas mérité. Ghosn n’a pas créé Renault, n’a pas dessiné une seule voiture et ne sait sans doute pas comment se construit une voiture. Il ne doit même plus savoir comment on conduit une voiture. Ghosn est un financier sans humanité et sait que pour redresser des comptes il faut licencier. Ce qu’il a très bien fait. Alors tu parles d’un grand génie. Il a sans doute le génie des coups en cachette… et même là il n’est pas très bon puisqu’il s’est fait prendre. Le goût de la mise en scène mais l’acteur n’est pas très glamour, sans aucune noblesse. Ses photos à Versailles, à hurler de rire tellement elles sont grotesque. Et puis, il nous a instrumentalisé sa femme pour se rendre sympathique. C’est un grand calculateur. Enfin, son évasion aurait été préparé par les services japonais pour éviter le procès sous prétexte que la justice japonaise l’aurait mal instruite et avait peur de perdre la face? C’est fort. Si cela avait été le cas, Ghosn n’aurait pas manqué de le dire pour se disculper. Non, non, non je ne partage pas la fascination pour Ghosn qui sans états d’âme à mis 100.000 personnes au chômage… des vies détruites et des couples séparés… c’est à eux que va ma compassion et j’aimerais savoir ce qu’ils pensent eux de Carlos… un prénom qui ne rappelle pas de bons souvenirs.

DANIELLE

Entre la peste et le choléra, il n’y a pas grande confusion !
Un philosophe pervers sexuellement, qui joue les moralisateurs ou
Un bandit notoire comme tous les Grands de ce monde.

Bonaparte

Voilà un homme brillant qui a réussi .

Mégalomane , il s’est pris pour Louis XIV le temps d’une soirée féerique à Versailles offerte à ses proches . Pur hasard…….à la veille de son anniversaire .

Il lui manquait un peu de modestie , le Japon l’a fait resdescendre sur terre .

Attali alain

La perversion de la jeunesse n’était qu’un prétexte. Socrate a été condamnée parce qu’il ne respectait pas des hommes comme Carlos Ghosn. Ne confondez pas un Philosophe en avance sur son temps et un Bandit Notoire imbu de sa personne.