NP137, le fol espoir d’un anticorps «universel» contre le cancer

Photographie d'un mécanisme de résistance des cellules cancéreuses appelé « transition épithélio-mésenchymateuse », au microscope électronique. Au fil des chimiothérapies, les cellules cancéreuses passent d'un état épithélial, très structuré (en rouge) à un état mésenchymateux, où elles deviennent invasives (en vert) et donc résistantes au traitement.

Photographie d’un mécanisme de résistance des cellules cancéreuses appelé « transition épithélio-mésenchymateuse », au microscope électronique. Au fil des chimiothérapies, les cellules cancéreuses passent d’un état épithélial, très structuré (en rouge) à un état mésenchymateux, où elles deviennent invasives (en vert) et donc résistantes au traitement. Ievgenia Pastushenko, Jana Farhat et Cédric Blanpain, chercheurs à l’université Libre de Bruxelles.

DÉCRYPTAGE – Cette molécule cible une protéine présente dans la plupart des cellules tumorales. Les premiers résultats, bien que très préliminaires, suscitent un grand enthousiasme chez les spécialistes.

Ces dernières décennies, de grandes avancées médicales ont révolutionné la prise en charge du cancer : d’abord les chimiothérapies, évidemment, puis les immunothérapies ou les thérapies ciblées. Efficaces dans de nombreux cas, ces traitements plus ou moins traditionnels sont cependant souvent mis en échec par le déploiement de mécanismes de résistance des cellules cancéreuses. Les conséquences sont alors terribles : des récidives, inévitables, parfois mortelles.

Des chercheurs du CNRS pourraient toutefois avoir mis au jour une nouvelle arme fatale : un anticorps capable de désamorcer l’un de ces principaux mécanismes de résistance, partagé par la plupart des cellules cancéreuses. Administré seul (on parle alors de monothérapie), ce nouvel anticorps, NP137, a permis de stabiliser, voire de réduire, certaines tumeurs.

Les résultats viennent d’être publiés dans la revue Nature au début du mois. Parallèlement, il est aussi testé en association avec d’autres traitements classiques lors d’essais cliniques de phase II et vient de démontrer, chez la souris cette fois-ci, son potentiel dans le traitement de certains cancers de la peau (des travaux publiés dans le même numéro de la revue Nature).

Tumeurs stabilisées ou en régression

Mais quel est cet anticorps « magique » et comment fonctionne-t-il ? L’épopée commence lorsque l’équipe du Pr Patrick Mehlen, directeur CNRS au centre de cancérologie Léon-Bérard de Lyon, découvre par hasard que la protéine « netrin-1 » est produite dans la plupart des cellules cancéreuses. Auparavant, cette protéine était surtout connue pour son rôle dans le développement embryonnaire, notamment dans la formation des vaisseaux sanguins et la survie cellulaire. Sa fonction oncogène restait méconnue.

Notre idée était de développer une molécule capable de bloquer le fonctionnement de la protéine « netrin-1 », ce qui, nous l’espérions, pourrait avoir des effets anticancéreux bénéfiques Pr Patrick Mehlen, directeur CNRS au centre de cancérologie Léon-Bérard de Lyon

« Nous avons supposé qu’elle était nécessaire à la progression des tumeurs puisqu’elle est produite dans toutes les cellules tumorales », explique le Pr Mehlen. « Notre idée était donc de développer une molécule capable de bloquer son fonctionnement, ce qui, nous l’espérions, pourrait avoir des effets anticancéreux bénéfiques. » C’est ainsi qu’est né NP137, il y a maintenant six ans : un anticorps conçu pour bloquer la protéine netrin-1. Les premiers résultats chez la souris sont concluants, ce qui conduit les chercheurs à mener les premiers essais cliniques de phase I afin de tester son innocuité chez l’être humain.

Dans cet essai, qui fait l’objet de cette récente publication dans Nature, l’anticorps a donc été administré en monothérapie à 14 patientes souffrant d’un cancer avancé de l’endomètre, le sixième cancer le plus fréquent chez la femme. Les résultats se sont révélés spectaculaires. Dès les premières semaines, les auteurs parviennent d’abord à démontrer l’absence de toxicité de NP137. La molécule ne se retrouve, après injection, que dans les cellules tumorales. Les cellules saines ne sont pas affectées du tout. Mais surtout, la tumeur d’une patiente régresse considérablement, tandis que pour huit d’entre elles, la croissance tumorale se stabilise.

Une efficacité probable dans plusieurs cancers

En étudiant de plus près les tumeurs des patientes traitées avec l’anticorps, les chercheurs ont constaté que les cellules cancéreuses avaient « perdu » leur capacité de résistance. « Au fil des chimiothérapies et des immunothérapies, les cellules cancéreuses changent de comportement en passant d’un état épithélial, c’est-à-dire très structuré, à un état mésenchymateux où elles deviennent mobiles et donc invasives », décrit le Pr Cédric Blanpain, directeur de recherche à l’université libre de Bruxelles et spécialiste des mécanismes de résistance des cellules cancéreuses.

« Cette transition dite épithélio-mésenchymateuse est en réalité l’un des mécanismes majeurs de résistance des cellules cancéreuses aux chimiothérapies », ajoute-t-il. Selon les chercheurs, l’observation d’une régression ou d’une stabilisation tumorale s’expliquerait justement parce que les cellules cancéreuses ne pouvaient plus faire cette transition sous l’effet de l’anticorps.

Pour conforter ce résultat, une équipe belge dirigée par le Pr Blanpain a mené une étude en parallèle, également publiée dans Nature, mais cette fois-ci dans le cadre du cancer de la peau. Ils sont arrivés à la même conclusion après avoir administré l’anticorps à une souris souffrant de cette pathologie.

« C’est une avancée potentiellement majeure en cancérologie », estime le Dr David Tulasne, directeur de recherche à l’Inserm spécialisé dans les mécanismes de résistance aux thérapies ciblées, qui n’est pas impliqué dans ces travaux. « Cette double étude est, à ma connaissance, la première à mettre en évidence le rôle de la netrin-1 dans ce mécanisme de résistance, et à démontrer la capacité de l’anticorps anti-netrin-1 à le bloquer. » Qui plus est, ces études apportent la preuve que cet anticorps semble prometteur dans des cancers très différents.

Notre idée était de développer une molécule capable de bloquer le fonctionnement de la protéine « netrin-1 », ce qui, nous l’espérions, pourrait avoir des effets anticancéreux bénéfiques Pr Patrick Mehlen, directeur CNRS au centre de cancérologie Léon-Bérard de Lyon

Vers des essais cliniques de phase II

Si les scientifiques espèrent bien avoir mis la main sur un anticorps « universel », le chemin reste long. La molécule n’a pour l’instant fait ses preuves qu’en phase préclinique pour le cancer de la peau et en monothérapie pour le cancer de l’endomètre. Il n’est donc pas encore possible d’assurer qu’elle permettra de contourner la résistance aux chimiothérapies ou aux immunothérapies. Pour cela, d’autres essais cliniques sont nécessaires.

C’est d’ailleurs un projet sur lequel travaille déjà l’équipe du Pr Mehlen : « Nous avons eu le feu vert des autorités de santé pour mener des essais de phase II afin de tester la combinaison de chimiothérapie et/ou d’immunothérapie avec notre anticorps. Pour cela, 170 patientes sont en cours de traitement. Les essais les plus avancés concernent les cancers de l’endomètre et du col de l’utérus. Plus récemment, nous avons aussi lancé une étude sur le cancer du pancréas, une autre sur le cancer du foie et enfin sur le cancer du poumon », confirme le chercheur.

Très attendus par la communauté scientifique, les premiers résultats devraient être disponibles d’ici 2024. S’ils venaient à être concluants, ils pourraient changer la donne car ils offriraient la possibilité de déjouer des mécanismes de résistance jusqu’ici considérés comme indomptables.

JForum
Par Elisa Doré www.lefigaro.fr

 

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