La commémoration de la rafle du 10 janvier 1944 donne lieu à un colloque qui réunit les meilleurs historiens de la période.L’historien Philippe Souleau est chargé du pilotage du colloque sur la radicalisation des persécutions antisémites.

« Sud Ouest ». Pourquoi accorder autant d’importance à la rafle du 10 janvier 1944 ?

Philippe Souleau. Comme Grenoble ou Marseille, Bordeaux connaît entre l’automne 1943 et le printemps 1944 une radicalisation des persécutions antisémites. Depuis 1942, de nombreuses arrestations ont déjà eu lieu. Mais, du fait des accords passés entre René Bousquet, le secrétaire général à la police de Vichy, et le général SS Carl Oberg, elles touchaient surtout les Juifs étrangers.

La rafle du 10 janvier 1944, où près de 300 personnes sont interpellées dans la région, dont 228 en Gironde, marque un tournant. À Bordeaux, pour la première fois en France, des Juifs français sont systématiquement arrêtés et livrés aux Allemands par le régime de Vichy et la préfecture de la Gironde. Depuis quelques mois, les synagogues sont prises pour cible.

Mais, cas unique dans l’Hexagone, celle de Bordeaux va être transformée en prison.

Comment réagit la communauté juive bordelaise ?

Démunie de moyens, elle est totalement désemparée. Depuis la rafle de l’automne 1943, marquée par l’interpellation du grand rabbin Cohen, elle craint le pire. Beaucoup pensent qu’ils vont être évacués de force de la ville comme les Juifs de Bayonne. Aucune information ne filtre. Les Allemands n’informent la préfecture de la Gironde de la rafle que le matin du 10 janvier.

L’ordre émane certes des nazis, mais la préfecture, qui a déjà mobilisé la police, se montre zélée. La population bordelaise ne proteste pas ? Si l’on en croit les notes rédigées par les Renseignements généraux de l’époque, les Bordelais sont choqués. Fin 1940, lors de la promulgation du premier statut des Juifs par le régime de Vichy, ils étaient restés silencieux.

Cette fois-ci, l’émotion est forte. La population ne comprend pas que la police et la gendarmerie participent à l’opération. En signe de protestation, un rassemblement se forme même devant la synagogue. La même chose se produit à Libourne. On ne peut nier pourtant l’importance des idées antisémites dans la population ? Elles se sont fortement développées.

Même si sa diffusion est limitée, « Le Progrès de Bordeaux », le journal du maire Adrien Marquet, les relaie. Et l’exposition « Le Juif et la France » rencontre un franc succès : 61 000 visiteurs. Mais des gestes de solidarité apparaissent assez tôt.

L’archevêque de Bordeaux, Mgr Feltin, prend ainsi la défense des Juifs sans les citer explicitement, après le second statut du 2 juin 1941, dans le journal « La Liberté du Sud-Ouest ».

Bordeaux n’est pas la seule ville à souffrir de la radicalisation des persécutions ?

Depuis l’été 1943, les Allemands ont supprimé les distinctions de nationalité dans la traque des Juifs et procèdent directement aux opérations de police.

La violence s’accroît, plus personne n’est épargné. Cette escalade s’explique aussi par l’arrivée de nouveaux acteurs. Le milicien Joseph Darnand est nommé secrétaire général au maintien de l’ordre, le SS Alois Brunner prend la direction du camp de Drancy, où sont rassemblés les Juifs, et s’implique personnellement dans l’organisation des rafles. Apparaissent aussi des polices parallèles, à l’image de la Section d’enquête et de contrôle (SEC) du commissariat général aux questions juives, dont les membres sont souvent des voyous qui font montre d’une rare cruauté.


Philippe Souleau.

Malgré tout, les trois quarts de la communauté juive française ont pu échapper à la Shoah?

Le 10 janvier 1944, le futur psychiatre Boris Cyrulnik s’est dissimulé dans les toilettes de la synagogue de Bordeaux avant d’être caché dans un village.

Tout comme lui, nombre de persécutés ont été secourus par la population. D’autres ont bénéficié de circonstances. Aux Eaux-Bonnes, dans les Pyrénées-Atlantiques, 400 Juifs évacués début 1943 vers la Creuse et dispersés dans le département ont échappé, eux aussi, au pire. Vraisemblablement parce que l’administration française n’avait pas reçu d’ordre.

Peut-on établir un lien entre l’antisémitisme de cette époque et celui que révèle aujourd’hui l’affaire Dieudonné ?

La résurgence de l’antisémitisme n’est pas sans rappeler les périodes troubles de notre histoire, même s’il se différencie de celui des années 1930.

Parallèlement, aux accusations stéréotypées (le prétendu complot juif, le prétendu pouvoir juif) viennent s’ajouter désormais des propos délirants fondés sur la négation des chambres à gaz et une lecture faussée de l’histoire de l’État d’Israël et du confit israélo-palestinien.

Recueilli par Dominique Richard/ Sud Ouest Article original

TAGS : Shoah France 1943 Alois Brunner Drancy

Synagogue Bordeaux

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