La présence de citoyens français et européens dans les rangs du djihad mondial qui fait rage en Syrie et en Irak constitue un événement de première importance pour la société française, et d’abord pour les Juifs français. C’est le germe d’une guerre civile à venir si, effectivement, une partie de la société peut s’en prendre à une autre partie, et, circonstance aggravante, sur des motifs de religion.
Ce n’est pas un conflit importé ni en rapport avec le conflit arabo-israélien. C’est une scission de la société civile française qui est en puissance, avec des dimensions armées. La paix civile est en question.

La gestion publique et médiatique de cette nouvelle donne n’est pas faite pour rassurer. C’est en effet toujours la langue de bois qui l’emporte dans les réactions, même inquiètes. On a beaucoup vu Dounia Bouzar sur les écrans de télévision, promouvant un traitement « psycho-sociologique » de ces « adolescents » en « crise », en nous affirmant qu’il s’agissait ici de phénomènes de secte qui n’avait aucun rapport avec l’islam. On a vu les parents des candidats djihadistes éplorés. On a eu des profils de candidats au djihad. La presse a parlé avec un romantisme déplacé de « loups solitaires », d' »enfants perdus ». La tuerie du musée juif de Bruxelles, perpétrée par un citoyen français, est venu télescoper cette version trivialisante et rappeler la réalité. Mais le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a parlé à cette occasion en théologien pour nous assurer que

« Ce n’est pas une guerre de religions et de civilisations », « l’islam n’a rien à voir avec ces agissements ». (…) »Ce sont les résultats d’un enfermement dans une violence radicale qui aurait pu prendre d’autres formes que religieuse, de la part de jeunes qui n’ont aucune culture religieuse » « Nous avons besoin de l’islam de France, qui est un islam modéré et respectueux des valeurs de la République, pour nous aider dans son combat ».

Là, il y a un problème. On se trouve devant une affirmation du genre « ceci n’est pas une pipe »… Que Dounia Bouzar le dise en tant que musulmane, on le comprend – car tous les musulmans ne voient pas l’islam dans les traits de cette barbarie – sauf qu’ en tant qu’anthropologue, comme elle le rappelle sans cesse, ce jugement est problématique. Il faut au moins accepter le fait qu’il y a des musulmans qui croient que ces actes relèvent de l’islam et qu’ils en sont même l’expression la plus haute. Les illustrations ne se comptent plus. Le motif islamique commande toutes sortes d’actes de terreur dans le monde entier. L’aveu de l’assassin palestinien d’un policier israélien la veille de Pâque est significatif: « mon père m’a dit que tuer un Juif ouvre les portes du paradis ». Mais il y a pire car ce sont des autorités officielles et instituées de l’islam qui appellent à l’antisémitisme, comme un personnage aussi important que l’imam du Qatar, Qaradawi, qui, sur la place Tahrir, appela devant un million de personnes à « tuer les Juifs ». Or ce dignitaire est le président du Conseil européen pour la Fatwa! Et combien d’autres, peut-on citer. Il y a, certes, des opinions contraires formulées, il faut les saluer, comme l’imam Chalgoumi en France, mais elles sont très faibles et menacées.

La réaction du ministre de l’intérieur doit nous inquiéter car elle écarte, par préjugé, le face à face avec la réalité de la situation. Si effectivement l’islam n’est pas engagé par ces actes, il est important qu’il le dise officiellement, massivement, doctrinalement. Ce n’est pas une réserve rhétorique qui suffit mais un acte officiel, formel, solennel qui condamne expressément la haine religieuse des Juifs et des non musulmans, qui récuse et condamne religieusement l’interprétation islamiste du djihad. Celà ne s’est encore jamais produit.

Ce serait un acte déterminant pour que la scission grandissante dans la société civile et le soupçon à l’égard des musulmans n’empirent pas. Il ne doit pas s’agir uniquement d’une simple opération de communication mais d’un acte religieux et institutionnel. Et cela ne met pas en question l’islam, si on le compare au statut des deux autres religions en France. Avec le Sanhédrin pour les Juifs et le Concordat pour les catholiques, l’Etat napoléonien imposa une dépolitisation et donc la confessionalisation de la religion. Il ne peut y avoir d’islam français sans renoncement théologique de sa part à sa dimension politique, condition de son inscription dans la Cité. Le seul problème c’est que la Cité peut être n’existe plus. Dans l’Union européenne, elle n’est plus souveraine.

Shmuel Trigano

Post scriptum: la Télévision israélienne annonce ce soir, dimanche, que les responsables du crime abominable contre le jeune Palestinien ont été identifiés et arrétés. Ils seraient un groupe de 6 personnes, non organisées politiquement, quoique proches de l’extrême droite, qui auraient agi par improvisation, après avoir participé à une manifestation violente à Jérusalem et en réaction de vengeance au meurtre des trois adolescents israéliens. La nouvelle semble confirmée. C’est un bon signe de ce que le chaos et l’aventurisme ne l’a pas emporté sur l’Etat de droit dans la société israélienne, ce qui serait une victoire des Palestiniens dans la guerre asymétrique qu’ils mènent contre Israël: rétrograder Israël à la logique tribale. Il est en effet capital que, dans une situation aussi violente, les individus soient empéchés de se faire justice eux mêmes, privilège de l’Etat, et quelle justice, criminelle et barbare.

*Chronique dans ActuJ du 3 juillet 2014 adressée à JForum.frr

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Franck92

Excellente analyse qui hélas ne présage rien de bon pour l’avenir des juifs en France et plus globalement de la capacité de la république a intégrer de nouvelles cultures