Selon l’historien Sylvain Boulouque, il y a un phénomène de radicalisation chez les jeunes militants qui se traduit par une plus forte mobilisation.

Selon la Préfecture de Police, ils étaient 1.200 en tête du cortège syndical du 1er-Mai. Les Black Blocs désignent en réalité une tactique de manifestation anonyme adoptée par des militants anticapitalistes et proches de l’ultragauche.

Depuis la manifestation, 49 personnes sur les 102 interpellées ont été relâchées sans être poursuivies, faute de charges contre elles. Et pour cause : habitués des démonstrations de force, les Black Blocs sont cagoulés, tout de noir vêtus, et n’existent ni avant l’événement, ni après, comme l’explique le chercheur québécois Francis Dupuis-Déri à The Conversation.

Il n’y a ainsi aucun signe extérieur qui permet de les identifier. Selon Sylvain Boulouque, historien et spécialiste de la gauche radicale et du mouvement anarchiste, il y en aurait quelques milliers en France, en comptant les sympathisants. Il décrypte pour « l’Obs » les caractéristiques des Black Blocs.

Il y avait 1.200 Black Blocs lors de la manifestation du 1er-Mai. Est-ce une proportion habituelle ?

Non, il y a une augmentation assez importante du nombre de personnes qui participent à ce type de manifestation. Le courant Black Blocs semble ainsi avoir doublé. Et deux aspects peuvent expliquer cela : il y a une sorte de coagulation de générations qui s’accumulent entre elles et le phénomène attire également de plus en plus de monde. Chez les jeunes militants, il y a un phénomène de radicalisation qui se traduit par une plus forte mobilisation.

On comptabilise donc la génération des plus anciens qui ont participé aux manifestations lors du sommet du G8 à Gênes (Italie) en 2001, puis la deuxième génération qui est celle des manifestations de Strasbourg en 2009, dans le cadre du sommet de l’Otan. Ensuite il y a celle contre la loi Travail de 2016 et la dernière, qui vient d’arriver dans ce type de groupe, et qui est composée principalement d’étudiants qui ont, semble-t-il, bloqué Tolbiac.

Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a certes 1.200 Black Blocs, mais derrière il y a plusieurs milliers de personnes qui ne sont pas hostiles au phénomène et qui les soutiennent. Le mouvement est beaucoup plus important que celui qui a pu avoir lieu dans les années précédentes.

Comment peut-on l’expliquer ?

Il y a un certain nombre d’individus qui passent à une autre forme d’action pour être écoutés, face à l’absence de débouchés politiques. Et ce sont des militants révolutionnaires qui sont dans une volonté de lutter contre l’Etat et la société capitaliste telle qu’elle existe actuellement. Ils ne sont donc pas prêts à faire la moindre concession au système politique et social tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Ils sont favorables à l’utilisation de méthodes symboliques. Toutes les attaques qui ont pu avoir lieu ces derniers jours ont une signification : un McDonald’s, qui représente la malbouffe, l’exploitation des jeunes salariés. Les voitures de luxe qui matérialisent l’opulence d’une certaine bourgeoisie, les concessionnaires automobiles, puisque ces dernières symbolisent un mode de vie polluant qui est insupportable pour ces militants. Ensuite, les banques qui représentent la finance et enfin les policiers qui incarnent l’Etat.

Tous ces groupes ne sont plus du tout dans une logique de discussion avec les autorités, mais dans une logique de confrontation : ils souhaitent entraîner les autres membres de la population contre les forces de l’ordre.

Et ce n’est pas nouveau : c’est le principe de ce que l’on appelait au XIXe siècle « la propagande par le fait ». Il s’agit de faire des actions symboliques pour éveiller la population et l’élever contre la société capitaliste.

Comment définiriez-vous ce mouvement ?

Il s’agit plutôt d’une pratique manifestante : ce sont des groupes informels qui peuvent se regrouper et se dissoudre de manière informelle. Et pour s’organiser, les militants utilisent les réseaux sociaux cryptés et le « dark web ». Ils ne s’associent que pendant les manifestations pour aller chercher l’affrontement avec les forces de l’ordre.

Il y a certains Black Blocs qui trouvent que les générations actuelles sont plus violentes que les précédentes. Il y a même des désaccords sur la façon de conduire les actions, puisqu’il y a des militants pacifiques qui ne veulent s’exprimer qu’à travers des graffitis, sans violence contre les policiers.

En ce sens, je parlerais plutôt d’une mouvance qui résulte d’une somme de constellations. Il va y avoir des anarchistes, des groupes politiques qui peuvent se réclamer de la tradition marxiste, léniniste, ceux qui proviennent du mouvement « autonome » [courant d’extrême gauche apparu dans les années 1970, NDLR], d’autres qui peuvent venir des mouvements veganes, animalistes. On peut aussi trouver des militants antifascistes et des zadistes. En plus, il peut y avoir des éléments de l’extrême gauche européenne qui viennent renforcer les rangs, ce qui complique encore la chose lorsqu’il y a ce type de manifestation.

Quand cette mouvance est-elle apparue ?

Elle naît en Allemagne dans les années 1980. A l’origine, il y avait deux branches : celle qui se développait dans les squats et qui refusait les occupations d’un côté, et de l’autre les anciens radicaux de l’ultragauche allemande que l’on pouvait retrouver autour de la mouvance de la Fraction Armée Rouge.

Au départ, elle était cantonnée à l’Allemagne. Mais le phénomène est progressivement devenu transnational et internationaliste, ce qui s’explique par le fait que cette forme d’opposition au système s’exprime principalement dans les sociétés démocratiques, industrielles et développées. Il n’est pas possible de trouver cette mouvance en Chine ou en Russie par exemple. Ces caractéristiques expliquent donc qu’elle ait migré aux Etats-Unis lors de la manifestation de Seattle en 1999.

Depuis les violences un peu partout en Europe que je vous ai exposées plus haut, il y a eu une augmentation fréquente et régulière du nombre de personnes qui souhaitent participer aux Black Blocs.

Propos recueillis par Virginie Ziliani

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
yacotito

La parade est pourtant simple: porter une cagoule lors d’une manif devrait etre considerée comme un délit, les auteurs aprehendés sur le champ et severement punis.
une telle loi serait valable partout