Le second canal de renseignements, après les réseaux de résistants européens, provient des organisations juives elles-mêmes dont le rôle principal est de collecter et de transmettre tout ce qui concerne le processus d’extermination qui se déroule à l’échelle européenne.
Durant l’année 1942, à Londres et à New York, les représentants de ces organisations insistent auprès de leurs gouvernements et confirment leurs informations. Dès le mois de novembre 1942, aux États-Unis et au Royaume-Uni, les journaux publient des articles sur l’extermination des Juifs en Europe 22.
En France, depuis juin 1942, des tracts des FTP-MOI dénoncent les crimes nazis et l’extermination systématique. En août 1942, le rabbin Jacob Kaplan, au nom du Consistoire central, émet une rigoureuse condamnation contre les mauvais traitements infligés à ses coreligionnaires dans toute l’Europe.
Le 5 juillet 1942, la direction de l’Agence juive 23, dont Budapest est la plaque tournante, tient une séance extraordinaire. La Palestine est sous la menace d’une expansion allemande, cinq cent mille Juifs risquent d’y périr. L’Agence juive veut créer une unité juive combattante. Elle annonce que l’on compte déjà sept cent mille victimes juives et demande à son représentant en Suède de le confirmer.
Des signaux de détresse sont lancés d’Europe orientale vers Londres : ils émanent de mouvements clandestins polonais, juifs et non juifs. Ces appels restent sans réponse. Ainsi l’affaire du télégramme Riegner 24, qui constitue la première source d’informations des gouvernements alliés à propos de l’extermination des Juifs.
Moins d’un mois après le début des déportations systématiques d’Europe occidentale, le représentant du Congrès juif mondial en Suisse, Gerhardt Riegner, envoie, en août 1942, à Londres et à Washington, un télégramme dans lequel il informe les deux gouvernements de l’ampleur des tueries et précise qu’il n’est plus question de persécution mais d’extermination.
Lui-même en a été informé par un industriel allemand les mois précédents. Si le télégramme expédié par Riegner, le 8 août 1942 est parvenu à Washington, il n’est pas remis à son destinataire final, Stephen Wise, l’un des principaux responsables de la Communauté juive aux États-Unis.
À Londres, le Foreign Office transmet le télégramme à son destinataire, mais il souligne qu’il ne peut ni confirmer ni infirmer la nouvelle. Pour Londres, il n’est pas question de publier l’information qui, pour l’instant, paraît exagérée.
Toutefois, à la fin de l’été 1942, les diplomates mènent alors leur enquête, procèdent à des regroupements d’informations et utilisent les renseignements que leur fournissent les services spécialisés.
Des rapports confirment les rumeurs. En Allemagne, dans les pays neutres, les témoignages affluent. La presse suédoise est explicite 25 sur la « guerre d’extermination » menée contre les Juifs. Le 5 octobre 1942, l’Agence télégraphique juive rompt le silence et déclare : « Les Juifs de Lodz sont empoisonnés au gaz. »
Des journaux juifs de New York, tout comme des quotidiens en hébreu en Palestine reprennent l’information. Le 25 novembre 1942, le New York Times publie un article sur les camps de Belzec, de Sobibor, et de Treblinka. Il fait allusion aux chambres à gaz et aux fours crématoires d’Auschwitz. Il cite Stephen Wise, qui estime à deux millions le nombre de Juifs déjà massacrés. Grâce à la réputation du journal, l’article reçoit sans aucun doute un retentissement international.
Le 8 décembre 1942, Stephen Wise, accompagné d’autres responsables de la communauté juive américaine, se rend auprès du Président Roosevelt, lequel reconnaît disposer des preuves « qui confirment les horreurs » dont sont victimes les Juifs.
Stephen Wise et l’avocat français Henry Torrès (prenant la parole) lors d’une conférence du Congrès juif mondial à New York le 7 juin 1942
Dans la France occupée, les premières nouvelles sur l’insurrection du ghetto de Varsovie, diffusées par la BBC, sont captées fin avril par les écoutes radio de la Résistance juive MOI à Paris. La plupart des militants, originaires de Pologne l’entendent comme une tragique confirmation de la fin du judaïsme polonais ce qui signifie aussi la disparition de leurs familles. On peut lire, dans les journaux clandestins juifs, à Paris : « Écoutez les cris de millions de nos frères suppliciés dans les camps de Pologne et dans les ghettos !… Le spectre de la défaite hante les bandits » peut-on aussi lire dans le journal Notre parole du 15 juin 1943.
En fait, la révolte du ghetto de Varsovie a accéléré le processus d’unification de la résistance des Juifs immigrés et par la suite, leur rapprochement avec le Consistoire central au sein du Conseil Représentatif Israélite de France, créé en 1944… (A suivre)
Adaptation par JG
22. 25 juin 1942 et les jours suivants, le Daily Telegraph de Londres publie une série d’articles accablants. Le premier révèle : « Plus de 700 000 Juifs polonais ont été exterminés par les Allemands dans le plus grand massacre de tous les temps ». Ces informations sont reprises par le New York Times et suscitent des manifestations de protestation à New York
23. Organisation sioniste créée en 1922 dont le rôle est de traiter avec l’autorité mandataire (le Royaume-Uni), des questions touchant l’application de la Déclaration Balfour. Dans les années 30, c’est un organe politique de première importance, au sein duquel les futurs dirigeants de l’État juif reçoivent une formation
24. Affaire télégramme Riegner
25. La politique de la Suède durant la Seconde Guerre mondiale fut de rester neutre. Mais cette neutralité implique une certaine coopération économique et financière avec l’Allemagne.