Hommage à Samuel Paty dans un lycée de Douai (image d’illustration). (Sipa)
Samuel Paty, 13-Novembre…Christophe Naudin, rescapé du Bataclan et professeur d’histoire se confie
Par Marie Quenet
Christophe Naudin, prof d’histoire-géo, était présent au Bataclan, le 13 novembre 2015, lors des attentats. Les craintes qu’il évoque dans un livre qui vient de paraître sont hélas plus que jamais d’actualité.
Il dort très mal ces temps-ci. « Je fais des rêves désagréables. Je ressens des tensions dans la nuque, des douleurs au bras droit. Je suis très fatigué, et un peu irascible », confie Christophe Naudin.
A l’approche du 13 novembre, le stress augmente. Car le professeur d’histoire-géo était présent, en 2015, lors de l’attentat du Bataclan. Impossible d’oublier le regard haineux du terroriste, la kalash qui crache des flammes et les deux heures réfugié dans un cagibi avant d’être exfiltré par le raid.
Cette année, il attendait beaucoup des commémorations : « C’était les cinq ans, ça retombait un vendredi 13, au moment de la sortie de mon bouquin (Journal d’un rescapé du Bataclan, éditions Libertalia). Ça me semblait un bon moment pour repartir sur de nouvelles bases ».
Las, la seconde vague de Covid et le reconfinement ont conduit à annuler les cérémonies. « Une grosse frustration » pour cet historien de 44 ans. Au retour des vacances, le contexte terroriste et sanitaire avait déjà contraint à réduire l’hommage collectif à Samuel Paty, le collègue décapité par un islamiste. Ce changement l’avait fortement contrarié, le poussant à faire grève le jour de la rentrée.
Le rescapé ne met pas en avant son statut de victime
Comment ne pas s’identifier au prof martyr? Cette mise à mort l’a sidéré… sans le surprendre pour autant. « La menace pèse sur nous depuis longtemps », rappelle-t-il. Son carnet de bord en témoigne. « Daech voudrait à présent s’attaquer aux enseignants », écrit-il déjà, le 5 décembre 2015. Le groupe État islamique vient alors de cibler les profs. Et l’angoisse revient régulièrement : « Ma nouvelle salle de cours n’est pas idéale en cas d’attaque du collège, note-t-il ainsi en septembre 2017. Je donne direct sur la cour, avec des vitres sans rideaux… »
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Trois ans plus tard, les funestes consignes ont été exécutées. Passé le jour de grève, Christophe Naudin a retrouvé son collège francilien, sans incident particulier. Les élèves de cinquième ont fait preuve d’empathie (et posé quelques questions morbides sur la décapitation).
Ceux de quatrième s’en sont plus tenus aux faits. « Je leur avais donné un devoir à faire pendant les vacances, leur demandant ce qui s’était passé, comment ils l’avaient appris, et à la fin – mais ils n’étaient pas obligés de répondre – ce qu’ils en pensaient », raconte l’enseignant. Aucun ado n’a répondu à la dernière question.
Le rescapé, lui, ne met pas en avant son statut de victime : « Je dis parfois que j’étais au Bataclan lors des exercices attentat-intrusion, quand je sens les élèves mal à l’aise, explique-t-il. Mais là, je tenais à garder une certaine neutralité. Mieux vaut faire de la pédagogie que jouer sur l’émotion. »
Rien à voir avec le lendemain du 13 novembre 2015, quand les élèves, tous au courant de sa situation, lui apportaient un soutien discret et pudique.
Il se méfie des récupérations
Aujourd’hui comme hier, l’enseignant, longtemps abonné à Charlie Hebdo, entend bien ne pas se censurer. Les caricatures, lui aussi les utilise lors des cours sur la liberté d’expression. « Des images du Prophète, mais aussi du pape, de politiques, du début du 20e siècle contre l’Église catholique, précise-t-il. Je veux montrer que ce n’est pas uniquement tourné contre les musulmans. »
Lui qui a travaillé sur l’Islam médiéval, écrit un livre sur Charles Martel et la bataille de Poitiers, se méfie surtout des récupérations. Après chaque attentat, la colère le gagne : « On a, d’un côté, des islamophobes qui voudraient se servir de la réalité djihadiste pour imposer une France sécuritaire, de l’autre, des personnes qui nient ou minimisent l’islamisme par peur de stigmatiser les musulmans ». Les deux insupportent cet homme de gauche : « Le manque de courage d’une partie de ma famille politique a fait le jeu de l’extrême droite. » Lire la suite dans www.lejdd.fr
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