Rescapés de la Shoah: Innommable! par Gérard Darmon

Ils vont disparaître doucement par la porte de l’oubli qu’ils avaient franchie depuis longtemps déjà dans l’indifférence ou l’ignorance générale.

Aujourd’hui, en Israël, une voix de scandale les ramène au grand jour.

Ainsi durant plus de 75 ans des dizaines de milliers, aujourd’hui 60 000, rescapés de la Shoah, sur les 180 000 vivants en Israël, vivent en dessous du seuil de pauvreté, dans un total dénuement. Et bon nombre se sentent totalement isolés. Le désarroi est tel, pour certains, qu’il s’agit de choisir entre un morceau de pain et un médicament ou contre un peu de chauffage, pour survivre !!!

Si le sens des mots se limitait aux mots eux-mêmes, on parlerait de honte, d’infamie, d’indignité, pour traduire cet état, mais au-delà des mots pèse sur une telle situation le qualificatif d’innommable.

Innommable !

Ils sortaient des camps, à peine debout, ils ont marché, vers ce qu’il restait de lumière de leur vie en lambeaux, vers le pays juif , le pays des leurs, pensaient-ils, où l’on partagerait le pain, et la peine, trop grande pour eux tout seuls.

Ils n’ont pas parlé pour ne pas déranger. Et si la misère d’aujourd’hui pouvait faire oublier un temps les tourments d’hier, elle serait consolation, apaisement.

Mais non ! Les nuits leur ressassent et ressassent les horreurs du passé. Les nuits que déchirent les cris de l’enfer vécu.

Mais les jours, les jours…, c’est la faim au bord des routes de soleil qui mènent à la mer, dans le pays rêvé. Les jours, c’est la main que l’on ne vous tend pas, dans le pays qui se voulait de fraternité, de partage, de justice.

Et pourtant, ils entendent ici les sirènes de commémoration, ils savent les visites officielles à Yad Vashem. Ils entendent peut-être les voix qui s’émeuvent juste le temps d’un discours.

Mais que cachent les officialités si, commémorant les morts, leur regard est indifférent aux survivants de la Shoah.

Qui viendra les visiter, eux les rescapés des camps d’extermination, eux les vivants témoignages de l’horreur nazie.

Combien est grande l’offense aux disparus si nous n’honorons pas les survivants de leur même tragédie.

Innommables !

Les aumônes gouvernementales, octroyées après pression d’associations, après délibération en haut lieu de tout un appareil étatique, aumônes que certains refusent par dignité.

Il n’eut été que justice qu’ils fussent choyés, consolés, apaisés par des frères et non laissés à l’abandon comme ils le furent en un temps par les nations.

Ainsi, même après les camps, ils ont usé leur vie à ne plus rien attendre d’elle, ni des leurs.

Et plus de 75 ans après, au crépuscule de leur existence, malgré la succession des gouvernements d’Israël, depuis 1948, on les retrouve dénudés, symboles encore vivants d’une dérive morale qui règne en lieu des décisions gouvernementales.

On peut s’étonner que des fonds d’indemnisation, des avoirs en errance, des héritages non revendiqués, ou qu’un budget particulier ne leur soient pas parvenus pour soulager leur état. Qu’en est-il de ces sommes dont ils seraient les plus légitimes héritiers ?

Quant à l’aumône que l’état leur tend indignement pour mieux s’en débarrasser, elle n’est que la face immergée d’un iceberg en dérive.

Serait-elle la fissure révélée d’une société en mal de son âme ?

Et quel héritage transmettrons nous à nos enfants si nous n’avons pas su être les garants de nos frères ?

Plus de 15 000 de ces anciens déportés disparaissent chaque année.

Mais jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul des survivants, leur survie restera une chance encore à la nation de se racheter d’une faute morale qui pèse et pèsera sur nous tous.

Le monde fut, durant des années, sourd à leur détresse. Et-il possible que leur peuple visé par cette même détresse soit sourd lui aussi ?

Gérard DARMON,  fils et petit-fils de déportés.
Motti Liber, 88 ans, survivant de la Shoah, reçoit les soins d’un bénévole dans les locaux de la fondation Yad Ezer L’Haver, qui soutient les rescapés en leur fournissant de la nourriture ainsi qu’une assistance médicale et psychologique, à Haïfa le 24 janvier 2021. (Crédit : Emmanuel DUNAND / AFP)
Gérard : Rescapés de la Shoah

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