Au lendemain de la guerre, pour les bourreaux inculpés, il est courant de plaider l’ignorance. Les responsables allemands soutiendront presque tous qu’ils ne savaient pas. De même, les hommes de Vichy.
Ainsi Pierre Laval : « Je savais bien que les Juifs étaient envoyés en Pologne, mais j’ai appris que c’était pour y travailler dans des conditions abominables, le plus souvent pour y souffrir et y mourir 12. » Lors de son procès, Xavier Vallat, lui aussi, affirmera qu’il ne savait pas 13.
Pourtant dès 1941, des rapports sur les exterminations massives commencent à parvenir en Europe de l’ouest. En 1942 tous les éléments sont réunis pour que les doutes soient levés 14, et diverses sources convergent : la résistance polonaise, des évadés, des témoins appartenant à l’armée italienne ou aux forces alliées, et même des agents de la Gestapo.
La BBC diffuse en français, dès le 1er juillet 1942, des informations sur le massacre de sept cent mille Juifs polonais. Le sort des Juifs arrêtés en France fait immédiatement l’objet d’articles dans la presse clandestine, dans le J’accuse du 20 octobre 1942. L’Humanité clandestine, en octobre 1942, fait état de l’expérimentation de gaz toxiques sur onze mille hommes, femmes, vieillards et enfants parmi les Juifs déportés des deux zones.
Camp des Milles ( près d’Aix en Provence)
Cependant, de nombreux Français pensent qu’il s’agit de rumeurs, ou assimilent ces informations tragiques à de la propagande alliée. Le scepticisme reste considérable.
Les Juifs sont tout aussi réticents que les autres à accepter l’information. Il faut attendre l’arrivée en Palestine d’un groupe de femmes et d’enfants venant de Pologne et confirmant les rapports sur Treblinka et Sobibor pour que l’Agence juive se juge assez informée pour publier, le 23 novembre 1942, une déclaration capitale sur l’extension des massacres massifs 15. Même alors, on a de la peine à croire que ces récits ne soient pas des exagérations. Léon Blum 16 et Georges Wellers 17, tous deux déportés, ne soupçonnent pas l’ampleur du génocide.
En France, malgré la discrétion des préfets, les rafles de Juifs et de leurs familles dans les deux zones en juillet et août 1942, sont impossibles à dissimuler. Mais les autorités d’occupation demandent à leurs subordonnés de s’exprimer avec beaucoup de prudence et de dissimuler les objectifs réels des déportations.
En mai 1942, l’administration militaire donne même l’ordre d’éviter l’emploi du mot « déportation ». La formule utilisée est désormais « envoi aux travaux forcés ». Danneker ordonne à son administration d’utiliser le terme de « transfert de populations », ce qui y inclut les enfants. Le cabinet Pétain lui-même s’enquiert à l’occasion auprès des Allemands du sort des déportés de marque.
Si le caractère contradictoire et incomplet des informations, en 1942, sert de justification aux dirigeants de Vichy, il faut admettre que leur adhésion à la propagande nazie leur paraît raisonnable.
Le travail forcé n’est pas insolite en temps de guerre. Si les jeunes Français sont déportés en Allemagne dans le cadre du Service du Travail Obligatoire (STO), quoi de plus normal que de déporter les Juifs étrangers 18 ?
L’alibi du « travail forcé » a assez de vraisemblance. De plus, l’idée d’une colonie juive où pourraient se fixer les réfugiés indésirables est à la fois familière et attrayante. L’échec du projet Madagascar a laissé beaucoup de regrets à l’administration de Vichy.
La collaboration entre Laval et Oberg est totale. Ce dernier peut déclarer le 2 septembre 1942 : « Il fut convenu que le président Laval répondrait à l’avenir à de telles situations que les Juifs de la zone non occupée livrés aux autorités d’occupation seraient transférés dans des lieux de travail situés dans le Gouvernement Général 19 », c’est-à-dire en Pologne.
Telle est la version officielle reprise par les dirigeants de Vichy. Laval adopte un alibi et s’y tient : il fait partager cette conception à la police française au moment des rafles, en utilisant la formule « parti pour une destination inconnue ». (A suivre)
12.Laval parle… Notes et Mémoires rédigées à Fresnes d’août à octobre 1945
13 Xavier Vallat : »Les doutes ne sont pas levés, même devant les preuves , car les faits sont « incroyables ».
14. Rapport de l’Agence juive
15.Léon Blum fut déporté, en mars 1943, à Buchenwald. Durant sa détention, il écrivit un ouvrage de réflexions qu’il publia après la guerre sous le titre À l’échelle humaine. Son frère René mourut à Auschwitz.
16. Wellers Georges (1905-1991) historien et chimiste français, connu pour son engagement contre le négationnisme. En 1941 il fut déporté à Auschwitz puis à Buchenwald. Après la guerre, il sera chercheur du CNRS, président de l’Association pour la Fondation Mémoire d’Auschwitz, responsable scientifique du Centre de documentation juive contemporaine, directeur de la revue Le Monde Juif, président de la Commission historique du Mémorial du Martyr Juif Inconnu. Il est le seul témoin français appelé à déposer au procès Eichmann à Jérusalem.
17.Cet argument sera utilisé par Papon lors de son procès
18. Collaboration Laval Oberg
19. Karski Jan, Mon témoignage devant le monde. Histoire d’un secret d’État, Paris, Éditions Self, 1948. Seconde édition française, annotée par Céline Gervais-francelle et Jean-Louis Panné, préface Jean-Louis Panné, « Tombeau pour Jan Karski, Éditions Point de Mire, 2004
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J’ai dit la police française !
En effet, les opérations des rafles des juifs de Marseille, de janvier 1943, sont organiséees par la police et les garde-mobiles français. voir l’article suivant sur notre site https://www.jforum.fr/marseille-1943-le-temps-des-rafles-3-video.html
En 1942 à Rivesaltes, à notre arrivée la police rennaise nous a dit » Vous êtes tous condamnés à mort «