«Nous sommes au bout du rouleau»: ces parents perdus face au «fléau» des écrans
Par Aude Bariéty
TÉMOIGNAGES – Si certains parents hésitent quant à la conduite à tenir, d’autres ont décidé d’agir face à ce qu’ils qualifient de «fléau des temps modernes».
«Pendant plusieurs années, j’ai dit non à ma fille pour un smartphone, tout en autorisant sous mon contrôle l’utilisation de réseaux comme WhatsApp, Instagram… Quand elle est entrée au lycée, j’ai cédé. Et, depuis, c’est la guerre.» Comme Marie-Alix Le Roy, mère de famille lyonnaise, de plus en plus de parents s’inquiètent de la place prise par les écrans dans la vie quotidienne de leurs enfants.
À l’image de la quinzaine d’adultes réunis ce soir de semaine dans le self du collège public Alphonse-Daudet, dans le 14e arrondissement de Paris. Ils sont là pour «mieux connaître» les réseaux et jeux qui plaisent tant à leur progéniture et pour «trouver des solutions» face à des pratiques qui souvent les dépassent. «Quelque part, on se trompe un peu de cible, car les parents qui font la démarche de venir ici sont déjà les plus impliqués sur la question!, sourit le principal Sébastien Blondot. Mais le sujet est tellement important qu’il est essentiel d’en parler, en espérant que cela se diffuse le plus largement possible.»
Pendant une heure trente, des intervenants des associations Kocoya et Florimont dispensent leurs connaissances et recommandations aux parents présents, nombreux à prendre des notes sur leur carnet ou… leur smartphone. L’atelier est aussi l’occasion d’échanger sur leur expérience personnelle. «Mon fils va avoir 13 ans, l’âge minimum pour s’inscrire sur les réseaux sociaux, que faire?», s’interroge Fadwa. «Cet été, mon fils a perdu sa Switch dans l’avion. Cette console coûte cher, mais, secrètement, j’en ai été très heureuse!», raconte une autre participante, s’attirant les rires de la salle. «Avec les écrans, on a nous-mêmes fait entrer le loup dans la bergerie», se désole Stéphanie, mère de Noé, élève de troisième. «Ma fille aînée, en première, respecte les règles que nous avons fixées. Mais mon fils, qui est en troisième, est accro aux écrans, et il arrive à contourner le contrôle parental», abonde Sandra. Le principal tente de les rassurer: «Il ne faut pas culpabiliser! Je sais par expérience à quel point cela peut être compliqué.»
Beaucoup de parents se sentaient isolés dans leur lutte et avaient l’impression d’être les derniers dinosaures à résister. Ils se sont rendu compte que non, ça les a rassurés et aidés
Marie-Alix Le Roy, créatrice d’un groupe Facebook intitulé « Parents unis contre les smartphones avant 15 ans »
Si certains parents, «perdus», hésitent quant à la conduite à tenir, d’autres ont décidé d’agir face à ce qu’ils qualifient de «fléau des temps modernes». En 2019, Marie-Alix Le Roy a créé un groupe Facebook intitulé «Parents unis contre les smartphones avant 15 ans». «Avant que ma fille aînée n’atteigne la fin du primaire, j’étais un peu dans le monde des Bisounours. Puis je me suis pris cette thématique de plein fouet le jour où elle m’a rapporté des propos d’un de ses camarades de classe: “Si tu veux un bisou, il faut me s…” Il s’est avéré que ce petit garçon avait vu du porno…», se souvient-elle. C’est après cet épisode qu’elle a lancé «Parents unis contre les smartphones avant 15 ans». À sa grande surprise, son initiative a rapidement pris de l’ampleur, le groupe comptant désormais près de 18.000 membres. «Beaucoup de parents se sentaient isolés dans leur lutte et avaient l’impression d’être les derniers dinosaures à résister. Ils se sont rendu compte que non, ça les a rassurés et aidés», veut croire la Lyonnaise.
«Pression sociale»
Sur le groupe, plusieurs internautes confient leur «désarroi» face à ce «tsunami». «Nous sommes au bout du rouleau», souffle Martha*. «Je suis lessivée avec cette lutte interminable et insensée», déplore Sixtine*, qui raconte avoir «passé un week-end horrible à (se) battre» après avoir supprimé PlayStation et téléphone. «Vous n’êtes plus seuls!», lance Marie-Alix Le Roy aux nouveaux membres, tout en les encourageant à «inviter leurs amis concernés» à les rejoindre. «Plus nous serons nombreux, plus la pression sociale redescendra. Plus il sera difficile pour nos enfants de dire: “Tout le monde en a un”», insiste celle qui a choisi l’établissement scolaire de ses enfants «pour sa politique très stricte sur les écrans», mais qui a pourtant rapidement découvert que, «dès le début du collège, tous les amis de (sa) fille possédaient un smartphone».
Un constat confirmé par les intervenants de Kocoya et Florimont, qui soulignent que 90 % des enfants âgés de 12 ans possèdent un smartphone. «S’il y avait autour de ma fille plus d’enfants sans, ce serait quand même beaucoup plus facile…», glisse Marie-Alix Le Roy, qui plaide pour le bon vieux «neuf touches»: «Le problème n’est pas tant le téléphone en lui-même que le libre accès à internet», estime-t-elle. Gilles Demarquet, président de l’Association des parents d’élèves de l’enseignement libre (Apel), va dans le même sens. «Je comprends le besoin que ressentent certains parents de donner un téléphone pour que leur enfant puisse s’en servir en cas de besoin. Mais est-il vraiment nécessaire d’y ajouter des données mobiles?», questionne-t-il. Une solution adoptée par une mère d’élève du collège Alphonse-Daudet, qui explique sous les regards un peu ébahis des autres parents que sa fille «oublie presque qu’elle a un téléphone» puisqu’elle peut seulement s’en servir pour appeler et envoyer des SMS. «Vous avez de la chance…», réagit une participante, qui invoque elle aussi la «pression sociale» à laquelle elle a fini par céder.
Des établissements scolaires à contre-courant
De nombreux parents critiquent par ailleurs le rôle joué dans cette problématique des écrans par les établissements scolaires qui adoptent parfois des politiques contraires aux règles établies à la maison. «Je suis effarée de constater que nos enfants sont constamment obligés d’avoir un écran pour les devoirs, les cours, assurer le lien élèves-prof, les travaux de groupe…», regrette Océane*.
Sur le groupe Facebook de Marie-Alix Le Roy, plusieurs parents demandent des conseils pour mener des actions dans l’établissement de leurs enfants, l’un contre «l’autorisation du téléphone portable sur la pause méridienne dans le collège privé que fréquente (son) fils», l’autre contre le «déploiement des tablettes au collège», le dernier contre l’habitude prise par l’institutrice de moyenne section de son fils de «montrer un dessin animé sur son ordinateur portable». «C’est vrai que cela peut être assez schizophrénique», concède Sébastien Blondot. «Tout est question d’équilibre. Les écrans sont partout dans la société, on ne peut pas faire sans. Il faut les utiliser de manière intelligente et à bon escient, à l’école et en dehors de l’école», tempère Gilles Demarquet, qui insiste sur l’importance d’un «travail conjoint» entre la sphère familiale et la sphère scolaire. «S’il n’y a pas de discussions en famille, l’éducation au numérique à l’école ne portera pas totalement ses fruits!»
Avec mon mari, nous nous sommes remis en question sur notre propre utilisation des écrans. Et nous avons mis des règles en place avec nos enfants lors de conseils de famille. Ça fonctionne bien !
Merième, mère de deux enfants
Au-delà de l’école, beaucoup de parents s’accordent à dire que c’est d’abord et surtout à eux qu’incombe la responsabilité d’éduquer leur progéniture sur ce sujet. Et, en premier lieu, en s’interrogeant sur leur propre utilisation des écrans. «Nous-mêmes sommes beaucoup sur nos téléphones», assume en grimaçant une mère d’élève du collège Alphonse-Daudet. «En tant que parents, nous ne sommes pas toujours des exemples», renchérit Gilles Demarquet. Consciente de cet enjeu, Merième, mère de deux enfants, a pris le sujet à bras-le-corps. «Avec mon mari, nous nous sommes remis en question sur notre propre utilisation des écrans. Et nous avons mis des règles en place avec nos enfants lors de conseils de famille. Ça fonctionne bien!» Un témoignage qui va dans le sens du principal conseil donné par tous les professionnels aux parents désemparés: «Dialoguez avec vos enfants!»
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* Les prénoms ont été modifiés.
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