La Turquie est en train de glisser vers un hideux despotisme islamiste. Et pourtant, ses relations avec l’Union Européenne (U.E) qu’il aspire à rejoindre ont rarement été aussi bénéfiques pour Erdogan. Certains vont même jusqu’à parler d’une « amélioration mutuelle et transactionnelle ». D’autres, en langage moins diplomatique et policé, appellent cela par son nom, c’est-à-dire le chantage turc sur le dos de la crise des réfugiés. Même le Premier Ministre de Turquie, Ahmet Davutoglu a reconnu que son dernier cycle de négociations avec les dirigeants d’Europe a constitué un marchandage tout-à-fait profitable, « à la Kayseri », une ville turque réputée pour la dureté en affaires de ses marchands.

En réalité, la Turquie moderne n’a jamais été autant été à des années-lumières de distance des valeurs centrales sanctuarisées par la civilisation européenne et ses institutions, qui concernent l’existence elle-même de l’U.E.

Lorsque le Tribunal Constitutionnel de Turquie a statué que la détention durant 92 jours de deux journalistes, Can Dundar et Erdem Gul constituait une violation flagrante de leurs droits élémentaires, le Président Recep Tayyip Erdogan n’a pas caché sa colère. Il a, tout simplement, décrété qu’il ne respecterait pas ni n’obéirait à cette sentence de la Cour Suprême. 

Les journalistes ont été accusé d’espionnage et de terrorisme, à la suite de la publication, par leur journal Cumhuriyet, de photos et du récit démontrant que les services de renseignements turcs, le MIT, fournissaient des camions bourrés d’armes jusqu’à la gueule aux djihadistes combattant en Syrie, les Procureurs ont exigé la condamnation à la prison à vie pour ces deux journalistes d’investigation prédominants. 

Erdogan ne se gène absolument pas pour se comporter en despote absolu se plaçant au-delà de la puissance de la loi. Dans un discours du 11 mars Erdogan a déclaré :

« La Cour Constitutionnelle doit être l’une des institutions qui devrait être la plus sensible aux intérêts et aux droits de l’Etat et du peuple. Mais cette institution et son président n’ont pas hésité à statuer contre le pays et contre son peuple dans l’un des cas les plus concrets d’attaque massive contre la Turquie ces derniers temps »

La Turquie est, à présent, un pays où le Président élu déclare ouvertement qu’il n’obéira pas à une règle définie par la Cour Suprême.

Dans l’un de leurs gestes les plus audacieux contre la liberté d’expression, les tribunaux turcs, contrôlés par le régime d’Erdogan, ont placé sous tutelle du gouvernement le journal Zaman, l’un des derniers médias qui osait encore critiquer Erdogan. Un tribunal a, en réalité, désigné des administrateurs pour diriger le journal. Sa rédactrice-en-chef Sevgi Akarcesme a déclaré qu’il s’agit de la fin effective de toute liberté de la presse en Turquie. Elle a affirmé que : « Les médias ont toujours été sous pression, mais cela n’a jamais été aussi flagrant ». La Commission de Protection des Journalistes (CPJ) basée à New-York a écrit dans une lettre adressée au Premier Ministre Davutoglu que la liberté de la presse est « en état de siège » en Turquie. 

De façon peu surprenante, la Turquie de 2015 se situe au 149ème rang de la liste de l’Index mondial de la Liberté de la Presse établie par Reporters sans Frontières.

Mais, il n’y a pas que la presse. Les Procureurs à la solde d’Erdogan dont aussi placé en détention quatre hommes d’affaires prédominants qui dirigeaient un conglomérat multimilliardaire dont on présume qu’il  avait des liens avec Fettulah Gulen, un dignitaire religieux qui a d’abord été un fervent allié politique d’Erdogan, avant de s’en détourner et de devoir s’exiler. Les disciples de Gulen ont rompu avec Erdogan, à la suite de leur engagement dans une lutte pour le partage du pouvoir à la fin 2013.

Le journal Zaman aussi, était un organe de presse guleniste et critique des pratiques anti-démocratiques d’Erdogan. Après sa saisie par le système judiciaire, le journal se caractérise à présent  par un jargon pro-governmental. L’une de ses unes à la suite de sa prise de contrôle est illustrée par la photo d’un Erdogan souriant et bienveillant. 

Mais dans un contexte aussi sombre, les relations de l’U.E avec la Turquie, au lieu d’opter pour le gel le plus profond, sont florissantes. Deux Ministres du gouvernement de la chancelière allemande Angela Merkel ont exprimé leur plus fervent soutien à la candidature de la Turquie en vue de devenir membre de l’U.E, dans un éloge apparent envers « l’utilité » potentielle de la Turquie dans les efforts de l’Europe pour tenter de maîtriser la crise des réfugiés. « Je suis définitivement pour l’ouverture du chapître qui concerne la Justice et les droits de l’homme », a déclaré au magazine allemand Spiegel, le Ministre social-démocrate (SPD) allemand de la Justice, Heiko Maas, dans un article publié le 11 mars. La Ministre de la Défense Ursula von der Leyen a, pour sa part, déclaré : « Il est juste d’accueillir et de poursuivre les négocations pour l’entrée de la Turquie en tant que membre de l’U.E ». 

De tels éloges surviennent précisément au moment où la Turquie et l’U.E sont en négociations sur un accord de ré-admission, par lequel la Turquie reprendrait à sa charge certains des migrants syriens illégaux qui ont échoué sur les plages grecques – puis ont ensuite voyagé jusqu’en Europe Centrale – en l’échange d’un régime de faveur pour des séjours exempts de visa à l’intention de 79 millions de Turcs et une accélération du processus d’adhésion de la Turquie à l’U.E qui traîne depuis des décennies. après le dernier cycle de discussions avec les Européens transformés en pâte à modeler, Davutoglu a fièrement déclaré aux reporters qu’il avait mené un « âpre marchandage à la manière de Kayseri », en ne dissimulant pas son plaisir d’avoir roulé les Européens dans la farine, comme les marchands réputés rusés et perspicaces de Kayseri. 

De façon assez réaliste, Nigel Farage, une personnalité de l’opposition britannique a accusé la Turquie de « chantage » envers l’Europe, à cause de la crise des réfugiés syriens pour faire avancer sa candidature d’entrée dans l’Europe. Le dirigeant du parti Ukip a déclaré au Parlement européen qu’il était particulièrement « scandaleux » d’offrir la moindre concession à la Turquie pour qu’elle se joigne au bloc européen en l’échange d’un accord pour accepter plus de réfugiés et de migrants. 

Le Président turc Recep Tayyip Erdogan (là gauche) a récemment déclaré en colère qu’il n’obéirait en rien à l’ordre de la Cour Suprême de libérer deux journalistes après 92 jours de détention. Nigel Farage à droite), un dirigeant britannique d’un parti d’opposition, a accusé la Turquie de « faire chanter » l’Union Européenne, en se servant de la crise des migrants pour faire avancer la proposition qu’elle s’intègre dans l’UE.

Rien de tout ce qui se produit en Turquie n’est bien surprenant. Grâce à un vote populaire, le pays a plongé tout droit dans la tyrannie islamiste. Pourtant, ce n’est que par une curieuse et grotesque ironie que les dirigeants européens se précipitent pour baiser les pieds d’Erdogan le Sultan et se soumettre à ses dernières exigences.

Par 

Burak Bekdil, basé à Ankara, erst un éditorialiste turc du quotidien Hürriyet Daily et expert en affaires turques au Middle East Forum.

 

Adaptation : Marc Brzustowski

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MAUBERTI Gil

Au lieu d’être aux ordres d’Erdogan en ce qui concerne les réfugiés le seul moyen d’endiguer cette invasion est d’envoyer une armada de navires pour bloquer toutes les embarcations en partance de Turquie. Les migrants seraient renvoyés en Turquie et leurs embarcations coulées.
C’est le seul moyen de mettre un terme à cette lamentable situation.

Ixiane

ERDOGAN est en train de perdre face à POUTINE, alors il essaie de conquérir l’UE pour installer son CALIFAT !!! et je n’exclus pas qu’il arrive à ses fins !!! l’UE est faible et inconsciente !