Livourne 1742: le miracle de Pourim (2)

Dans aucune cité italienne, les juifs ne jouèrent un tel rôle, et jamais ils n’y furent contraints à vivre dans un ghetto.

Ils furent les vrais fondateurs de la ville et les maîtres d’œuvre de sa splendeur, appelés par le grand duc de Toscane qui, avec l’édit de la Livornina du 10 juin 1593, leur garantissait, pour vingt-cinq ans renouvelables, la liberté du commerce, le droit de s’installer où ils voulaient sans porter les signes de l’opprobre comme les autres juifs du duché. Ils pouvaient avoir des serviteurs chrétiens, rouler en carrosse, etc.

Mieux, Ferdinand Ier leur offrait sa protection contre l’Inquisition : « Nous désirons que, pendant ladite période, aucune inquisition, inspection, dénonciation ou accusation ne soit prononcée contre vous et vos familles, même si dans le passé elles ont vécu hors de nos dominions en tant que chrétiennes ou dénommées comme telles.»

Les marranes furent donc naturellement très nombreux dans la cité. Cette petite ville d’un littoral ravage par les fièvres devint en quelques années un port florissant où la communauté juive jouait un rôle de tout premier plan.

L’espagnol était sa langue officielle, le judéo-espagnol sa langue de tous les jours, utilisée d’ailleurs par tous les expulsés d’Espagne, à Salonique comme dans les autres ports du Levant.

Puis, peu à peu, les juifs livournais ou granas (hébreu : גורנים Gorneyim, sing. Gorni « de Legorn », c’est-à-dire Livourne) créèrent un nouveau dialecte que les plus âgés parlent toujours, le bagitto, mélange d’espagnol, d’hébreu et de dialecte local.

La communauté livournaise connut son apogée aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Le nombre de Juifs granas dans le port de Livourne futt multiplié par trente en un siècle, passant de 114 en 1601 à environ 3 000 en 1689, mais c’est surtout dans les années 1660 que Livourne centralise les réfugiés, persécutés par les autorités espagnoles à Oran, alors que la plupart parlent espagnol et n’ont jamais connu d’autres pays.

Tobago, au large du Venezuela, avait été colonisée par des Juifs hollandais d’Amsterdam dès 1622, dans le sillage de l’ancienne présence hollandaise autour des salines de Punta d’Araya, puis par des Juifs granas de Livourne   en 1660, emmenés par Paulo Jacomo Pinto, qui souhaitait les rassembler sur la Côte Sauvage (Amérique du Sud).

Son déclin commença avec l’arrivée des troupes de Bonaparte, pourtant favorable aux autres juifs de la péninsule.

Le blocus pénalisait le port. Avec l’unité italienne et l’émancipation, les juifs de Livourne émigrèrent vers Florence ou Rome.

En 1900, il ne restait plus dans la ville que 2500 juifs, une diminution de moitié en cinquante ans.

La Juive (peinture) — Wikipédia

Photo : La femme juive, 1908 – Amedeo Modigliani

La Seconde Guerre mondiale et les déportations nazies faillirent donner le coup de grâce à la communauté, réduite aujourd’hui à 800 membres.

Achevée en 1962,  la nouvelle synagogue, édifice de béton aux formes futuristes de l’architecte romain Angelo Di Castro, se dresse piazza Benamozegh (l’ancienne piazza del Tempio) où s’élevait le temple détruit par les bombardements de 1944. Le magnifique aron, du début du XVIIIe siècle, en bois doré et finement sculpté, provient de la vieille synagogue de Pesaro, dans les Marches.

Dans la toute proche via Micali, se trouvel’oratoire Marini qui, pendant toute l’après-guerre et jusqu’à la construction de la Nouvelle Synagogue, servait aux offices religieux.

Au fond de la salle presque carrée de la yeshiva, on peut voir un extraordinaire aron de bois doré, aux décors floraux très finement travaillés.

Il daterait du XVe siècle et serait arrivé à Livourne avec des juifs chassés d’Espagne. Certains experts estiment, néanmoins, que ce chef-d’œuvre est d’une facture plus tardive. Dans ce même bâtiment, se trouve aussi le Musée juif qui regroupe, dans deux vitrines, quelques beaux objets liturgiques.

Les Marranes portugais à Livourne en Toscane

Mais enfin une bonne nouvelle arriva, le grand duc de Toscane Ferdinand 1er de Médicis souhaitant transformer le petit port de pèche de Livourne en un grand port franc et marchand en méditerranée à l’instar d’Amsterdam devenu un port attractif grâce à l’arrivée des Marranes portugais.

Il dépêcha des émissaires au Portugal afin de proposer aux crypto Juifs persécutés de venir s’installer à Livourne. La-bas, ils pourraient à nouveau pratiquer librement le judaïsme et s’administrer eux-mêmes. Ils ne seront plus enfermés dans un ghetto comme à Venise. (Photo du haut: Synagogue de Livourne 19e siècle)

Et ainsi à partir de 1591 des milliers de Marranes portugais affluèrent à Livourne où en 1593 fut promulgué l’édit de la Livornina qui octroyait aux Juifs aussi de nombreux avantages économiques. Cela permit au Port de Livourne de se développer et faire la prospérité de toute la Toscane, de Pise à Florence.

La communauté Juive rayonna ainsi dans tout le bassin méditerranéen ainsi qu’à Amsterdam, Hambourg et partout dans le monde où s’étaient installés les crypto Juifs Portugais avec qui les échanges commerciaux, culturels et familiaux s’intensifièrent.

Les Juifs Portugais introduisent en Italie les plants de tomate découverts en Amérique du sud. Imaginez que serait aujourd’hui la cuisine Italienne sans la tomate ! Ceci est peu connu mais ce sont bien les Juifs Portugais qui les premiers apportèrent ce légume en Italie.

L’influence des Juifs de Livourne

L’imprimerie hébraïque de Livourne dés le 17eme siècle fournit les livres de prières à plusieurs communautés dans tous les pays voisins. Plusieurs personnalités célèbres descendent de Juifs Livournais. Nous en reparleront dans un prochain chapitre qui relatera l’installation des Juifs séfarades à Londres notamment au 19e siècle: Lord Disraeli ministre de la reine Victoria anobli comme son ami le philantrophe Moses Montefiore, tous deux d’ascendance juive Livournaise, ou au 20eme siècle à Paris le peintre Amédeo Modigliani.

Le corail qui était très recherché dés le 16ème siècle, était acheté aux Corses et les Juifs Livournais leur fournissait en échange des armes car la Corse était en guerre contre Gênes alliée de l’Espagne et rivale de Florence . Ce commerce de corail se faisait aussi avec les Marranes installés à Goa, au sud de Bombay en Inde et qui fournissaient les bijoux à la cour des Maharajas.

Plusieurs petites communautés sœurs de Livourne allaient être créées à Alger qui était l’aboutissement des caravanes transportant les matières premières d’Afrique et surtout l’or indispensable aux énormes besoins monétaires d’alors. Les Juifs Livournais d’Alger se chargeaient de leur exportation vers l’Europe. L’une des plus  importantes communautés à laquelle nous allons nous intéresser est celle de Tunis

Aujourd’hui Livourne compte toujours une petite communauté Juive de moins d’un millier de personnes. Mais ses archives sont impressionnantes et remontent à 5 siècles. Elles permettent aux historiens et généalogistes de retrouver pour certains, leur ascendance.

Adaptation par Jforum avec Pierre Mamou
Sources: www.jguideeurope.org, Beit Hatfutsot et fr.wikipedia.org

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