Mémorial éphémère devant l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, janvier 2017. S.HennebertAuthor provided

Les Juifs français face aux attentats et à l’antisémitisme aujourd’hui

Depuis le 2 septembre 2020 se tient à Paris le procès des complices et soutiens logistiques présumés des attentats de janvier 2015. Des journalistes, des policiers et des Juifs avaient alors été visés lors de différents événements meurtriers décrits comme des attentats sans précédent en France et parfois surnommés « les attentats de Charlie ».

Ces semaines de procès ont été émaillées d’actes violents dont le saccage d’un restaurant juif à Paris.

L’année 2015 apparaît de moins en moins comme une exception aux yeux des commentateurs face à la multiplication des actes terroristes, mais elle ne l’était déjà plus au moment des faits pour les personnes juives ou assimilées, affectées par des violences antisémites en France depuis plusieurs années.

En effet, entre 2004 et les 2014 le nombre d’actes et menaces antisémites oscille entre 400 et 1000 faits délictueux ou criminels par an, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. On compterait une hausse de 27 % de faits à caractères antisémites (687 actes) en 2019 par rapport à l’année précédente.

Dans ce contexte, comment les Français juifs ont-il vécu les actes antisémites et les attentats de ces dernières années ? Une série d’entretiens réalisés dans le cadre de ma thèse de doctorat permet d’éclairer la manière dont les Juifs français se positionnent vis-à-vis de l’antisémitisme contemporain en France.

Un retour de l’antisémitisme ?

Les commentaires politiques et médiatiques qui font état des actes, criminels ou non, commis à l’encontre des personnes juives ou assimilées, parlent souvent de « retour de l’antisémitisme » depuis les années 2000.

Pourtant, les décennies précédentes avaient été marquées par différents événements, dont certains ont été particulièrement meurtriers comme les attentats de la synagogue Copernic en 1980 et de la rue des Rosiers en 1982.

Attentat au 24 de la rue Copernic, dans le XVIᵉ à Paris, le 3 octobre 1980, INA.

Ainsi il semble qu’une lecture ahistorique s’opère régulièrement quand il s’agit d’évoquer l’antisémitisme, les derniers événements étant envisagés de manière totalement séparée de l’histoire structurelle de l’antisémitisme en France.

Antisémitisme à la française ?

Actuellement, l’antisémitisme est parfois décrit comme étant le fruit de l’importation du conflit israélo-palestinien, et non pas comme une « guerre franco-française » (selon l’expression de Pierre Birnbaum).

Pourtant les débats sur l’indemnisation des spoliations des biens des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ont suscité des vagues d’agressions antisémites en 1999. Certaines personnes juives que j’ai rencontrées perçoivent les actes récents de la manière suivante :

« Jusqu’à l’an 2000, on a, sauf quelques phases particulières et depuis la [Seconde] guerre pas de vague antisémite. Première vague antisémite, octobre 2000 […] c’est le lien avec l’Intifada en Israël qui ENTRAÎNE en France une vague d’antisémitisme. »

Si les origines de l’antisémitisme ne font pas consensus – entre ceux qui y voient une conséquence directe des affrontements entre Israël et Palestine à l’instar de Roger cité plus haut, et ceux qui le comprennent plutôt comme la continuité de l’antisémitisme chrétien – tous s’accordent en revanche sur le fait que l’attentat de l’Hyper Cacher le 9 janvier 2015 ne surgit pas de manière inattendue.

L’Hyper Cacher, un attentat qui s’inscrit dans une série noire

Ce qui est commun à de nombreuses personnes juives ou assimilées, c’est le sentiment que l’attaque de l’Hyper Cacher ne constitue pas une rupture avec leurs vécus, ni un surgissement soudain de la violence antisémite. Au contraire, il s’inscrit dans la généalogie des actes récents depuis le meurtre de Ilan Halimi en 2006, notamment.

Cependant, ce qui change en janvier 2015 c’est la multitude des réactions sociales aux attentats, notamment à travers la marche républicaine organisée peu après les faits. Le 11 janvier 2015, des millions de Français se rassemblent en hommage aux victimes des jours précédents, mais rapidement parmi les communautés juives un certain désenchantement apparaît. Celui-ci est exprimé de manière très marquante par Roger :

« On savait très bien le 11 janvier que les gens manifestaient pas pour [l’]Hyper Cacher. Parce qu’ils avaient pas manifesté pour Ilan Halimi, parce qu’ils avaient pas manifesté pour Toulouse. Donc seuls les Juifs, en gros, se retrouvaient à manifester d’où le sentiment de malaise, le sentiment d’exclusion qu’avaient les Juifs. »

Commémoration de la mairie de Saint-Mandé, janvier 2017, autour d’une plaque posée par la mairie dans le Jardin du Souvenir inauguré pour rendre hommage aux victimes des attentats de janvier 2015. S.HennebertAuthor provided

 

 

 

 

 

Ce qui perdure à travers les années c’est le sentiment d’abandon ressenti à la suite d’actes antisémites, y compris en 2015 où, pour beaucoup de personnes que j’ai interrogées, les victimes juives disparaissent dans l’ombre de Charlie Hebdo. L’usage du slogan « Je suis Charlie » semble avoir exacerbé ce ressenti.

Pourtant en 2012 (après les attentats de Mohamed Merah) et en janvier 2015, les réactions politiques sont nombreuses. Mais non seulement, pour les personnes rencontrées, elles ne sont pas suffisantes face au silence du reste de la population, mais elles sont en plus parfois considérées comme des formes de récupérations politiques.

Les réactions politiques : hommages ou récupérations ?

Dans un contexte où de nombreuses personnes se sentent laissées pour compte par la population non-juive, le sentiment d’agacement vis-à-vis des prises de paroles des personnalités politiques peut sembler paradoxal. Pourtant il apparaît que ces ressentis, loin d’être exclusifs, coexistent chez nombre de personnes que j’ai interrogées.

Lire la suite dans https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757

L’autrice réalise actuellement sa thèse Les mémoires de l’antisémitisme en France, sous la direction Nancy Venel (Université Lyon 2).

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