« L’affaire documenta » : les Indonésiens sont-ils antisémites ?

L’antisémitisme est-il une notion universelle et distincte du racisme ?

La distinction est majeure en Europe. Est-ce donc une spécificité de l’histoire occidentale, qui n’est pas au centre de la culture politique asiatique ? Où commence l’ethnocentrisme ? Jusqu’où peut-aller le relativisme culturel ? C’est le débat qui agite la scène artistique contemporaine en Indonésie et en Allemagne. En juin dernier, l’œuvre monumentale d’un collectif d’artistes indonésiens, comportant une imagerie antisémite, a été retirée d’une grande exposition allemande d’art contemporain.

*Le nom s’écrit avec un « d » minuscule.
Le 21 juin dernier, un scandale éclabousse documenta*, l’une des grandes expositions d’art moderne et contemporain en Allemagne, qui se tient tous les cinq ans à Cassel. Les organisateurs ont dû retirer une œuvre du collectif d’artistes indonésiens Taring Padi, fondé en 1998 à Yogyakarta dans le centre de l’île indonésienne de Java. Critiquée pour un contenu considéré comme antisémite, l’œuvre, intitulée People’s Justice, consiste en une banderole de 18 mètres de long. Créée en 2002, elle dénonce les violences du régime Soeharto, présentant des personnages qui symbolisent ces violences. Parmi eux figurent des soldats en tenue anti-émeute avec des têtes de cochon, dont l’un porte l’inscription « Mossad » et une étoile de David sur sa cagoule. Derrière les soldats, on voit un personnage portant des papillotes, un cigare à la bouche, des dents de vampire et un chapeau avec un insigne « SS ». L’œuvre a été dénoncée par le Conseil central des Juifs en Allemagne.
Taring Padi a présenté des excuses tout en affirmant qu’il n’y avait aucune intention antisémite. Le collectif regrette que l’œuvre soit devenue « un monument de deuil pour l’impossibilité du dialogue ».
Dès janvier 2022 pourtant, une « Alliance contre l’antisémitisme de Cassel » accusait ruangrupa*, le collectif d’artistes indonésiens conservateur de l’édition 2022 de documenta, de travailler avec des organisations qui approuvaient le boycott culturel d’Israël ou d’être antisémites. Accusations rejetées par documenta, soutenue par plusieurs experts en art, et également le maire de Cassel. « L’Alliance » avait alors averti que « Cassel risquait de devenir un lieu d’agitation anti-Israël et antisémite pendant documenta ».

« CHOQUÉS ET ATTRISTÉS »

Ruangrupa a été fondé en 2000, également à Yogyakarta, une des deux anciennes cités royales, avec Surakarta, dont les palais préservent une culture de cour qui fait partie de l’identité javanaise. C’est une ville universitaire où des dizaines de milliers d’étudiants viennent de tous les coins d’un archipel de plus de 16 000 îles et qui s’étire sur plus de 5.000 kilomètres, pour acquérir un savoir moderne. Mais « Yogya », comme on l’appelle familièrement, est aussi le lieu où s’exprime une création artistique indonésienne contemporaine. Cette dernière se nourrit à la fois des différentes traditions et transcende l’extrême diversité d’une nation où l’on parle quelque 700 langues et où le recensement officiel dénombre plus de 1 000 groupes ethniques. Ruangrupa (« l’espace de la forme ») et Taring Padi (« le croc de riz ») en sont les principaux acteurs.
Ce n’est que début mai que ruangrupa réplique par une lettre ouverte déposée sur la plateforme E-flux consacrée à la création artistique. Le collectif y regrette l’annulation d’un débat dans lequel il envisageait de répondre aux accusations d’antisémitisme. Dans ces accusations qu’il rejette, il voit des « tentatives malintentionnées de délégitimer des artistes et de les censurer au préalable sur la base de leur patrimoine ethnique et de leurs positions politiques présumées ». Ruangrupa affirme que « l’Alliance » est en réalité un individu lié à un « groupe extrémiste » qui n’a rien à voir avec la communauté juive de Cassel. Le collectif dénonce également dans les accusations de « l’Alliance » un jeu de mots à teneur raciste sur lumbung, qui en indonésien désigne une grange à riz communautaire, concept sur lequel repose son projet artistique, et le « lumumba », un cocktail nommé d’après le militant indépendantiste congolais Patrice Lumumba. Fin mai, un des lieux d’exposition est vandalisé, notamment avec des graffiti « à connotation haineuse ».
Début juin, plusieurs artistes de différentes nationalités publient, également sur E-flux, un texte de soutien à ruangrupa. Fin juin, Taring Padi publie à son tour une déclaration dans laquelle le groupe dit regretter l’ampleur de la polémique autour de son œuvre People’s Justice et présente ses excuses aux visiteurs, à l’équipe de documenta, au public allemand, notamment à la communauté juive. Et de faire la déclaration suivante : « En tant que collectif d’artistes qui dénonce le racisme sous toutes ses formes, nous sommes choqués et attristés par la fureur médiatique qui nous étiquette comme antisémite. […] Nous sommes venus à documenta 15 en solidarité avec les luttes mondiales qui démontent les héritages coloniaux ayant donné naissance à l’autoritarisme et la violence d’État. »

SENTIMENT ANTI-ISRAÉLIEN

L’affaire a évidemment connu des rebondissements en Indonésie. L’écrivain Goenawan Mohamad, fondateur de l’hebdomadaire indonésien Tempo, plusieurs fois condamnés sous le régime Soeharto, a ainsi posté un texte sur son compte Facebook. Goenawan est francophone et francophile. La culture « occidentale » ne lui est pas étrangère. Il sait ce qu’est la Shoah mais considère que toute abomination est liée à un lieu : pour la Shoah, c’est l’Allemagne. Mais au XXème siècle, ajoute-t-il, il y a aussi eu des massacres en Indonésie en 1966, au Cambodge en 1975, au Rwanda en 1994, en Serbie en 1999. L’écrivain considère absurde de vouloir que pour un Indonésien, un Chinois ou un Papou, la haine et l’abomination soient symbolisées par l’antisémitisme. Pour Goenawan, l’antisémitisme appartient à l’histoire de l’Europe. Y voir une notion universelle est à ses yeux de l’eurocentrisme. Le philosophe Jean-Louis Vullierme démontre d’ailleurs que le nazisme prend sa source dans une pensée et des textes européens et américains*.
Il existe une microscopique communauté juive en Indonésie, qui compte à peine 200 personnes. Mais dans le pays de la conférence de Bandung, le conflit israélo-palestinien est vu au prisme de l’anticolonialisme. Le préambule de la constitution indonésienne déclare en effet que « l’indépendance est le droit de tous les peuples », et l’Indonésie s’oppose donc à « l’occupation de la Palestine par Israël ». La ministre indonésienne des Affaires étrangères a réitéré cette position en mai 2021, déclarant que « le conflit est, par nature, asymétrique entre Israël, l’oppresseur, la puissance occupante, et les Palestiniens, la population occupée et continuellement oppressée ». Mais cette position a produit un sentiment anti-israélien qui dans une partie de l’opinion indonésienne a, tout comme en France, pris la forme de l’antisémitisme, notamment dans les milieux islamistes.
Le critique d’art Bambang Bujono estime que l’œuvre de Taring Padi a un caractère caricatural. Il n’y voit pas d’antisémitisme mais considère que les différences de signification donnée à des symboles doivent être discutées dans un débat intellectuel. De son côté, Faruk Tripoli, expert en art et en culture à l’université Gadjah Mada à Yogyakarta, déclare qu’il peut comprendre les réactions suscitées en Allemagne.
Il est impératif de faire connaître en Indonésie ce qu’est la Shoah, trop mal connue dans l’archipel, et d’expliquer pourquoi elle est fondamentale dans la conscience du monde occidental. Il n’en reste pas moins que pour les Indonésiens, l’antisémitisme n’est qu’une forme particulière de racisme, et non une notion distincte et universelle.
NDLR : C’est là justement la marque d’une profonde inculture, qui mélange tout et n’importe quoi. L’antisémitisme diffère effectivement du racisme à bien des égards. Ne pas connaître les fondements des choses et s’autoriser à tout confondre au nom d’un débat intellectuel où la culture est absente, c’est se moquer de la culture, c’est s’autoproclamer intellectuel alors que l’on est ignorant, et c’est s’autoriser à prendre la parole sur un sujet que l’on ne maîtrise pas, là où on est justement invité au silence.
Dans le cas d’espèce, il y a non seulement une méconnaissance de la Shoah et de ses mécanismes, mais aussi une méconnaissance grave du conflit israélo-arabe, qui met sous le tapis la volonté génocidaire des arabes à l’encontre des Juifs bien avant la naissance de leur état reconnu par les nations. De plus cette volonté est inscrite noir sur blanc dans la charte des pseudos victimes arabes habitants sur le territoire de la terre d’Israël. Leur volonté de voir la disparition d’Israël comme condition première de la paix reste et demeure nullement acceptable. Parler de victimes dans ce contexte est tout simplement une insulte à l’intelligence humaine.
JFORUM. fr et  Anda Djoehana Wiradikarta

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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