Rapport Sauvé : « Nous devons nous inspirer de la tradition juive du débat »

Après les révélations de la Ciase, Jean Massonnet, prêtre lyonnais et enseignant émérite de la Faculté de Théologie de Lyon, estime qu’il faudrait s’inspirer de la tradition rabbinique du débat.

L’énorme choc provoqué par les révélations de la Ciase provoque de nombreuses réactions de la part de beaucoup de chrétiens attristés et scandalisés. Et c’est heureux. On souhaite une réforme de fond de l’Église, une révision radicale de sa gouvernance, une correction des méfaits du cléricalisme tellement dénoncé par le pape François, une prise en compte de la parole de tous. Et tout ceci sur la base d’un retour à l’Évangile, au message proclamé par Jésus. Retour aux sources. Je lis ceci dans une tribune de La Croix dont je reçois par ailleurs très positivement les propositions : « Dans l’Ancien Testament, la parole se fait loi, dans les Évangiles, elle se fait chair ».

Retour aux sources : que faire de cet « Ancien Testament » ? Au temps de Jésus, ce n’était pas un « Ancien Testament », mais une Parole vécue, présente, comprise, interprétée, vivante. Les premiers chrétiens, tous juifs, ont été formés par cette Parole, et Jésus lui-même l’a reçue avant de l’accomplir dans sa personne. La source pour ces premiers chrétiens n’est pas un Ancien Testament composé de textes anciens de quelques siècles et donc inadaptés à une situation présente. Elle est au contraire une Parole vivante, vécue dans le peuple juif, constamment interprétée.

Le peuple est le véritable porteur du message,

Nous avons là une véritable mine d’inspiration malheureusement ignorée de beaucoup : il s’agit de la tradition vivante, dont les pharisiens étaient le vecteur, et qui était reçue par l’ensemble du peuple. Et pourquoi ce succès des pharisiens ? Parce que ces derniers reconnaissaient que le peuple est le véritable porteur du message, et qu’il peut même recevoir des vérités qui ne figurent pas noir sur blanc dans l’Écriture.

L’exemple le plus impressionnant pour des chrétiens est celui de la foi en la résurrection de morts. Rien dans l’Écriture qui faisait alors référence (le Pentateuque, les cinq premiers livres de la Bible) n’affirmait cette vérité.  Elle est née d’une lente maturation sur le sens de Dieu qui s’est développé dans le peuple, sur la nature de ses promesses et l’infini de sa puissance. Moins de deux siècles avant la naissance de Jésus, nous trouvons les premières affirmations claires de la foi en la résurrection des morts. On saura trouver par la suite non pas des preuves, mais des appuis dans l’Écriture qui confirmeront la foi nouvelle.

C’est exactement ce que fait Jésus, en parfait accord avec les pharisiens, lorsqu’il reproche aux sadducéens (ce groupe minoritaire et détenteur du pouvoir) de ne pas savoir lire ce qui est insinué dans l’Écriture lorsque Dieu s’adresse à Moïse en disant : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ». Jésus a pensé son devenir et sa vocation propre sur la base de la foi en la résurrection de mort qui prit naissance dans son peuple.

La nécessité de l’écoute mutuelle

Le grand maître de Troie, Rachi, expliquait qu’il y a en tout juif quelque chose de la Torah, de la Parole de Dieu. Jésus, que nous reconnaissons comme Verbe de Dieu, nous introduit dans cette tradition juive qu’il prend sur lui, et il nous invite à nous reconnaître les uns et les autres comme expression de cette parole, d’où la nécessité de l’écoute mutuelle.

Mais comment s’écouter lorsqu’on est différents et souvent en désaccord ? « Dieu a dit une parole, j’en ai entendu deux, parce que la puissance est à Dieu » (Ps 62,12) rapporte un psalmiste. Dieu infini, transcendant, peut tout dire en une seule parole, laquelle se diffracte en une multitude de sens différents dans l’esprit de ceux qui écoutent ; c’est comme un marteau qui frappe le roc et provoque des gerbes d’étincelles rapporte la tradition. Profusion de sens, dont chacun, ne percevant qu’un aspect, authentique et unique, éprouve le besoin de recevoir ce qu’apporte autrui, si bien que l’ouverture à la parole transcendante et infinie oblige celui qui la reçoit à s’ouvrir à la révélation que lui apportent ses frères. Personne n’est un seigneur !

Le débat sans la volonté de puissance

La tradition juive est un tissu de débats et de disputes ; il n’y a pas de raison qu’il n’en soit de même pour la tradition chrétienne. Mais à une condition : que cette recherche commune se fasse dans l’accueil d’une Parole infinie dont chacun sait qu’il n’en reçoit qu’une petite étincelle, ce qui l’oblige à accueillir la révélation qui provient d’autrui. De cette mise en commun, résultat d’une écoute mutuelle, peuvent jaillir des nouveautés insoupçonnées. Malheureusement, les débats sont trop souvent marqués par la volonté des participants (responsables y compris) d’imposer leurs propres vues. La tradition rabbinique donne un exemple, rapporté dans le livre des Nombres, ch. 16, de l’aboutissement des luttes pour le pouvoir, lorsqu’elles sont déconnectées de la relation obéissante à la transcendance infinie de la Parole. Il s’agit d’une bande de lévites qui refusent l’autorité de Moïse : les contestataires sont engloutis dans les profondeurs de la terre. Leçon de cette parabole : les luttes pour le pouvoir conduisent à la mort.

Nous en mesurons pour une part aujourd’hui les conséquences dans notre Église. Mais que dire des désastres provoqués par la volonté de puissance dans notre monde ? Quant à nous chrétiens, choqués par le rapport de la Ciase et désireux de travailler à la réforme de notre Église, il serait dommage que nous nous passions de la riche inspiration de cette tradition juive où plongent nos racines.

  • Jean Massonnet,

NDLR Nous avons repris stricto sensu le texte paru dans La Croix, avec lequel nous avons beaucoup de désaccords. Mais ce qui est intéressant c’est l’invitation à redécouvrir la Bible, comme étant une parole d’autant plus vivante, qu’elle se réalise sous nos yeux entre autres en Israël.

 

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gigi

@Asher Cohen
Je ne comprends pas votre véhémence. Ce prêtre ne fait que rappeler à ses ouailles les racines juives de leur foi et leur enjoint de s’en inspirer. Il ne s’adresse pas aux Juifs.

Asher Cohen

Je vous remercie pour votre attention à mon post.

D’abord, j’ai toujours considéré que le christianisme n’était pas issu du Judaïsme. C’est une vision métaphysique du monde et des principes de comportement trop différents du Judaïsme pour pouvoir prétendre que la foi chrétienne en soit issue, et bien sûr je ne développe pas. Le Judaïsme n’a pas pu engendrer le christianisme, dont l’origine est à chercher du côté de la Perse et l’Inde après les conquêtes d’ Alexandre. Par contre, l’église imite clairement le Judaïsme et j’ai bien écrit ci-dessous combien l’imitation était du suicide, et l’Histoire montre combien l’église s’est constamment suicidée.

Ensuite, le chrétien a l’antisémitisme inscrit dans ses écritures fondamentales que sont ses évangiles, il est donc par définition antiJuif, de la manière la plus irrationnelle qui soit. Il ne peut que douter de sa foi chrétienne, tant qu’existe ce petit peuple Juif, le Am Israël, qui persiste et prospère contre vents et marées. Je crois donc que la véhémence est bien plus forte de la part du chrétien envers le Juif, que du Juif envers le chrétien, Juif qui ne cherche pas de pouvoir sur autrui..

Par mon post j’ai voulu inciter les Juifs à ne compter, par principe, que sur eux-mêmes, et ne rien attendre des chrétiens. Ensuite, sur un site Juif comme celui-ci, je ne vois pas l’intérêt pour les Juifs d’ apprendre qu’un prêtre catholique enjoint à ses ouailles de s’inspirer du Judaïsme, même si ce site est consulté par des chrétiens. Durant des millénaires, de nombreux peuples se sont inspirés du Judaïsme. Nous n’avons-pas à en tirer vanité et devons continuer à nous élever.

Marco 22

Bonjour Asher,

Comme je l’ai déjà expliqué sur ce site, les Chrétiens ne sont pas les ennemis des Juifs et d’Israël. Il est vrai que dans le passé, des hommes au nom de Christ ont persécuté les Juifs mais il faut savoir que ces hommes étaient ce qu’on appelle des Chrétiens de nom, il n’étaient pas véritablement Chrétiens car ils ne connaissaient pas Dieu personnellement. Ce sont ces même individus qui ont persécuté les véritables Chrétiens pendant le Moyen-Age, en les torturant, en les envoyant au bûcher. Ce sont aussi ces mêmes individus qui au temps des rois d’Israël ont persécuté les prophètes car ils ne connaissaient pas Dieu ( cf Jér 4.22 )

Maintenant, Le prophète Jérémie n’a-t-il pas prophétisé que Dieu ferait une nouvelle alliance avec Israël? ( cf Jér 31.31-33 )

Dieu n’a-il-pas fait une promesse à Abraham qu’il se tournerait vers les nations?  » Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront; et toutes les familles de la terre seront bénies en toi » Gen 12.3. Lire aussi Amos 9.11

Cette nouvelle alliance a été inaugurée avec Jésus et cette promesse réalisé par Lui.

Il est certain que le Christianisme trouve ces racines dans le judaïsme.
D’ailleurs l’Apôtre Paul n’a-t-il pas dit: » Si toi, tu as été coupé de l’olivier sauvage selon sa nature, et greffé contrairement à ta nature sur l’olivier franc, à plus forte raison eux seront-ils greffés selon leur nature sur leur propre olivier ». Romain 11.24

Pourquoi ne pas lire l’Evangile de Matthieu pour vous faire une idée?

Bonne soirée,

Marco 22

Je me permets de rajouter que les Evangiles ne sont pas antisémites.
Trois d’entre eux ont été rédigés par des Juifs et le contexte des Evangiles est Juif.

Asher Cohen

Les problèmes des chrétiens ne sont pas les nôtres. Si nous sommes le Peuple élu, dans ce cas, je ne vois pas l’intérêt de nous comparer aux autres. Pourquoi donner de l’importance à des gens qui ne font qu’imiter le Judaïsme ? Ils ne peuvent rien nous apporter. Voilà pourquoi nous avons toujours vécu en diaspora dans des communautés fermées et étanches, et n’avons jamais cherché les choses hors de nous-mêmes.

Dans la Dispute de Barcelone, Nachmanide a démontré qu’une caractéristique fondamentale du christianisme est la recherche constante de pouvoir sur autrui. Nous n’avons pas cette volonté de puissance, ainsi les rabbanim ont pu nous enseigner l’art du débat pour la recherche de la Vérité. Nous ne pouvons que nous réjouir que les catholiques soient si nuls, parce que cela a toujours signifié que nous pouvons être bien mieux que ces gens-là. Ce qui importe pour nous n’est pas ce que font les chrétiens, mais ce que nous,Juifs, nous faisons. Moshé Rabénou a dit, non pas ce que les autres peuples pensaient, mais ce que lui pensait. N’est-ce pas son plus grand mérite? Comme disait Maïmonide, croire en notre propre pensée, croire que ce qui est vrai pour nous, dans notre coeur, est la Vérité, c’est cela notre génie. L’imitation des autres est du suicide, et les chrétiens ne le montrent-ils pas constamment?

Nous avons toujours accepté le Monde terrestre, le Haolam ha-zé, la place que Dieu nous a donnée, la société de nos contemporains, la connections des évènements, et avons toujours considéré que seul l’Éternel a le pouvoir de ressusciter les morts. Nous n’avons aucun pouvoir sur le Monde à venir, le Haolam haba. Nos sages ont toujours eu confiance en eux-mêmes et considéré que l’absolument fiable siégeait dans leur coeur, travaillant de leurs mains et prédominant dans tout leur être. Ils ont toujours obéi à l’effort du Tout Puissant, avançant dans le chaos et l’obscurité.

Donc, je ne vois pas l’intérêt, sur un site Juif, à débattre des problèmes des chrétiens.