Les difficultés juridiques de la communauté internationale

A l’automne dernier, le front al-Nosra, affilié à al-Qaida, demandait son retrait de cette liste. Une exigence absurde, mais qui traduit bien les difficultés juridiques auxquelles fait face cette action de la communauté internationale.

Le 15 décembre dernier, l’armée syrienne était mise en échec dans le nord du pays par une coalition de groupes armés, au premier rang desquels figurait le front al-Nosra, mouvement affilié à al-Qaida. Un assaut salué par les anti-Assad dont l’Armée syrienne libre, branche modérée de l’insurrection. al-Nosra serait-il en train de se ranger du côté des opposants syriens et non plus des djihadistes? S’agirait-il d’une tactique destinée à redorer son image? Depuis le début du conflit syrien, le groupe extrémiste est en guerre contre ses rivaux djihadistes de l’organisation Etat islamique, présentée comme l’ennemi numéro 1 par la communauté internationale.

Pour se démarquer de ce mouvement, al-Nosra avait tenté de négocier avec l’ONU, en septembre dernier, sa sortie de la liste noire des terroristes des Nations unies en échange de la libération de 45 casques bleus retenus en otage. Une demande immédiatement rejetée par l’ONU.

Créée en 1999, cette liste récapitulative des Nations unies regroupe des personnes ainsi que des entités indésirables, jugées hostiles ou ennemies par le comité du Conseil de sécurité de l’ONU contre al-Qaida et les talibans. Ce comité impose des sanctions telles que le gel des avoirs, l’interdiction de voyager et l’embargo sur les armes. Le coup de poker d’al-Nosra

Pourquoi cette demande a-t-elle été rejetée? Pour Thomas Pierret, maître de conférences en islam contemporain à l’université d’Édimbourg, la requête d’Al-Nosra ne pouvait pas aboutir en raison de sa filiation avec Al-Qaïda: «On ne peut pas se revendiquer comme ennemi absolu de la première puissance mondiale tout en cherchant à devenir respectable sur la scène internationale; cela a d’autant moins de sens à l’heure où al-Nosra est en compétition avec l’État islamique pour le contrôle de la sphère djihadiste globale.»

Selon ce spécialiste, cette demande résulterait d’un concours de circonstances: «Les commandants locaux d’al-Nosra se seraient retrouvés avec des Casques bleus et auraient effectué cette démarche irréfléchie.» Un point de vue que ne partage pas François Burgat, politologue et directeur de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, pour qui l’initiative du groupe djihadiste correspondrait à une stratégie bien rodée visant à rompre avec les djihadistes: «Aujourd’hui, al-Nosra s’est centré sur la lutte contre le régime de Bachar el-Assad plus que sur la prise en charge des territoires libérés. al-Nosra a établi des relations de coopération avec la population comme avec les groupes armés non djihadistes pour se démarquer de l’Etat islamique en Irak et au Levant.» Même si les Nations unies ont rejeté la demande d’al-Nosra à cause de sa filiation théorique avec al-Qaida, les Américains se seraient posés la question de ne pas englober ce mouvement dans la liste des groupes qui allaient faire partie des cibles de ses interventions aériennes en Syrie et en Irak, avant de se rétracter. «Cette décision a été très mal comprise par des pans entiers de l’opposition armée syrienne non djihadiste», précise François Burgat.

Les faux pas de la liste noire

Si le mouvement djihadiste a pu demander sa radiation de la liste noire, cette initiative n’aurait pas pu se faire quelques années auparavant. Aujourd’hui, les personnes ou entités comme al-Nosra peuvent en effet exercer un recours en démontrant, soit qu’elles ont été inscrites sur la liste par erreur, soit que les faits ne sont pas concordants ou que tous les liens avec un groupe terroriste ont été rompus.

Par exemple, en juillet 2010, cinq talibans, dont un ancien ambassadeur afghan aux Nations unies, avaient été retirés de la liste noire dans le cadre du processus de réconciliation amorcé par le président afghan Hamid Karzhai. C’est sans doute au vu de ces récents événements qu’al-Nosra a décidé de tenter sa chance. Une situation inconcevable au début des années 2000. À la suite des attentats contre les Etats-Unis, l’ONU avait réagi sous le coup de l’émotion et avait mis sur sa liste, sans aucune vérification, des personnes et des entités qu’il jugeait dangereuses. Un problème important pour les États européens, pris en tenaille entre les décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies et les exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

L’arrêt Nada contre Suisse du 12 septembre 2012 illustre bien cette problématique. La CEDH avait été saisie du cas d’un ressortissant italien, placé sur la liste noire, habitant une enclave située en Suisse et qui était dans l’impossibilité de voyager. La Cour avait conclu que l’application de cette sanction violait le droit à la vie privée et familiale au motif que cela empêchait la personne de vivre correctement.

De plus, la CEDH avait condamné la Suisse pour n’avoir pas permis un recours après l’inscription sur la liste. Toutefois, pouvait-on reprocher à un État d’avoir mis en œuvre une décision du conseil de sécurité alors qu’il est obligé de respecter les décisions de ce même conseil? Pour Marie-Hélène Gozzi, maître de conférences en droit privé et en sciences criminelles, et auteur d’un livre sur l’arsenal juridique de la lutte contre le terrorisme, «la CEDH a rendu des arrêts embarrassés dans le sens où il fallait appliquer à la fois les obligations des Nations unies, qui s’imposent à tous les États membres, et puis tenir compte des droits conférés dans le cadre européen. Elle n’a jamais prononcé une condamnation de ces sanctions, elle a simplement spécifié dans sa jurisprudence qu’il appartenait aux États de mettre en œuvre correctement et dans le respect de l’État de droit le régime qui est mis en place.»

Après cet arrêt, les Nations unies ont fait évoluer leur manière de penser. «Ils ont ajusté leur dispositif en renforçant leur contrôle, en permettant les recours et en instaurant un médiateur indépendant et impartial pour examiner les demandes de retrait de liste pour éviter les erreurs», précise Nicolas Hervieu, juriste en droit public et spécialiste de la Cour européenne des droits de l’homme.

La fragilité de la lutte contre le terrorisme

Si aujourd’hui, les Nations unies ont rectifié leurs erreurs, la mise en place de cette liste noire est-elle efficace pour combattre les djihadistes? Pour Marie-Hélène Gozzi, les résultats sont tangibles dans la mesure où elle permet d’interdire à certains terroristes de voyager. Pour autant, ces sanctions ne suffiraient pas. «Elles ne sont qu’une partie de ce qui peut être fait. Entre ce qui s’est passé en 2001 et ce qui se passe en 2014 avec la création d’un groupe qui prétend instaurer un état, on assiste à la mutation du terrorisme.

Au regard de cette situation, ces mesures sont nécessaires mais on ne peut pas s’appuyer seulement sur ces sanctions», rappelle la chercheuse. De plus, ces sanctions n’auraient pas les mêmes conséquences pour tous les groupes djihadistes. Par exemple, le gel des avoirs aurait plus d’effets sur al-Nosra que sur l’EIIL. Comme l’explique Thomas Pierret, «al-Qaida ainsi que ses branches locales sont fortement dépendantes des flux transnationaux, des financements privés, contrairement à l’EIIL, qui tire la plus grande partie de ses ressources grâce au pétrole».

Outre la question des sanctions, le choix des entités ou groupes à inscrire sur la liste proposé par les États au comité de sanctions ne serait pas fiables à 100%. Même si tous sont tenus de présenter un argumentaire solide qui doit fournir autant de détails que possible sur les faits qui constituent la raison ou la justification de l’inscription, cette mise sur listing réalisée du point de vue des renseignements s’avérait trop subjectif et inefficace selon François Burgat: «Je n’ai à ce jour jamais perçu les actions onusiennes dans le domaine du « terrorisme », concept souvent construit de façon trop unilatérale par les acteurs étatiques pour désigner leurs adversaires, comme étant dotées d’une quelconque efficacité.»

Malgré certaines rectifications opérées par l’ONU, Nicolas Hervieu se montre pessimiste pour l’avenir, n’excluant pas la possibilité de nouveaux dérapages du Conseil des Nations Unies. «Avec les départs d’Européens partis faire le djihad et l’instauration d’un État islamique, de nouvelles questions vont se poser. Il faudra attendre un à trois ans pour mesurer la vague contentieuse qui pourrait naître avec cette nouvelle série de sanctions prises entre 2010 et 2014.»

Stéphanie Plasse

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