Malgré une large couverture internationale, les 4 marches néo-nazies ont provoqué peu de réactions

Cette année marque les 25 ans de l’indépendance des pays baltes. Cela fait aussi plus d’une décennie qu’ils sont membres à part entière de l’Union européenne et de l’OTAN. Si l’hypothèse était que ces développements allaient immuniser les sociétés de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie aux fléaux du fascisme, du racisme et de l’antisémitisme, les événements du mois dernier montrent clairement que cela n’a pas été le cas. Durant cette période, quatre marches néo-nazies ultranationalistes ont eu lieu dans les pays baltes. J’ai assisté à chacune d’elle en tant que contre-manifestant et observateur, et je crois qu’il est important de partager ce que j’ai vu pour tenter d’évaluer la signification et les dangers potentiels posés par ces événements.

Renouveau du nazisme dans l’indifférence générale

La première question concerne le statut juridique de ces marches. Les marches en Lettonie (à Riga le 16 mars, en honneur des anciens combattants SS lettons) et en Lituanie (à Kaunas le 16 février et à Vilnius le 11 mars, soit les deux jours de célébration de l’indépendance lituanienne), sont fort controversées depuis leur toute première édition en Lettonie dans les années 1990 et en Lituanie en 2008. Dans chacun des cas, les tribunaux locaux ont décidé d’autoriser les marches au nom de la liberté d’expression. Toutes les tentatives de les faire interdire, ou du moins de les tenir à l’écart du centre-ville, y compris mes appels cette année aux maires des deux villes lituaniennes, n’ont pas donné de résultats concrets.

La deuxième question concerne les sponsors des événements ainsi que le nombre et l’identité des manifestants. À l’exception de l’Estonie, où la marche a été organisée par le mouvement de jeunesse “Éveil bleu” étroitement lié au nouveau parti conservateur populaire (EKRE), les organisateurs en Lituanie (l’Union de la Jeunesse nationaliste) et en Lettonie (l’ONG ultranationaliste Daugavas Vanagi et les Combattants lettons pour la liberté) ne sont pas connectés officiellement à un parti politique spécifique, même s’ils s’identifient clairement avec ceux à l’extrême droite de l’échiquier politique. Dans le passé, des ministres ont participé à la marche des anciens combattants SS en Lettonie, mais depuis l’annexion de la Crimée, le gouvernement a interdit que ses ministres y participent. L’an dernier, cela a coûté son poste à un ministre. Cette année, un assez grand nombre de députés du parti de droite “Tout pour la Lettonie” ont défilé, et les ministres de la Justice et de la Culture ainsi que le président du parlement Ingrida Murnietse, ont assisté à un service commémoratif pour les SS dans un cimetière.

Le nombre de manifestants a varié de 200 à Tallinn, 500 à Kaunas jusqu’à 1500 à Vilnius et à Riga. En Estonie, l’écrasante majorité des manifestants étaient des jeunes, dont la plupart semblaient être des élèves du lycée, alors qu’en Lituanie, la foule était composé surtout de jeunes adultes. C’est à Riga qu’il y avait le plus de partisans âgés. Il faut se rappeler, cependant, que pour chaque personne présente à la marche, il y a au moins plusieurs centaines de Lituaniens, de Lettons et d’Estoniens pleinement d’accord avec leur idéologie. Ainsi, par exemple, lors des élections législatives en Estonie plusieurs jours après la marche, EKRE a obtenu sept sièges (sur 101), recueillant plus de 46.000 votes.

Bien que chaque marche ait été différente, deux thèmes dangereux étaient dominants dans presque tous les cas. Le premier était l’hostilité envers les minorités locales. Les Polonais, les Russes et les Juifs en Lituanie, et ces deux derniers groupes en Lettonie et en Estonie. Le deuxième thème commun était le soutien aux efforts actuels dans une grande partie de l’Europe de l’Est post-communiste pour 1) réécrire le récit accepté de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah afin de masquer, ou du moins minimiser, les vastes crimes commis par des collaborateurs nazis locaux et 2) pour promouvoir l’équivalence entre les crimes nazis et communistes. Ils insistent pour que ces derniers soient classifiés (à tort) comme victimes d’un génocide et glorifient ceux qui ont combattu contre les Soviétiques, qu’ils aient assassinés ou non des Juifs pendant la Shoah.

Ainsi, d’anciens SS lettons sont dépeints comme des combattants de la liberté qui ont ouvert la voie à l’indépendance, même si les nazis n’avaient absolument pas l’intention d’accorder la souveraineté à aucun des pays baltes. Les marcheurs à Kaunas portaient une immense banderole avec l’image de Juozas Ambrazevicius, le Premier ministre d’un gouvernement lituanien provisoire de courte durée, qui a publiquement soutenu le Troisième Reich et les mesures létales à l’encontre des Juifs lituaniens. Dans les deux villes du pays, de nombreux manifestants portaient des croix gammées, et à Vilnius, un grand drapeau SS noir était affiché, bien en évidence. C’est seulement en Estonie que ce thème était absent. Mais un rassemblement international de SS est tenu chaque année dans ce pays lors d’une journée spéciale en été pour les anciens combattants de toute l’Europe, y compris ceux des pays dans lesquels de telles réunions sont interdites par la loi.

La dernière question porte sur les réactions aux marches et aux manifestations dans les pays baltes et à l’étranger. À cet égard, malheureusement, à l’exception de Riga, où environ deux douzaines de manifestants ont symboliquement « fumigé » le monument de la Liberté après la marche SS, il y avait très peu de contre-manifestants aux autres événements. Ils étaient douze à Kaunas, j’étais le seul à Tallinn et ils étaient une vingtaine à Vilnius. La quasi-totalité d’entre eux sont venus grâce aux efforts dévoués du professeur Dovid Katz, éditeur du site www.defendinghistory.com et seule voix juive locale active dans les pays baltes contre les distorsions de l’histoire de la Shoah. La seule bonne nouvelle est que pour la première fois depuis que Faina Kukliansky occupe le poste de présidente de la communauté juive lituanienne, elle a publié une déclaration officielle dénonçant la marche à Vilnius (après avoir ignoré celle à Kaunas) et plusieurs représentants de la communauté ont participé à notre contre-manifestation. Seules les communautés juives de la Lettonie et de l’Estonie, ainsi que les ambassades israéliennes à Vilnius, Riga et Helsinki sont demeurées silencieuses.

En dehors de la région, à l’exception de la Russie, il n’y a pas eu de réactions officielles, même si les marches ont fait l’objet de nombreux articles dans les médias, en particulier celle de Riga, qui a reçu une très large couverture partout dans le monde occidental. La question est donc évidente: pourquoi il n’y a eu pratiquement aucune réaction? Je suppose que les critiques incessantes, quoique dans une large mesure justifiées même si souvent exagérée, de Moscou à l’égard de ce phénomène ont peut-être fait taire celles de l’Occident, qui aurait dû s’y opposer en tout premier lieu, mais qui n’a jusqu’à présent pas réussi à le faire.

Dr. Efraim Zuroff est le chef des chasseurs de nazis du Centre Simon Wiesenthal et le directeur du bureau du Centre en Israël. Son livre le plus récent est : Opération Dernière chance ; la quête d’un homme à traduire les criminels nazis en justice.

Son site web est : www.operationlastchance.org et il peut être suivi sur Twitter @EZuroff

i24news

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
gabriel Taieb

Article très instructif dont je connais les thèmes depuis longtemps, car en effet j’habite en Russie, un pays qui vu exterminer plus de 15 millions de civiles (le nombre complet des victimes du nazisme en Russie autour de 22 millions) et qui se souvient. Justement, à ce sujet, je voudrais documenter un peu plus cet article sur ce sujet.
En Hongrie le parti néo-nazi est également important, bien qu’il n’atteigne pas les 10% de suffrage, par contre l’Ukraine est devenu le berceau du nazisme: les deux partis néo-nazi « Svoboda » et « praviy sektor » sont légalement représentés au parlement ukrainien, le FN de Yatsénouk, lui, qui atteint les 24% de suffrage, est un parti analogue à celui des Soral et co(n) en France antisémite et extrêmiste. A Kiev on assiste régulièrement à des bastonnade d’opposants, des intimidations qui arrivent même au parlement. Sans compter les défilés au flambeaux avec leur mers de drapeaux nazis, leurs chants faschistes et les menaces de mort aux opposants. Il est à ce sujet notoire que les drapeaux des deux partis su-cités représentent une forme simplifiée de la croix gammée. Ce sont ces emblèmes que les journaux télévisés en Allemagne, en Suisse et en Italie ont dévoilé aux téléspectateurs et aux médias. Dans un reportage de la chaine allemande ARD on pouvait voir clairement des casques allemands avec l’insigne SS ce qui a profondément marqué les investigateurs. Ce sont précisement les deux divisions « Azof » et « Donbass » qui ont commis en Ukraine de l’Est, les crimes de guerre en visant les habitations de civils, les hôpitaux et les écoles, alors que l’armée ukrainienne était incapable de frapper la résistance. Ce sont encore ces nazis qui ont brûlé vifs une cinquantaine (peut-être même plus) de civiles dans la maison du syndicat d’Odessa, les « bonnes vieilles méthodes nazies » dira-t-on. Jusqu’à présent, aucun coupable n’a été trouvé et le gouvernement tente d’enterrer l’affaire. A l’heure actuelle le gouvernement réhabilite les bataillons SS ukrainiens qui se sont rendus célèbres pendant la seconde guerre mondiale par leur traque et leurs massacres de Juifs et de Polonais, en Pologne, en Lituanie en Estonie et en Ukraine. Mais surtout, ce sont eux qui formaient le personnel zélé des camps de la mort Sobibor et Auschwitz (car même les allemands étaient répugnés par ce « travail ») et aujourd’hui on dresse des statues pour ces monstres et leur chef Bandéra, mais tout cela n’empêche pas l’UE de soutenir ces criminels. En tout l’image de l’Ukraine et des pays baltes est identique.
J’ai vu en direct l’une de ces marches à Vilnius, où il y avait une importante délégation ukrainienne. L’un de ses leaders a été interviewé par la télé russe (sous incognito!) et celui-ci a affirmé, haut et clair, que  » tous les malheurs du monde étaient dû au complot des « Djidi » et des « maskali » (lire « joupins et russki »).
En ce qui concerne le silence de l’UE et des USA, la réponse est évidente: on ne peut pas condamner son meilleur allié contre les méchants russes! Mieux vaut fermer les yeux.