Iran, Irak, Syrie, Liban, quatre pays alliés par leur majorité chiite, qui mijotent dans un enfer sans fin où ils risquent tous les jours les foudres des ennemis qu’ils se sont désignés. Ou ils renoncent à leurs funestes projets pour lesquels ils ont investi jusqu’aux derniers kopecks, ou ils décident le suicide collectif pour accélérer leur perte définitive. Parmi les autres satellites le Hamas à Gaza, les Houthis au Yémen, qui entrainent leur population dans un abîme de souffrance et de malheur. Cette souffrance n’a rien de rédempteur, elle n’est que l’expression d’une haine gratuite qui se retourne contre ceux qui en ont fait leur foi.
Du Liban à l’Iran, la déchéance de l’“axe de la résistance”.
Les pays formant le “croissant chiite” sont tous dans un triste état. Pour L’Orient-Le Jour, la responsabilité de Téhéran n’est certes pas totale, mais elle est importante, surtout parce qu’il restreint grandement les possibilités d’une sortie de crise.
L’“autoroute chiite” a perdu de sa superbe. La montée en puissance de l’Iran en Irak, en Syrie et au Liban au cours de cette dernière décennie avait permis à la République islamique de voir son vieux dessein de relier Téhéran à la Méditerranée via Bagdad, Damas et Beyrouth prendre forme. Et de se rêver à nouveau comme un empire dominant quatre capitales arabes (aux trois autres, il faut ajouter Sanaa [au Yémen]) au dire des responsables iraniens.
Mais l’illusion aura été de courte durée. Si bien que l’autoproclamé “axe de la résistance” ressemble désormais à un long et ténébreux tunnel dont on ne voit pas la fin. Au sens propre comme au figuré, en témoigne la crise de l’électricité qui touche actuellement tous ces pays en même temps.
La domination iranienne n’a apporté ni prospérité ni stabilité. Elle s’apparente au contraire à une ombre étouffante qui vient surplomber tous les autres enjeux dans les pays concernés et rendre toute sortie de crise, dans ce contexte, illusoire.”
États faillis
Dans quel état seront le Liban, la Syrie et l’Irak dans cinq ans ? Et dans dix ans ? Impossible aujourd’hui ne serait-ce que prétendre répondre à cette question, à moins d’imaginer le pire. Les trois pays sont actuellement dans un trou noir dont personne ne peut ou ne veut les sortir. L’influence iranienne est loin d’être la seule cause de l’effondrement de ces États, dont les situations ne sont pas vraiment comparables.
Le Liban paye le prix de la montée en puissance du Hezbollah mais aussi de son impossible gouvernance et de la faillite de son système bancaire. La Syrie est entrée cette année dans sa dixième année de guerre, et si les Iraniens y ont joué un rôle majeur, le régime syrien reste le premier responsable de la destruction du pays. L’Irak est en guerre quasi continue depuis presque vingt ans, et après avoir connu la dictature de Saddam Hussein, l’occupation américaine, le régime de l’ancien Premier ministre Nouri Al-Maliki, l’offensive de l’État islamique (EI), il est désormais phagocyté par les milices chiites, la plupart d’obédience iranienne.
De Beyrouth à Bagdad, l’Iran ne peut être tenu pour seul responsable de la faillite collective des élites, de la corruption endémique qui y prévaut, de la fragilité intrinsèque des institutions. Si la République islamique s’effondrait demain, que le Hezbollah disparaissait, que les Iraniens quittaient le sol syrien et que les milices chiites qui leur sont affiliées étaient démantelées, le Liban, la Syrie et l’Irak ne se transformeraient pas soudainement en eldorado. Chacun d’eux est confronté à d’autres problématiques d’ordre existentiel et ne semble pas en mesure, pour le moment, d’y répondre.
Guerre civile ou big bang géopolitique
Toutefois, l’Iran non seulement a contribué à ébranler un peu plus tout l’édifice, mais il s’est en plus positionné comme le principal rempart à tout changement. De Téhéran à Beyrouth, l’“axe de la résistance” est avant tout celui de la contre-révolution.
La présence iranienne a un effet toxique. Elle dérègle les scènes politiques internes. Elle complique sérieusement les relations des pays qui la subissent avec leur environnement arabe, particulièrement les pétromonarchies du Golfe, et les place dans le viseur des sanctions américaines et des avions israéliens. Elle en fait des glacis, condamnés à risquer une guerre civile, si elle n’a pas déjà eu lieu, ou à attendre un éventuel big bang géopolitique pour espérer des jours meilleurs.
Comment construire en effet l’État libanais quand existe en son sein une milice qui est dans le même temps et en fonction des circonstances dans l’État, en marge de l’État et au-dessus de celui-ci ? Comment réintégrer la Syrie dans le giron arabe et espérer ainsi profiter des investissements des pétromonarchies du Golfe tant que les Iraniens sont de la partie ? Comment espérer que l’Irak sorte enfin de sa spirale de l’enfer quand la seule alternative aux milices pro-iraniennes est un clerc populiste et versatile, Moqtada Al-Sadr, qui ne semble pas encore avoir décidé s’il voulait coopérer ou combattre les obligés de Téhéran ?
Au sein de l’“axe de la résistance”, on mise sur la résurrection de l’accord sur le nucléaire pour tourner la page de cette terrible séquence et redonner un peu d’oxygène au projet de la moumanaa [mot arabe signifiant “rétivité” en référence à la notion de résistance]. La levée des sanctions pourrait effectivement libérer des fonds à destination des supplétifs, mais elle ne changerait pas fondamentalement la donne. La vérité, c’est que l’Iran n’a pas grand-chose à offrir aux pays sur lesquels il tente d’exercer sa domination. Et qu’à moins d’être prêt à faire d’importantes concessions en la matière, l’histoire risque malheureusement de se terminer dans le sang.
Courrier International.