Jenny Leccoat, La clandestine de Jersey. Mercure de France, 2022.

Ce roman est si attachant pour la bonne raison qu’il s’inspire de faits réels. Et que l’histoire qu’il relate ne survient pas tous les jours. Un mot pour brosser le décor : une jeune fille juive a dû quitter la ville de Vienne après l’Anschluss et l’entrée des troupes hitlériennes dans la capitale autrichienne. Elle a trouvé refuge dans une ile anglo-normande, Jersey, sans se douter que les Allemands allaient y surgir, par malheur. Le roman excellemment bien traduit nous entraîne dès les premières pages in medias res : cette paisible île, coupée du reste du monde et ne faisant jamais parler d’elle se retrouve envahie et bombardée sans pitié par les avions en piqué de la Luftwaffe… Les habitants qui attendent avec angoisse la venue des troupes ennemies ne comprennent pas bien ce qui leur arrive mais une personne se fait bien des soucis, celle-là même qui se croyait enfin à l’abri, se retrouve à portée de main des Nazis qui font la chasse aux juifs partout où ils se trouvent. Que va-t-il arriver à notre clandestine de Jersey ?

Une rencontre extraordinaire, absolument imprévue mais parfaitement humaine dans une époque que la guerre a rendue inhumaine ; la survenue de sentiments qu’on n’espérait plus en temps de guerre et d’anéantissement du peuple juif partout en Europe occupée. L’héroïne du roman se nomme Hedy et se retrouve coincée dans île où elle avait cru échapper aux Nazis.

Fidèles à leurs habitudes criminelles e sinistres, les Allemands procèdent à un recensement de la population, en ayant à l’esprit la chasse aux juifs…l’héroïne qui porte entre autres, le nom de famille Goldberg, se voit contrainte de se faire recenser et de répondre à la question vitale suivante : êtes vous juive ? Ce qui signifierait, si la réponse était positive, l’ éviction de toute vie sociale , et même l’impossibilité de gagner sa maigre pitance… Malgré toutes ses dénégations, la jeune femme est recensée comme juive.

A court de moyens, ayant dépensé toues ses économies, la jeune femme décide de répondre favorablement à une embauche de traductrice anglais / allemand, donc d’entre au service au service des Nazis. Quel retournement de situation ! Mais le destin n’est pas si défavorable à la jeune juive puisqu’un sympathique lieutenant de la Wehrmacht tombe follement amoureux d’elle, au premier coup d’œil. Il se rapproche de la jeune traductrice et l’invite à dîner. C’est lui qui apporte les victuailles et les boissons. Mais cette première fois n’est pas la bonne. Les deux jeunes gens se heurtent mais ne rompent pas vraiment. On se rend compte que ce ne sera pas facile pour ces deux êtres humains que tout sépare… Mais l’affaire ne s’arrête pas là. C’est une simple entrée en matière qui parle d’une relation qui prendra du temps avant de s’installer, avant que l’un et l’autre ne se dépouillent de leur appartenance, de leur histoire, de leurs peuples respectifs. On peut presque parler d’amour rédempteur…

Mais, c’est un bel exemple de sacrifice individuel qui prouve à la jeune femme la sincérité des sentiments de cet officier allemand à son égard. L’esprit germanique est réputé pour son esprit de système et sa minutie. Un sous officier très zélé découvre qu’il manque des bons d’essence car le carburant est rationné ; il ignore que c’est Hedy qui les a subtilisés et il lance une enquête. Voyant que Hedy devient soudain pâle, il se déclare comme l’auteur de cette irrégularité, ce qui lui vaudra deux semaines d’arrête de rigueur car un rapport est transmis au haut commandement. Cette spontanéité permet aux deux êtres de s’aimer et de se faire confiance. Et cela montre aussi que les généralisations sont toujours abusives : ce jeune lieutenant allemand, officier d’une armée d’occupation n’est pas nécessairement un être mauvais. Une lueur d’humanité et de solidarité humaine peut vivre dans les lieux les plus inattendus. Surtout que la bénéficiaire de cette auto-accusation est une personne juive. L’amour a donc eu raison de la haine.

Toutefois, lorsque Hedy annoncera à son amoureux qu’elle est vraiment juive, un certain raidissement apparaît. Le jeune lieutenant, Kurt de son prénom accuse le coup et l’on parle même de ce que les Nazis appelaient, die Blutschande (la honte du sang), c’est ainsi qu’on nommait les relations intimes entre des juifs et des aryens, ou prétendus tels…

Mais sans dévoiler le dénouement de cette belle histoire, on peut dire qu’elle est porteuse d’un message d’espoir. A l’image de ce couple apparemment antagoniste, la guerre a cédé face à la paix, et la haine face à l’amour.

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires