Jean-Pierre Cabestan, Demain la Chine : Guerre ou paix ? (Gallimard, 2021)

par Maurice-Ruben HAYOUN

Voici un ouvrage qui est à la fois passionnant et inquiétant, eu égard au sujet dont il traite avec compétence et mesure. Sans affoler les populations mais sans minimiser le danger qui menace : une Chine de plus en plus conquérante, d’une ambition dévorante, qui a multiplié par trois ou quatre son budget militaire et qui, par les routes de la soie, entend ne plus respecter aucune chasse gardée.

On l’a compris,  nous vivons le rapprochement à grands pas d’une guerre froide d’un genre nouveau mais bien plus dangereux que celle opposant les USA à l’URSS. Les Chinois ambitionnent désormais d’être l’unique hyperpuissance et de déclassifier les Américains comme première puissance militaire et commerciale. Et ils proclament partout cette ambition qui reste à leur portée, surtout depuis qu’ils se sont donnés un leader à vie, Xi Jinping dont la pensée politique fait désormais autorité et constitue la lecture obligatoire de tous ceux qui possèdent une parcelle d’autorité dans l’empire du milieu…

Une remarque du Président Jo Biden montre à l’évidence que son pays prend cette menace chinoise très au sérieux ; en sortant d’une réunion avec son cabinet sur ce défi chinois lancé à l’Amérique, il a dit : ils vont nous écraser si nous ne faisons rien…

L’auteur de ce livre nous rappelle le fameux piège de Thucydide dans lequel risque de tomber les deux concurrents : la guerre entre deux puissances nucléaires ! La puissance ascendante, la Chine, concurrence la puissance bien établie, les USA, et cela nous rappelle les causes du conflit armé entre Athènes et sa rivale Spartes. Certes, les USA creusent encore l’écart mais guère plus vite que les progrès des Chinois pour les rattraper.

L’objet de ce livre est de déterminer si l’on peut échapper à ce piège de Thucydide ou si la confrontation armée entre les deux protagonistes est inéluctable… De prime abord, les forces en présence sont dissemblables : les Chinois ont l’avantage du nombre, l’aide d’un régime autoritaire pour ne pas dire dictatorial, le système du parti unique, l’absence des libertés fondamentales et de démocratie en général ; mais il y aussi le revers de la médaille : ce régime communiste est un colosse aux pieds d’argile, il suffit d’une contestation sociale suffisamment forte et bien organisée pour que tout le système s’écroule comme un château de cartes. Le géant chinois semble menaçant mais sa robustesse n’est guère assurée. Il suffirait que le combat pour les droits de l’homme et pour les libertés civiques se développe fortement pour qu’il perde de sa superbe. Sommes nous sûrs et certains que près de deux milliards d’hommes accepteront, sans bouger, le mode de vie qu’on leur impose depuis des décennies ? Et puis, il y a les surprises d’internet et des réseaux sociaux qui ne sont pas contrôlables à cent pour cent… Autant de cartes que les USA pourraient utiliser pour réduire la Chine sans tomber dans le piège de Thucydide…

La Chine souffre aussi d’une autre faiblesse qui pourrait être décisive dans son recul face aux USA : la voracité politique de Xi qui s’est propulsé à la tête de tous les leviers de commande, notamment militaires, de son pays. Désormais, rien d’important ne peut se décider en Chine sans son aval. Certes, le nationalisme chinois peut, un certain temps, s’accommoder d’une telle personnalité superpuissante, incarnation d’un renouveau national tant attendu, mais cela comporte aussi des risques. N’oublions pas que pour arriver à cette domination sans discussion, Xi a dû évincer, éliminer bien des rivaux et des envieux, notamment dans le développement industriel mais aussi militaire de son pays. Bien des dirigeants communistes locaux, susceptibles de lui faire de m’ombre, ont été neutralisés, y compris l’ancien chef de l’armée, aujourd’hui derrière les barreaux, accusé d’avoir vendu les promotions. Vu son omniprésence, Xi serait rendu responsable de la moindre défaite ou catastrophe qui surviendrait même sans qu’il y soit pour quelque chose. C’est toujours le piège de Thucydide mais d’un autre genre…

Nous lisons ici un chapitre extrêmement bien documenté sur le comparatif des arsenaux des deux pays : les USA sont largement en avance mais la Chine, peu à peu, a tendance à les rattraper… C’est le cas des ogives nucléaires, des porte- avions et d’autres chasseurs de nouvelle génération (F-35 furtifs).

L’auteur de ce livre pense que la raison finira par l’emporter et que le danger d’une conflit armé ne s’avérera point ; mais on doit tempérer cette analyse quand on compare les budgets militaires respectifs, notamment pour ce qui est de la marine de guerre car la Chine exerce des pressions de plus en plus agressives sur ces voisins dans des zones dites grises ; elle veut montrer que cet environnement est le sien et que les USA n’ont rien à y faire. On pense à des pays comme l’Inde, l’Australie, la Corée du sud, les Philippines, et le Japon, lequel a sensiblement renforcé ses moyens de défense et ses alliances militaires avec les États- Unis d’Amérique. Ce qui pourrait tempérer la tension ambiante, ce sont les flux financiers et commerciaux car la Chine est le premier partenaire commercial dans la région.

Un dernier détail : M. Cabestan donne des statistiques concernant la Chine aux yeux de ses pays voisins : la tendance est à la méfiance et à la défaveur, surtout depuis l’accession de Xi au pouvoir. On peut en déduire que faute de changement de leadership ou de politique, le voisinage de la Chine sera sur la défensive.

Il est intéressant de parcourir les débats et les argumentations concernant la vraie direction de la diplomatie chinoise actuellement : tout porte à croire que les Chinois veulent une ascension paisible, dans le calme, sans conflit armé. C’est la fameuse théorie du vaincre sans combattre… Mais derrière ce visage souriant se cache une face grimaçante, évoquée par les plans sans cesse plus menaçant de l’armée chinoise. Au point de lire chez certains universitaires ou thuriféraires du régime le conseil de s’en prendre à l’ile rebelle de Taiwan avec violence. Ce qui provoquerait immédiatement une intervention des USA. Or, d’après ce que nous lisons, c’est Xi qui semble faire de cette réunification du pays un préalable non négociable. Tant que Taiwan résiste, la nation chinoise ne sera pas réunifiée, dit-il. Mais des deux côtés de la barrière, on trouve des modérés et des va t en guerre qui jugent que le conflit armé est inéluctable.

Au terme de longues analyses comparatives entre différentes opinions, l’auteur parvient à la conclusion que la réponse ne saurait être sûre à cent pour cent car certaines analyses militent pour un déclenchement des hostilités tandis que d’autres options optent pour une formule plus soft. M. Cabestant pense, cependant, que c’est la prudence qui l’emportera même si l’armée chinoise s’adonne à un Kriegsspiel destiné à prendre d’assaut Taïwan… Certains stratèges communistes pensent que le moment n’est pas encore venu ; en revanche, certaines manœuvres d’intimidation comme le blocus partiel de l’ile, le viol de son espace aérien, de grandes gesticulations militaires dans le golfe de Formose etc…, seraient plus efficaces et maintiendraient la tension mais à un faible niveau afin de ne pas provoquer de  réaction US trop violente… Certains stratèges chinois pensent pourvoir en finir avec l’ile rebelle en moins d’une semaine, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps pour une mobilisation suffisante in situ de l’US Army.

Il est indéniable que c’est la Chine de Xi qui pratique une politique d’expansion et d’impérialisme vis-à-vis de ses voisins. Visiblement, l’importance donnée à son armée le prouve. La Chine de Xi veut accéder au rang d’hyperpuissance, détrônant ainsi les États Unis d’Amérique.

Monsieur Cabestan ne dit pas que la guerre entre les deux grandes puissances est pour demain mais si quelque chose ne change pas, le piège de Thucydide finira par se refermer, entraînant les deux grandes puissances dans un conflit armé.

Après la lecture attentive de ce beau livre, j’ai enfin compris pour quelles raisons l’Amérique du président Jo Biden veut en finir avec l’Afghanistan et même tout le Moyen Orient afin de fixer le péril jaune dans des limites acceptables. Que deviendrait l’Occident si c’était la Chine qui devait l’emporter…

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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Asher Cohen

En 1939, l’Allemagne est la troisième puissance industrielle du Monde, derrière les États-Unis et l’URSS. Il y a une crise de surproduction industrielle mondiale, et face à un chômage massif, Hitler ne voit pas d’autre solution que de pratiquer l’impérialisme allemand sur le modèle de l’impérialisme colonial franco-britannique, avec les concepts d’hertzland et de lebensraum, et ainsi asservir les peuples dits inférieurs d’Europe à l’industrie allemande. Pour cela, il doit soumettre l’URSS puis les États-Unis, par la guerre, ce qu’il n’a pas manqué d’essayer de faire, mais il a fini par perdre.

La Chine approche cette situation, mais elle a actuellement un taux de chômage de 3,5% et un taux de pauvreté de 0,5% (à comparer avec le chômage massif et les 10millions de pauvres de la France). Une fois le marché intérieur saturé, l’industrie chinoise n’a pas d’autre choix, pour maintenir l’emploi et le niveau de vie, que d’écouler sa production à l’étranger. Pour cela, la Chine doit asservir les autres peuples à son industrie en pratiquant l’impérialisme mondial, et donc soumettre les États-Unis. Le moyen d’imposer sa volonté sur un autre peuple s’appelle la guerre au sens de Clausewitz. Je ne vois-pas d’évolution possible autre que la guerre, et c’est pourquoi la Chine a répliqué aux restrictions que lui a imposées Trump pour le marché américain, par la guerre bactériologique qui a déjà tué plus de 600.000 américains. La troisième guerre mondiale actuelle n’est pas nucléaire mais bactériologique et elle va s’intensifier. Maintenant, comment Biden va-t-il contre-attaquer la Chine, alors qu’il a déjà 600.000 morts, et que son ennemi chinois est déjà la première puissance économique mondiale ?