Guillaume, 131e victime du 13-Novembre, est mort de ses blessures psychologiques

Blessé psychiquement, victime du syndrome post-traumatique, Guillaume a peu à peu sombré jusqu’à se donner la mort, deux ans après l’attaque du 13-Novembre.

Ils sont trois à venir raconter Guillaume à la barre. D’abord le papa, assis, comme accablé, puis son premier fils, Christophe, qui se tient debout à ses côtés. Et ensuite le deuxième, Frédéric, qui vient lire les mots de leur mère. Guillaume était le troisième, le petit frère, le benjamin. Sur le fond de la salle, il y a une photo projetée du « Guillaume d’avant » : des yeux rieurs derrière de fines lunettes, un air doux. Il pose devant les pyramides du Louvre, un jour de soleil, en 2014.

Guillaume est la 131e victime des attentats du 13-Novembre. Aucun parent n’a envie de numéroter son enfant perdu. « Pour nous, ce chiffre est important », explique pourtant Christophe. Il est le signe que, dans les bilans officiels, relayés par la presse, personne n’oublie Guillaume, qui s’est suicidé le 19 novembre 2017, juste après le deuxième « anniversaire » de l’attaque.

Leur fils et frère était un calme, un scientifique sérieux qui « sortait de lui-même » lors des concerts, ses lieux-cocon où il aimait s’épanouir, sa parenthèse loin des soucis de la vraie vie. Jusqu’à la soirée fatale où son refuge préféré devient un guet-apens. Son père ne peut que relater le 13-Novembre de Guillaume, tel que ce dernier le lui a raconté quelques heures après les faits, avant de se refermer sur lui-même et de garder ses souvenirs traumatiques pour lui seul.

Ce fut : voir une jeune fille morte, les yeux fixés sur le plafond, mais aussi sentir la main d’une jeune femme dans la sienne, cherchant à le rassurer alors que son corps était pris de tremblements incontrôlables, ce qui pouvait les faire repérer.

« Si elle écoute, nous la remercions pour ce geste d’humanité en plein chaos », dit son père.

Guillaume se lève et, suivant un mouvement de foule, tente de s’enfuir. Ce que son père raconte ensuite éclaire le cauchemar psychologique traversé par Guillaume, sorti du Bataclan sans égratignure physique :

« Mais les tirs reprennent. Il se jette au sol et atterri sur une “boule humaine”, comme une mêlée de rugby : un amas de corps. Il essaie de cacher sa tête dans les corps pour se protéger. Il bascule en avant et tombe sur d’autres corps. Puis il se réfugie dans la fameuse pièce où tous se sont barricadés. Il est resté enfermé deux heures derrière la porte. Il a tout entendu. Ce qui l’a marqué, ce sont les cris des blessés, en plus de l’angoisse d’être découvert. »

Guillaume, au moment de son évacuation, regardera la fosse macabre. Quand son père et son frère viennent de chercher, il est « glacé et exténué ».

Descente aux enfers

Commence « la vie d’après ». Une longue descente aux enfers devant ses parents, impuissants, malgré toutes leurs tentatives pour lui venir en aide. Son père évoque ces nombreuses victimes « sans blessures apparentes », dont beaucoup sont venues relater à la barre leur « culpabilité du survivant », leur « syndrome post-traumatique » envahissant (hypervigilance, cauchemars), leurs idées noires jusqu’à envisager le suicide. L’histoire de Guillaume donne un écho à ces appels au secours entendus depuis le début du procès, par toutes ces personnes incapables de travailler six ans après, incapables de sortir de chez elles, rendues à une survie a minima.

Guillaume n’avait jamais eu de troubles psychiatriques auparavant. « Il a peu à peu changé de vie. Plus de cinéma, plus de concerts. Il évitait les opportunités que lui proposaient ses amis. Il disait : “Maintenant, ma vie se réduit à maison, boulot, dodo.” »

Des hurlements en pleine nuit ; une crise d’angoisse au travail qui le mène à réduire son activité ; une attaque de panique à Beaubourg… Petit à petit, Guillaume s’enfonce. Il ne peut plus sortir dans la rue, ni même de la maison de ses parents. Il devient obsédé par sa santé, multiplie les examens médicaux. Il se croit malade.

« Sans blessures apparentes »

« A compter de juillet 2017, son syndrome post-traumatique s’est compliqué et transformé en délire hypocondriaque mêlé de dépression majeure », dit son père presque cliniquement. Derrière ce langage de psychiatre, des mots posés par des sachants qu’il s’est appropriés, il explique son désarroi de parent, incapable de faire entendre raison à son enfant parti ailleurs, loin. Guillaume est hospitalisé. Il ne quittera plus les services de psychiatrie.

Malgré la crainte des parents qui alertent les médecins d’un risque suicidaire, le jeune homme parvient à mettre fin à ses jours. Dans la lettre qu’il laisse, il parle de son « cancer de l’œsophage » que personne ne veut soigner.

« J’ai été berné », « Je n’ai rien vu venir », diront les médecins.

« Son histoire me pousse à vous dire que ces blessures invisibles devraient être mieux comprises et mieux appréhendées, conclut son père. Ces blessures psychiques sont si graves qu’elles peuvent conduire au suicide. Certaines victimes s’en sortent mieux que d’autres, et heureusement. Mais pour celles qui vont mal et souffrent, ce serait bien que l’Etat prenne la mesure de la situation. »

Son frère Christophe se souvient de leur enfance dans une banlieue pas préservée de la violence. Lui dit s’y être habitué. Guillaume, jamais.

« Il en était révolté. Je pensais qu’il n’avait pas les épaules. Mais est-on faible parce qu’on ne supporte pas la violence, ou parce qu’on finit par l’accepter ? »

Frédéric lit enfin la lettre de leur mère, qui n’a pas eu la force de témoigner: « Guillaume a tout fait pour surmonter son stress. Il était un blessé de guerre. Toutes les victimes sont des blessés de guerre. Elles doivent faire l’objet d’un traitement spécifique. […] Le terrorisme ne l’a pas tué le soir du 13-Novembre mais le terrorisme l’a tué à petit feu. »

Par Cécile Deffontaines  Publié le 26 octobre 2021 à 20h42  www.nouvelobs.com

La salle de concert du Bataclan à Paris, le 13 novembre 2020. (Lionel Urman/Sipa USA/SIPA)La salle de concert du Bataclan à Paris, le 13 novembre 2020. (Lionel Urman/Sipa USA/SIPA)

 

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andre

Peut-etre ces recits ameneront-ils une partie des medias francais a comprendre l’horreur qu’est un assassinat terroriste de masse, meme quand il est commis ailleurs ?
ou continueront-ils a proclamer, en l’absence totale de toute consideration pour les victimes, que le principal reste que l' »incident » n’entraine pas de vague d’islamophobie ?