Analyse des Élections Jordaniennes de 2024 : Une Victoire Historique pour les Frères Musulmans
Les récentes élections législatives en Jordanie ont marqué un tournant dans l’histoire politique du pays. En effet, malgré un taux de participation modeste, le Front d’Action Islamique (FAI), bras politique des Frères Musulmans, a remporté une victoire retentissante, affirmant sa position en tant que force politique majeure au sein du Royaume hachémite. Avec 31 sièges obtenus sur les 138 de la Chambre des représentants et plus de 500 000 voix, les islamistes ont atteint un sommet sans précédent.
Cette victoire est d’autant plus impressionnante que le FAI avait, lors des élections précédentes, limité sa présence à dix sièges, tout en boycottant d’autres scrutins. Ce retournement de situation souligne une volonté claire du parti de réintégrer le processus politique après avoir initialement montré des réserves face aux réformes électorales passées.
Le scrutin de 2024 a été organisé dans un cadre réformé, introduisant deux votes distincts pour les électeurs. D’un côté, ils devaient choisir leurs représentants locaux, répartis sur 97 des 138 sièges, tandis que de l’autre, 41 sièges étaient disputés au niveau national. Cette structure a permis une meilleure représentation des différents partis au niveau national. Parmi les 36 partis enregistrés pour ce scrutin, seuls deux se sont présentés aux élections locales, accentuant ainsi l’importance du vote national.
Le Front d’Action Islamique a su capitaliser sur cette nouvelle dynamique, remportant 17 sièges au niveau national et 14 au niveau local. Cette répartition stratégique de leurs victoires démontre non seulement leur capacité à mobiliser un large électorat, mais aussi à pénétrer divers segments de la population jordanienne, tant au niveau local que national.
Les résultats ont également montré une diversité accrue au sein du Parlement. Pour la première fois, 27 femmes ont été élues, avec 18 d’entre elles bénéficiant du quota minimum imposé pour garantir une présence féminine à la Chambre des représentants. Ce quota, en plus de l’abaissement de l’âge minimum pour les candidats, désormais fixé à 25 ans, reflète les efforts du pays pour renouveler et diversifier sa classe politique.
Outre le FAI, d’autres partis ont également réussi à se frayer un chemin dans ce paysage politique en mutation. Le parti nationaliste Al-Mithaq Al-Watani, avec 21 sièges, et le parti de gauche Taqaddum, avec 8 sièges, ont fait des avancées significatives. Toutefois, une grande partie des sièges restants a été captée par des candidats indépendants et des petits partis, soulignant la fragmentation et la variété des opinions politiques au sein du royaume.
Malgré la victoire des Frères Musulmans, le faible taux de participation reste une ombre au tableau. Avec seulement 1,6 million de votants sur les 5,1 millions d’électeurs inscrits, le taux de participation a atteint 32 %. Bien que ce chiffre soit en légère augmentation par rapport aux élections de 2020, où 29 % des électeurs s’étaient mobilisés, il reste faible en comparaison des élections précédentes dans la région.
Les analystes nationaux ont néanmoins salué le déroulement du scrutin et ses résultats, considérant ces élections comme une preuve de la résilience du système démocratique jordanien. Pour eux, le soutien massif au FAI et les voix obtenues par d’autres partis nationalistes ou de gauche témoignent de l’attachement du peuple jordanien aux causes palestinienne et panarabe, un élément central du débat politique dans le royaume.
Cependant, malgré l’importance de cette élection, il convient de rappeler que la Chambre des représentants n’est qu’une partie de l’architecture politique jordanienne. Le Sénat, qui constitue la chambre haute, est composé de 65 membres entièrement nommés par le roi, tout comme le gouvernement. Cela confère à la monarchie un contrôle significatif sur le processus législatif, limitant ainsi l’influence des partis élus, y compris le FAI.
Historiquement, les Frères Musulmans se sont positionnés comme des opposants résolus aux accords de paix avec Israël. Depuis les années 1990, ils ont régulièrement organisé des manifestations contre la normalisation des relations entre la Jordanie et Israël, tout en veillant à ne pas franchir certaines lignes rouges, notamment en ce qui concerne les critiques envers la famille royale hachémite.
Ce nouveau succès électoral pour le FAI intervient dans un contexte régional marqué par des tensions accrues, notamment avec la situation en Palestine. La chaîne Al-Jazeera, souvent perçue comme proche du Qatar et des Frères Musulmans, a souligné l’importance de cette victoire, la qualifiant de triomphe pour les défenseurs de la cause palestinienne.
Les élections jordaniennes de 2024 auront sans doute des répercussions profondes sur la politique du pays. La victoire des Frères Musulmans, bien que marquée par une faible participation, souligne une dynamique nouvelle dans le paysage politique jordanien. Le défi pour le royaume sera désormais de concilier cette montée en puissance de l’opposition islamiste avec les structures traditionnelles du pouvoir royal, tout en maintenant la stabilité et la cohésion sociale dans un contexte régional instable.
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