L’épreuve de vérité ? L’Etat islamique face aux risques de désertion des djihadistes dont il vient de diviser la solde par deux.


Selon des documents officiels de l’Etat islamique, récupérés par CNN, la pression exercée par la guerre oblige l’organisation à réduire de moitié les salaires de ses combattants. Une restriction qui peut s’avérer décisive pour le maintient des troupes.

 

D’après les informations de CNN, l’Etat Islamique se retrouve dorénavant contraint de diviser par deux la solde de chacun de ses combattants. Comment expliquer ce phénomène ? Que traduit-il de l’état du mouvement terroriste ? 

Alexandre Del Valle : Il est évident que les Russes en s’engageant dans le conflit syrien ont massivement frappé au portefeuille l’Etat islamique, notamment en bombardant les camions de pétrole et les raffineries avec l’aide des occidentaux. Avec le perte de contrôle de certains puits de pétrole, l’EI a subit un recul important dans des zones stratégiques qui a aussi entrainé une baisse des revenus. Nous pensons en effet que les salaires ont été parfois supprimés et réduits considérablement de nombreuses fois. Parallèlement, l’Etat islamique a augmenté toutes ses taxes, si bien que cela en devient un enfer.

Les militants sont moins payés, les djihadistes subissent des baisses de salaires, les femmes bénéficient d’allocations inférieures, et les commerçants et habitants sont écrasés par les impôts. Parfois, ils n’ont même plus accès à l’eau potable ! Leur confort de vie s’est nettement dégradé. Les moins convaincus expriment une démoralisation assez nette. Cette tendance est constatée par tous les services de renseignements.

Alain Rodier : Une note a effectivement été diffusée annonçant que la solde versée aux « fonctionnaires » (dont les combattants) de Daesh allait être divisée par deux. C’est la traduction d’un fait connu: les ressources de Daesh sont en diminution notable du fait de l’action des forces aériennes de la coalition. Il est un peu dommage que les Américains n’aient visé les convois de pétrole et des lieux de distribution d’hydrocarbures qu’après que les Russes ne l’aient fait eux-même. Ces derniers ont montré l’exemple et surtout ont démontré le rôle trouble joué par le gouvernement turc. La Turquie reste le seul pays qui a une partie de sa frontière en contact avec des forces de Daesh et Washington se désole que les autorités ne la contrôlent pas mieux! Globalement, les autres trafics sont en diminution parceque l’attention a été portée sur eux et surtout, sur les acheteurs potentiels. Cela dit, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour identifier les intermédiaires et les acheteurs finaux qui ont pignon sur rue. Si Daesh ne craint pas grand chose, ce n’est pas le cas de ses « clients », particulièrement dans le domaine des antiquités où les règles commerciales sont peu restrictives. Enfin, l’ « État » Islamique a perdu du terrain en Syrie et en Irak et donc contrôle moins de populations. L’ « impôt » prélevé rentre moins bien puisqu’il a moins de « contribuables ». Quant aux sommes colossales saisies dans des établissements financiers lors des différentes conquêtes, particulièrement en Irak, c’est un peu comme les héritages, ils s’épuisent petit à petit. Il faut dire que gérer un « Etat », ça coûte cher. La Choura (le conseil qui correspond à un gouvernement) a donc pris les mesures économiques qui s’imposaient.   

Faut-il s’attendre à ce que cette baisse de salaire provoque une série de défection au sein de l’Etat Islamique ? Qu’elle ralentisse le nombre d’arrivées ? Jusqu’où peut-on voir l’Etat islamique comme un groupe de mercenaires ?

Alexandre Del Valle : L’Etat islamique est en grande partie un groupe de mercenaire en Syrie, un peu moins en Irak. Ainsi, il va continué très probablement à régresser. Le djihadisme n’est pas mort pour autant, d’autres mouvements vont apparaître. C’est l’Etat islamique dans sa base territoriale historique qui est la Syrie et l’Irak qui subit des pertes et cela va être certainement au profit d’autres bases de l’Etat islamique situées de manière plus excentrée comme l’Afrique du Nord, notamment la Libye mais aussi la Tunisie. Nous pourrions également évoqué le Yemen et l’Arabie Saoudite où l’Etat islamique perce, même si Al-Qaida reste prépondérant.  

Le point de départ et de ralliement de ces groupes est bien entendue de nature idéologique : il s’agit de l’adhésion a un mouvement totalitaire. Le côté mercenaire apparaît ensuite comme une fidélisation. Il permet de motiver surtout les familles. Certaines d’entres elles ont pu encourager leurs enfants à être kamikaze par exemple, car des allocations étaient distribuées à leur famille, mais l’idéologie était malgré tout le point de départ. Plus que des partenariats, il s’agit en quelque sorte de sponsoring à dimension familiale. Ce n’est donc pas un mercenariat pur. Le mot mercenaire est à utiliser avec précaution.

Alain Rodier : Je ne pense pas que les activistes de Daesh quittent le mouvement parce qu’ils sont moins payés. Le syndicalisme n’existe pas dans cet « État ». D’ailleurs, en dehors de certains mercenaires, particulièrement caucasiens, les recrues ne viennent pas pour la solde mais pour une idéologie.

L’Etat islamique connait aujourd’hui un recul dans son nombre de recrutement, mais aussi des désertions. Ce signe clair de la faiblesse du mouvement peut-il impacter plus encore son image ? Comment expliquer ce recul général ?

Alexandre Del Valle : En Syrie surtout, des bases ont été bombardées et le nerf de la guerre a été touché, notamment par l’impossibilité d’échanger avec le reste du monde. Des frontières telles que la Turquie sont bloquées par la progression des Kurdes. Exporter des marchandises se révèle être de plus en plus compliqué. En outre, les bombardements de raffineries de pétrole et de camions qui transportent le pétrole ont fait très mal au portefeuille. L’EI avait comme mode opératoire le pillage. Il était condamné à s’étendre pour avoir toujours plus d’argent afin d’entretenir son modèle social. Dans la mesure ou il s’agit d’un état qui fait migrer des familles entière : il a besoin d’argent. Dès lors qu’il est privé d’une partie de ses apports financiers, il est obligé de faire des économies.

Reste, qu’avec les réserves qu’ils ont pillées, ils ont encore de quoi subvenir à leurs besoins pour les prochaines années.

Alain Rodier : Il est vrai que le nombre de volontaires étrangers est en (légère) diminution depuis des mois. Daesh est moins en « odeur de victoire » et les exactions commises commencent à être connues même par ceux qui refusent de regarder la vérité en face. Il ne faut pas oublier que très majoritairement, Daesh tue d’autres musulmans. Par ailleurs, l’ « État » islamique s’est doté d’une administration très pointilleuse qui déroute les volontaires étrangers venus chercher la « grande aventure ». Pire encore pour le mouvement, les défections d’islamistes radicaux venant d’autres mouvements (comme du Front Al-Nosra) semblent se tarir et même, dans certains cas, s’inverser. Cela dit, il convient de rester prudent car la propagande joue aussi du côté d’Al-Qaida (dont dépend le Front Al-Nosra). Une centaine de cas de responsables de Daesh au Yémen revenant dans le giron d’Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) en présentant leurs excuses au docteur al-Zawahiri pour leur égarement passager, ont été signalés.

Daesh a compris le danger. Les départs sont interdits et ceux qui se font prendre sont considérés comme des traîtres avec le châtiment qui va avec… Des exécutions de déserteurs auraient eu lieu à Mossoul et à Raqqa. Cela rappelle étrangement ce qui s’est passé lors de la défaite des nazis. Les traîtres étaient « impitoyablement punis ». Maintenant, je ne souscris pas à l’expression « recul général ». Daesh a encore de nombreuses ressources et ce n’est pas demain que Raqqa et Mossoul vont tomber comme l’affirment certains optimistes. Il est même capable de violentes contre-attaques comme ces dernieres semaines à Deir Ez-Zor en Syrie. Et bien sûr, il ne faut pas oublier les wilayats extérieures: Sinaï, Libye, Nigeria, zone Afpak, Extrême-Orient sans compter les attentats qui peuvent se déclencher à tout moment. Tous les pays de la coalition active en Syrie et en Irak sont des cibles potentielle et ouvertement désignées !

D’un point de vue très concret, ce recul de l’Etat Islamique profite-t-il à d’autres mouvement terroristes ? Lesquels ?

Alexandre Del Valle : Il est clair que ce recul profite notamment à Al-Qaida au Magreb islamique, en Irak et même en Afghanistan. Au même moment où l’Etat islamique régresse, Al-Qaida revient à la pointe. Par exemple, nous avons vu le retour d’AQMI et Mokhtar el Mokhtar qui est à l’origine des fameux attentats en Afrique de l’Ouest qui ont été extrêmement médiatisés.

Récemment encore, les attentats au Burkina Faso ont été un retour en force d’Al-Qaida au niveau mondial dans le cadre d’une concurrence avec l’EI. 

Forcement, en étant le concurrent juré de l’EI, Al-Qaida bénéficie de toute régression ou échec de l’EI qui était, jusque là, le numéro 1.

Qu’il s’agisse d’Al-Qaida branche historique ou d’AQMI, je crois qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot.

Alain Rodier : La nature a horreur du vide. En Syrie, le bénéficiaire est le Front Al-Nosra et les autres mouvements rebelles islamiques radicaux. Au Yémen, c’est AQPA. Au Sahel, Daesh n’est pas parvenu réellement à percer sauf au nord en Libye et au sud au Nigeria. Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et des groupuscules comme Ansar Dine ou le MUJAO restent les maîtres du jeu entre ces deux zones.

Encore une fois, Daesh n’est pas vaincu mais connaît un essoufflement sur son berceau syro-irakien. Il va le pallier par une intensification des opérations à l’extérieur. On le constate en Libye, dans la région du Lac Tchad, au Cameroun, à Paris et demain à …


Alexandre Del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue renommé. Ancien éditorialiste à France Soir, il enseigne à Sup de Co La Rochelle et est chercheur associé à l’Institut Choiseul. Il a publié plusieurs livres sur la faiblesse des démocraties, les Balkans, la Turquie et le terrorisme islamique.

Il est notamment auteur des livres Le Chaos Syrien, printemps arabes et minorités face à l’islamisme (Editions Dhow 2014), Pourquoi on tue des chrétiens dans le monde aujourd’hui ? : La nouvelle christianophobie (éditions Maxima), Le dilemme turc : Ou les vrais enjeux de la candidature d’Ankara (Editions des Syrtes) et Le complexe occidental, petit traité de déculpabilisation (Editions du Toucan).


Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Il est l’auteur en 2015 de  » Grand angle sur le terrorisme » aux éditions UPPR (uniquement en version électronique), en 2013 « le crime organisé du Canada à la Terre de feu », en 2012 « les triades, la menace occultée », ces deux ouvrages parus aux éditions du Rocher, en 2007 de « Iran : la prochaine guerre ? » et en 2006 de « Al-Qaida. Les connexions mondiales du terrorisme » aux éditions ellipse, Il a également participé à la rédaction de nombreux ouvrages collectifs dont le dernier « la face cachée des révolutions arabes » est paru chez ellipses en 2012. Il collabore depuis plus de dix ans à la revue RAIDS.

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