La « télé-irréalité » de Cyril Hanouna, 

Touche pas à mon poste, c’est le labyrinthe du Minotaure. C’est un monde en soi fait pour nourrir le seigneur des lieux, seul à en connaître les détours…

La télévision a depuis ses débuts cultivé le projet d’être une sorte de prolongement du foyer familial. C’est Michel Drucker, je crois (à moins que ça ne soit Léon Zitrone), qui s’émouvait tendrement de la responsabilité que représente le fait de « s’inviter chez les gens » lorsqu’on paraît sur le petit écran. La plupart des formats d’entretien (en anglais : talk) tentent de reproduire l’intimité d’un salon bourgeois. On y trouve des canapés, des fauteuils profonds, des décors domestiques. Parfois, un chef prépare de petits plats pendant que les invités devisent. Ou bien, on investit une maison de campagne et l’on raconte sa vie au coin de l’âtre. Les formats télévisuels sont, en somme, une tentative permanente de mimer la « vraie vie ». De cela, la télévision dite « réalité » est le schéma le plus abouti, puisque ce ne sont les gens de la télé qui semblent s’inviter chez le téléspectateur en mimant son intimité, mais le téléspectateur qui s’invite chez les gens en dévorant goulûment leur vie privée.

Le génie de Cyril Hanouna, c’est d’avoir fait exploser ce modèle. Évidemment, lui aussi agite les sujets qui intéressent, voire passionnent nos contemporains. Évidemment, il sollicite pour en parler des invités qui vont être interrogés, voire malmenés. Évidemment, il mobilise pour cela des comparses qu’il moque volontiers. Rien que de classique. Mais c’est lui, Hanouna, qui métamorphose complètement ces codes télévisuels et qui invente ce que j’appellerai la « télé-irréalité ».

En vérité, tout dans son émission échappe au réel. Il se contrefiche de ressembler à la succursale d’un salon bourgeois. Chez lui, tout ce qui rattache la télé au réel est détruit. Ce qui se passe sur TPMP est strictement télévisuel, détaché des conventions du monde, soustrait aux règles ordinaires, excepté même du langage commun. Ne prévaut que la règle inventée par Cyril Hanouna pour Cyril Hanouna, et qui génère une bulle hanounienne dont lui seul dicte la folie et l’arbitraire. TPMP, c’est le labyrinthe du Minotaure. C’est un monde en soi fait pour nourrir le seigneur des lieux, seul à en connaître les détours.

Hanouna, c’est Méphistophélès qui aurait lu Guy Debord

Trash ? Punk ? Peut-être. De la matière première qu’est le réel, Cyril Hanouna tire une sorte de performance qui tient du happening brutaliste et de la transe tribale, dans une esthétique relevant d’un téléfilm de science-fiction des années 1970 qui se passerait dans un club échangiste roumain. Il brouille tous les repères moraux et visuels, et mêle des morceaux de vraie actualité à l’arbitraire de sa violence.

L’erreur est de croire qu’il va chercher à parler de la société. Qu’il va nous aider à compatir, juger, à former notre opinion. Allons, remballez votre morale de mouton cathodique. Le réel, jusque dans sa part la plus souffrante, Hanouna le prend pour le faire imploser sous nos yeux, comme on mettrait un chaton dans un micro-ondes. Il démontre par là que rien de ce qui fait l’étoffe de nos vies ne résiste à la dynamite du rien à foutre, au triomphe de la grimace, à ce langage de tract anarcho-vaudou rédigé par un footballeur sous acide, et finalement au défi radical d’un nihilisme quasi-dostoïevskien. L’Arcom peut le rappeler à l’ordre avec des hululements de chaisière : autant demander à Sepultura de vous jouer Petite musique de nuit au ukulélé.

Le gracieux Louis Boyard, lorsqu’il a été élu député, s’est fait le champion d’une tenue débraillée, allant jusqu’à réclamer l’interdiction du costume au Palais-Bourbon. Cette provocation potache n’a choqué que les âmes délicates. Mais quelle expérience singulière que le voir naviguer dans le monde parallèle de Cyril Hanouna. On le vit dévaler le toboggan qui mène directement au septième cercle des enfers, celui de la violence, où la subversion est subvertie, où tout est cul par-dessus tête, où tout rôtit dans un tohu-bohu de Saturnale. Le jeune parlementaire, pourtant ancien chroniqueur de TPMP, sembla alors se souvenir, mais trop tard que, dans le monde d’Hanouna, sa jactance de bizuteur impressionne moins qu’à la buvette de l’Assemblée. Comme on s’embourgeoise vite ! Unique recours pour s’arracher à la marmite ensorcelée où il cuisait : invoquer le respect dû à un député ! Oui, ce respect que, dans l’hémicycle, il ne cessait de moquer ! Hallucinant renversement. Inversion de toutes les valeurs. Adieu à l’humanité commune et au réel ordinaire. Hanouna, c’est Méphistophélès qui aurait lu Guy Debord.

par Sylvain Fort 

 

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