Comment la pandémie a définitivement enterré Mai 68

FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour le haut fonctionnaire Claude Lion, les mesures sanitaires adoptées face au coronavirus ont rétabli une contrainte sociale et une discipline qui semblaient avoir disparu de nos sociétés.

Par Claude Lion 

En 1943, Georges Canguilhem, philosophe et médecin, relevait que pour acquérir un statut scientifique, l’art médical définit l’état pathologique par des variations quantitatives de constantes biologiques établies statistiquement comme normales.

Il s’interrogeait sur l’existence des sciences du normal et du pathologique. Il soulignait que toute déclaration d’un état comme pathologique procédait d’un jugement normatif.

Dans le cadre de la gestion de la pandémie, les pouvoirs publics ont fait appel au statut scientifique de la médecine pour justifier les mesures adoptées. Mais, face à un nouvel agent pathogène contre lequel il n’existait ni traitement ni vaccin, les incertitudes multiples qui entouraient sa transmission, ses manifestations et sa dangerosité rendaient impossibles l’expression de certitudes médicales et l’adoption de dispositions exclusivement fondées sur la science.

Avec l’interdiction de se rassembler, le coronavirus a produit une « normativité » plus sociale que médicale.

Pour autant, les gouvernants ne pouvaient rester inactifs devant la croissance exponentielle du nombre de malades et du nombre de victimes. Ils décidèrent de confiner la plus grande partie de la population à son domicile et de stopper les activités économiques jugées non essentielles. Les libertés individuelles de circuler et d’entreprendre furent fortement restreintes et les libertés collectives de se rassembler suspendues. Le virus pandémique a ainsi produit une «normativité» plus sociale que médicale. Celle-ci est appelée à se prolonger lors du «déconfinement».

Des normes individuelles ou collectives de comportement, de déplacement, d’organisation des activités professionnelles ou de loisirs sont instaurées pour une durée indéterminée afin d’organiser la vie sociale en fonction de la circulation du virus et du risque de résurgence de l’épidémie. Pour se protéger et protéger autrui, chacun est invité à s’y soumettre, par la contrainte parfois, mais aussi par l’acquisition de nouvelles habitudes.

L’État, jusqu’alors contesté dans son autorité, déconsidéré en raison de son impuissance, critiqué pour l’excès de fiscalité, vilipendé pour sa soumission aux forces du marché, se trouve investi de la mission suprême de nous protéger du risque viral. Il apparaît légitime, tel un Léviathan postmoderne disposant de tous les pouvoirs, pour arrêter les mesures de contrainte visant à juguler l’épidémie.

Soudainement, les valeurs de la postmodernité se trouvent remises en cause. La génération qui les avaient incarnées et diffusées tout au long de son existence est principalement frappée par le virus. Après avoir interdit d’interdire, appelé à jouir sans entrave, déconstruit les savoirs, ruiné les institutions et proclamé la mort de l’homme, elle se retrouve confinée, privée de la liberté d’aller et de venir, soumise à des injonctions multiples de ne pas faire.

Après avoir subverti l’État et l’autorité avec constance, elle dépend du ministère de l’Intérieur pour sa sécurité individuelle et collective. Exposée plus que d’autres, elle insiste pour n’être pas discriminée et, en dépit de certains avis contraires, l’État édicte des normes générales auxquelles la population, usuellement considérée comme réfractaire, se soumet majoritairement.

La peur du virus aidant, les mesures de contraintes et les interdits divers ont été et demeurent collectivement acceptés. Alors que toutes les disciplines avaient été dénoncées et combattues depuis soixante ans comme des instruments de pouvoir et de domination, la France fait preuve d’une soumission inattendue.

Le retour d’une forme de contrainte sociale et la revalorisation de la discipline.

Tout malade aspire à recouvrer la santé et à revenir à un état «normal». Il en va de même au plan social.

Les aspirations à un retour à la vie antérieure, identifiée à la normalité, sont fortes. Pourtant, les avertissements ne manquent pas pour souligner que la vie ne pourra pas reprendre son cours comme avant et la normativité imposée comme conséquence de la circulation du virus apparaît durable.

Si la suspension de l’activité économique n’est pas supportable sur le moyen ou le long terme et si, bien que l’épidémie ne soit pas entièrement jugulée, il apparaît nécessaire de retrouver progressivement le chemin de la vie sociale, les comportements individuels et collectifs continueront à être observés et normés afin de prévenir le retour de la pandémie.

Le rapport à l’État en sera modifié. La multiplication des droits avait considérablement amplifié l’activité normative de celui-ci, mais les normes contraignant les désirs individuels étaient, de façon croissante, perçues comme difficilement supportables. Seules les obligations qui étendaient l’égalité des conditions paraissaient tolérables.

À sa manière, la pandémie annonce le retour d’une forme de contrainte sociale et la revalorisation de la discipline. Les sociétés occidentales individualistes et libertaires accepteront-elles la résurgence d’un ordre disciplinaire? Tel est l’enseignement à venir de l’actuelle pandémie.

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Des habitants de Cadillac, près de Bordeaux font la queue, attendant leur tour d’entrer sur le marché.

Des habitants de Cadillac, près de Bordeaux font la queue, attendant leur tour d’entrer sur le marché. GEORGES GOBET/AFP

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